samedi 7 septembre 2013

Mexique, une terre Huichol menacée par une mine d'argent

Au cœur 
du Mexique "indigène", 
la mine de la discorde


Par  Antoine Dhulster
 
Scandale écologique, social et culturel aux portes du désert mexicain. Une entreprise minière canadienne s’apprête à exploiter des filons d’argent au beau milieu du territoire le plus sacré du peuple Huichol. Un projet hautement polluant, situé sur une zone naturelle déjà dégradée, et en théorie protégée. Sur place, la population se déchire, entre partisans et adversaires de la mine. A perte de vue, des cactus colorés et des herbes rases, balayés par des vents brûlants. Il règne une atmosphère surréaliste sur les hauteurs de Real de Catorce, dans le nord du Mexique. La silhouette d’Ismaël, jeune indigène huichol, domine la scène. 

Sa communauté l’a désigné gardien de ce lieu, le « cerro quemado » (colline brûlée). C’est ici que, depuis des temps immémoriaux, son peuple se rend en pèlerinage pour communier avec ses dieux. Tout autour de ce sanctuaire, s’étend la terre la plus sacrée des Huichols, leur « centre du monde » qu’ils nomment Wirikuta.
 
Sous le regard du gardien des lieux, un petit groupe se livre à une cérémonie rituelle. 

Leur chef récite des incantations et bénit les points cardinaux. Mais l’attention d’Ismaël est ailleurs, car une nouvelle inquiétante occupe ses pensées : à quelques centaines de mètres de ce sanctuaire, une entreprise canadienne, First Majestic Silver Corp., s’apprête à ouvrir une mine pour exploiter les filons d’argent du sous-sol. Le projet est encore au stade de l’étude, sa phase opérationnelle est programmée pour 2013. Mais les travaux s’annoncent déjà pharaoniques.
 
Pas moins de 22 concessions ont été octroyées, en 2009, à la firme par le gouvernement
mexicain. La surface d’exploitation dépasse 6 300 hectares, dont 60 % sont d’ailleurs situés sur une zone naturelle protégée. De quoi polluer les montagnes sacrées des Huichols pour plusieurs siècles. 

Ce, alors qu’elles avaient miraculeusement échappé aux exploitations minières menées par le passé dans toute la région : entre la fin du XVIIIème et le début du XXème siècle, la ville de Real de Catorce avait construit sa fortune sur l’extraction de l’argent de son sous-sol. Mais à la différence du projet actuel, ces mines étaient situées bien à l’écart de la terre sacrée de Wirikuta.
 
Du reste, les extractions se sont presque totalement interrompues au début du siècle dernier, avec la chute du cours de l’argent.
 
Depuis, le temps semble s’être arrêté dans le bourg, qui ne compte plus qu’un petit millier
d’habitants. Déserté par les négociants et les industriels, Real de Catorce vit désormais du
tourisme. Les étroites rues pavées et les imposantes demeures de la ville voient aujourd’hui
affluer des visiteurs du monde entier, attirés par l’atmosphère unique de ce village fantôme,
perché à 2 700 m d’altitude.
 
Quant aux montagnes des alentours, qui abritent des espèces vivantes parmi les plus rares d’Amérique du Nord, elles sont déclarées « aire naturelle protégée » depuis 1994. 

Une véritable cure de convalescence pour la faune et la flore locales, durement atteintes par tant d’années d’exploitations. En décembre dernier, des chercheurs de l’Université de Guadalajara (la deuxième ville du Mexique) détectent ainsi des traces de plomb dans les plumes d’aigles royaux, de cactus, et jusque dans les cheveux d’un habitant des alentours... 

A ce jour aucune étude scientifique n’a évalué l’impact des activités minières du passé sur la santé des habitants. 

Seule certitude : tout autour de Real de Catorce, les nappes phréatiques, les sols, la végétation, sont polluées à des degrés anormalement élevés.
 
Pour le responsable de la l’aire naturelle protégée, Pedro Medellin, « Les logiques scientifique et sanitaire, ainsi que la règlementation environnementale en vigueur, voudraient que la zone ne puisse plus être exploitée à l’avenir », estime-t-il.
 
Mais le classement des montagnes comme aire protégée ne suffit pas, au Mexique, pour
empêcher le projet minier. « L’entreprise peut légalement exploiter le sous-sol, explique Pedro Medellin. Pour cela il est prévu qu’elle fournisse, par ses propres moyens (sic.), une ‘étude d’impact environnemental’. 

Après quoi, les autorités donnent, ou non, leur accord pour l’exploitation. Mais en pratique, tous les projets industriels de ce type sont acceptés, moyennant quelques conditions symboliques. »
 
Une zone « protégée » qui ne protège en rien contre les appétits des multinationales... 

Derrière cette bizarrerie institutionnelle, il y a une stratégie que les militants écologistes du monde entier connaissent bien : la propension, chez ces firmes, à tirer parti des législations accommodantes des pays moins développés.

 A cet égard, le Mexique est un cas d’école : la constitution du pays interdit en principe aux entreprises étrangères d’exploiter les ressources naturelles nationales. Mais rien n’empêche à des entreprises mexicaines de se faire financer par des capitaux étrangers. A Real de Catorce, l’entreprise nord-américaine a ainsi trouvé son prête-nom : Real de Bonanza. 

« C’est cette firme mexicaine à 100 % qui exploitera la mine, et non la First Majestic »,
affirme, sans rire, le responsable de la partie mexicaine du projet, Ricardo Flores. 

Qu’importe si sur sa page Internet, l’entreprise canadienne consacre un large espace à la future rentabilité de son projet, à Real de Catorce..Echaudés par ces manœuvres, et surtout par l’inaction des pouvoirs publics, plusieurs dizaines d’habitants de la région, militants associatifs et représentants des communautés indigènes,montent en septembre 2010 un « Front de défense de Wirikuta »

Figure de cette mobilisation,Carlos Chavez, directeur de l’Association d’Appui aux Groupes Indigènes de l’état du Jalisco(AJAGI). Il évoque la légitimité historique des communautés autochtones : « depuis près de 1000 ans, les Huichols se rendent à Wirikuta en pèlerinage. 

A ce titre, leurs droits sur ces terres sont reconnus par la Convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail », explique-t-il.
 
Ce texte, signé et ratifié par le Mexique, prévoit en effet que les peuples indigènes soient
consultés au sujet de tout projet mené sur leurs terres traditionnelles. Une consultation que lescommunautés attendent toujours...

De leur côté, les habitants « non indigènes » du village sont divisés. La plupart des commerçants, artisans, se disent opposés au projet. Mais un clivage apparaît entre cette petite partie de la population, qui tire ses revenus du tourisme, et la majorité, qui survit d’autres activités. Aussi, dans les ruelles, les expressions se font-elles fuyantes à la moindre évocation du sujet.
 
Vissé sur son banc, à l’entrée du bourg, Don Cipriano, 80 ans, accepte de donner son avis. 

« Le village a besoin de l’activité que la mine apportera », tranche-il. Et le vieil homme d’évoquer les quelque 750 emplois promis par l’entreprise. « Ce sont autant de familles de la région qui sortiront de la misère », estime-t-il, balayant les questions environnementales et sanitaires : « siles touristes et les indigènes sont gênés par la mine, il faudra leur demander de fermer les yeux quelques instants pendant leur visite des alentours. »

Cette remarque en forme de boutade en dit long sur l’urgence économique qui frappe le village, et les divisions qui commencent à l’agiter. 

« Même si les choses sont calmes pour l’instant,certains esprits commencent à s’échauffer», déplore ainsi Juan Carlos Ruiz Guadalajara, chercheur à l’Université de San Luis Potosi et spécialiste des conflits sociaux. « En aparté, de plus en plus d’habitants commencent à pester contre "ces indigènes opposés à la mine" », poursuit-il. La plus grande crainte de cet universitaire : que l’opposition entre partisans etadversaires du projet ne prennent une tournure violente. 

Comme en 1997, lorsque le maire de la localité voisine de Cerro de San Pedro, Baltazar Loredo, avait été retrouvé mort, après s’être opposé à l’arrivée d’une autre entreprise minière dans sa ville.  Son décès reste inexpliqué à ce jour.. 

Pour éviter un tel drame à Real de Catorce, les militants anti-mine tentent de mobiliser la classe politique nationale. A la suite de leurs démarches, le Sénat de la République mexicaine a ainsi officiellement demandé, le 31 mars dernier, au ministère de l’économie de réexaminer l’octroi des concessions à l’entreprise canadienne. Mais cette procédure, longue, n’est pas assurée de succès.

Quant aux communautés indigènes, elles prennent date, et se préparent déjà à résister à la firme multinationale et la passivité du pouvoir mexicain. La lutte s’annonce longue et inégale.



Source :  CDHAL  (Canada)