Les enseignantes mexicaines défendent leurs droits du Travail dans des conditions extrêmement précaires
Exclues du débat sur la réforme de l’éducation, les enseignementes, qui représentent plus de 96% du corps des enseignant-e-s en maternelle, 66% dans l’enseignement primaire et 51% dans l’enseignement secondaire, manifestent contre une nouvelle loi qui serait néfaste pour elles, notamment pour celles qui travaillent au sein des communautés rurales et autochtones [1]. Dans les états mexicains de Veracruz, Michoacán, Oaxaca, Guerrero et du Chiapas, ce sont majoritairement des femmes professeures qui ont décidé d’entamer une grève, tandis que plus de 30 000 professeur-e-s des états les plus pauvres du pays se sont déplacés à Mexico afin de camper en plein Zócalo (centre ville), qu’ils ont occupé pendant trois semaines en septembre.
Les professeur-e-s manifestent en masse suite aux pressions exercées par le gouvernement par le biais de lois “secondaires” visant à réformer la loi sur l’éducation, notamment certains aspects liés aux carrières des professeur-e-s. Le corps enseignant exige que le gouvernement modère ses réformes de l’éducation.
Les professeures d’Oaxaca de la section 22 de la Coordination nationale des travailleurs de l’éducation (CNTE) (disponible en espagnol uniquement), un syndicat national de professeur-e-s, ont quitté leurs enfants, leurs communautés et leurs foyers pour revendiquer leurs droits à Mexico, déterminées à poursuivre la lutte contre l’injustice qui provoque leur exclusion.
Contexte politique
La réforme de l’éducation de 2012-2013 au Mexique est un amendement de la Constitution soumis par le Président Enrique Peña Nieto, dans le cadre d’accords et d’engagements établis dans le Pacte pour le Mexique (disponible en espagnol uniquement). L’objectifs fondamental du Pacte est de créer un consensus allant au-delà des différences politiques afin de permettre au Parlement d’adopter les réformes nécessaires en vue de promouvoir la démocratie et la croissance économique, ainsi que de réduire la pauvreté et les inégalités sociales.
La Chambre des députés et le Sénat ont approuvé la réforme de l’éducation en décembre 2012. En février 2013, la réforme a été déclarée constitutionnelle par le Parlement fédéral, promulguée par l’exécutif et publiée au journal officiel de la Fédération. Le 10 septembre 2013, trois lois ont été promulguées, à savoir : la loi générale sur l’éducation, la loi sur l’Institut national pour l’évaluation de l’éducation, et la loi du service professionnel enseignant (disponible en anglais uniquement).
La réforme a pour but d’imposer un système d’évaluation aux travailleuses et travailleurs de l’éducation, qui couvre l’accès à la profession, l’évolution de carrière et le maintien en poste sur le lieu de travail. Les écoles mexicaines présentent des coûts relatifs plus élevés et des résultats médiocres par rapport à n’importe quel autre des 34 pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). C’est pourquoi l’évaluation est basée sur les critères de l’OCDE.
La structure de gestion des institutions éducationnelles est également en cours de réforme. Le syndicat considère cette réforme extrêmement nocive car elle établit que l’État mexicain ne fait plus partie du processus de financement du fonctionnement des institutions éducationnelles. Le coût de fonctionnement des cantines scolaires, l’entretien des infrastructures et la fourniture de services tels que l’eau et l’électricité seront à la charge des établissements scolaires et des parents d’élèves.
S’il est vrai que le Président mexicain Enrique Peña Nieto a souligné que les enseignant-e-s doivent être soumis à des examens et à des évaluations afin d’améliorer le niveau académique, il n’en demeure pas moins que le gouvernement a échoué à fournir aux enseignant-e-s une formation, un soutien pédagogique, un financement ou des infrastructures adéquats, notamment dans les régions les plus pauvres.
Le système d’évaluation venant s’ajouter à la Constitution est au cœur des manifestations. Sarvia Analí Valverde, enseignante du préscolaire dans une petite communauté de la région autochtone Mixtèque de l’état d’Oaxaca, affirme qu’il est faux que les professeur-e-s refusent d’être évalué-e-s (disponible en anglais uniquement). Elle signale : « Nous voulons être évalué-e-s, mais en tenant compte du contexte socioéconomique dans lequel nous travaillons, en tenant compte de notre réalité, et pas selon des procédures standardisées ».
D’autre part, il faut être réaliste concernant les politiques que le gouvernement souhaite mettre en œuvre. Par exemple, Maria Santiago, également enseignante à Oaxaca, s’interroge sur la pertinence d’instaurer l’enseignement de l’anglais au sein de communautés dont les principales langues autochtones sont le Zapotèque ou le Mixtèque, et dont l’espagnol est la seconde langue. De même, la professeure Elizabeth Escobar critique le fait que la nouvelle loi exige l’usage de l’Internet, (disponible en espagnol uniquement) alors que certaines communautés ne disposent pas d’électricité.
Les professeur-e-s, tels que Valverde, expliquent que les enseignant-e-s sont prêt-e-s à améliorer leurs connaissances et leurs compétences, mais que leurs possibilités sont limitées dans les zones pauvres et rurales où ils/elles exercent leur métier. Valverde affirme : « Nous souhaitons nous former davantage, mais nous vivons dans des communautés éloignées, dépourvues de transport public, et nous disposons uniquement des fins de semaine pour nous déplacer afin de pouvoir étudier ».
Elle souligne également : « Les enseignant-e-s ne sont pas responsables du retard de notre système éducatif. Le retard du système est un problème structurel dû, entre autres, au fait que l’argent qui devrait être affecté à l’éducation est dépensé ailleurs ».
La vérité sur les enseignantes qui manifestent
La plupart des enseignantes qui travaillent dans des zones rurales et autochtones gagnent à peine autour de 600 USD ou moins par mois (disponible en anglais seulement). Elles doivent supporter les pénuries quotidiennes, la faim de leurs élèves et les conditions misérables des établissements scolaires, qui manquent même des installations les plus fondamentales telles que salles de classe, toilettes, toitures en bon état, eau ou électricité.
Une jeune professeure de l’état d’Oaxaca déplore : « En tant que professeur-e-s, nous vivons au sein des communautés avec nos élèves et leurs parents, nous connaissons donc bien les pénuries auxquelles ils sont confrontés et cela nous révolte ».
Bien souvent, ces enseignant-e-s fournissent à leurs élèves le matériel scolaire nécessaire, tel que crayons et cahiers, en payant généralement de leur poche. L’absence d’enseignant-e-s pour les activités extrascolaires (anglais, sport, art et informatique) n’empêche pas ces professeur-e-s d’enseigner la danse, des jeux ou le jardinage pourvu d’améliorer les compétences et de répondre à certains besoins de leurs écoles.
Leurs conditions de travail sont loin d’être décentes et suffisantes. Ces professeures n’ont pas accès aux services de santé et courent le risque de perdre leur emploi durant leurs grossesses. De plus, le fait d’être loin de chez soi est difficile et pesant.
Autrefois, le rôle des enseignantes dans les manifestations était de cuisiner pour leurs pairs et de participer aux marches. Aujourd’hui, elles sont devenues de véritables activistes qui dirigent les manifestations, font parties des processus de prise de décisions, mobilisent les communautés et apportent une continuité au mouvement.
Beatriz Picasso Pérez, membre du groupe de pilotage de la CNTE, signale : « Nous sommes nombreuses. Notre participation est fondamentale. Autrefois, nous ne faisions que cuisiner, mais aujourd’hui nous sommes présentes à chacune des différentes phases de cette mobilisation. Nous devons lutter en permanence pour nous faire entendre, pour prendre le micro et canaliser notre rage et notre impuissance ».
Pourtant, en dépit de l’évolution de la situation des enseignantes au sein du mouvement éducatif, celles-ci sont confrontées à la discrimination basée sur le genre et doivent se battre pour avoir les mêmes opportunités d’évolution de carrière que les hommes.
L’enquête internationale sur les enseignant-e-s, l’enseignement et l’apprentissage montre que 34,7% seulement des directeurs dans l’enseignement secondaire sont des femmes au Mexique (disponible en espagnol).
Bien que les médias grand public aient jeté le discrédit sur leurs manifestations en créant un environnement hostile et violent à leur égard, les enseignant-e-s ont trouvé un grand soutien dans les médias alternatifs pour faire entendre leurs voix, diffuser leurs lettres d’information et partager leurs préoccupations que ce soit dans les taxis, les restaurants ou dans la rue.
Des personnes provenant de différents secteurs - mais partageant leur conviction dans leur lutte - les appuient en leur apportant des aliments, en les accompagnant dans les campements et en participants aux marches. Toutefois, le fait que les autorités continuent de remettre en cause la légitimité de leur droit de manifester et réagissent de manière violente et répressive suscite une forte préoccupation.
Les conditions de vie au cours des dernières semaines ont été des plus dures pour les enseignantes au cours de cette manifestation. Elles ont dû supporter des averses, des maladies, dormir à même le sol et à la belle étoile, cuisiner et manger dans des conditions insalubres, se débrouiller sans salaire et, surtout, laisser leurs familles et enfants derrière elles et vivre dans la peur d’une expulsion répressive.
Les médias ont véhiculé le mythe que les professeur-e-s protestent sans proposer d’alternatives constructives alors qu’ils/elles n’ont cessé de travailler à la mise au point de solutions concrètes.
Par exemple, Anabel Medina, qui enseigne dans la dernière école pour professeures qui reste à Oaxaca, décrit la manière dont les enseignantes ont répondu au manque d’infrastructures de base et de matériel : « En 2000, notre immeuble s’est effondré et une partie seulement a été reconstruite, uniquement les salles de classe et pas les laboratoires ou ateliers. Les programmes qui nous parviennent sont dérisoires, sans aucune méthode d’enseignement. Du coup, nous devons inventer nos propres méthodologies, comme dans le cas des Projets pédagogiques émancipatoires.
Celiflora García Cervantes forme les enseignant-e-s à l’élaboration de stratégies incorporant les langues autochtones dans leur pratique pédagogique. Elle est de l’avis que les réformes auront un effet néfaste sur les progrès accomplis. Elle signale : « Une équipe de six conseillers se rend dans les écoles. Nous rencontrons les équipes techniques, puis nous élaborons conjointement un projet pédagogique basé sur les connaissances des élèves, leurs intérêts ou un problème social particulier au sein de leur communauté. Le projet est conçu dans les deux langues ».
Le défi
En tant que enseignantes, mères et femmes défenseures des droits humains, le grand défi qu’elles doivent relever est celui de parvenir à renforcer leurs qualités de chef et à faire entendre leurs voix.
L’essence même du combat qu’elles mènent est de lutter pour que tous les enfants mexicains puissent jouir d’un meilleur futur et pour que l’éducation soit publique et gratuite. Elles s’opposent à l’actuelle réforme de l’éducation parce que les parents ne seront pas en mesure de payer pour une éducation qui sera, qui plus est, probablement de moins bonne qualité.
Bien que le 13 septembre, les manifestant-e-s aient été violemment expulsés du campement et que les enseignant-e-s participant aux marches aient été gazé-e-s par la police, l’engagement de la section 22 de la CNTE de protester en plein Zócalo demeure intact.
L’issue de cette longue grève est encore incertaine, mais la décision de poursuivre la résistance est une source d’inspiration pour d’autres femmes défenseures des droits humains.
Note :
[1] "Reforma educativa pega a maestras rurales" de CIMA NOTICIA : Lire l'article
Source : AWID