jeudi 12 septembre 2013

Guatemala, l'histoire de Jésus Chrit selon les Mayas

Jésus 
chez 
les Mayas





Par Rhéa Kneifati (*)

Lors d’une visite à Santiago Atitlán, au Guatemala, j’eus la chance d’assister à une cérémonie maya en l’honneur d’une divinité appelée Maximón. Une représentation de cette divinité, une sorte de statue grandeur nature en papier, peinte de différentes couleurs, prend la forme d’un homme coiffé d’un chapeau, une cigarette à la bouche. On m’expliqua que cette divinité était transportée chaque année dans un village différent autour du lac Atitlán pour veiller sur la population du village et répondre à leurs souhaits, moyennant des offrandes sous forme d’argent, d’alcool et de cigarettes. Un comité se réunit chaque année pour décider du lieu qui l’accueillera l’année suivante.


Intrigués par cette statue qui boit et qui fume, mes collègues et moi décidâmes de payer un guide pour qu’il nous y amène. En haut d’une colline, nous empruntâmes une petite ruelle, suivant notre vieux petit monsieur ridé aux jambes tout en muscles. Il tourna le coin et nous fit entrer dans la cour d’une maison bien simple où se réunissaient des hommes et des femmes autochtones, sous le linge séchant au soleil. Nous entrâmes dans la maison sombre, éclairée par la lueur des chandelles. La statue de Maximón était là, bien visible à l’entrée. 

La cigarette de la divinité me fit sourire. À côté de lui étaient déposées plusieurs bouteilles de rhum guatémaltèque bon marché. Les femmes occupaient un coin de la maison, en face de la statue, et les hommes étaient assis au fond, sur des bancs en bois. Notre guide ne parlait pas bien l’espagnol, alors je posai des questions à l’homme assis à côté de moi. Il m’indiqua entre autres que les formes obscures pendues au plafond étaient des animaux empaillés et me donna quelques détails sur les demandes que l’on pouvait faire à la divinité (du travail, un mariage, un enfant, la santé, etc.)

À droite de la salle, il y avait également un cercueil avec une statue couchée, semblable à celle de Maximón. Juste au-dessus étaient accrochées des peintures, apparemment des scènes bibliques; Jésus portant sa croix, si je me souviens bien. Ne comprenant pas le lien entre la cérémonie maya et ces scènes bibliques, je posai la question à mon voisin. À ma grande surprise, l’homme me dit que la statue dans le cercueil était un christ. 

Non pas LE Christ, mais un christ. Il m’expliqua que ce christ était le père de Maximón. Perplexe, j’essayai de poser plus de questions sur le lien entre ce christ et les traditions mayas, mais mon interlocuteur n’eut pas l’impression de comprendre mon étonnement.

Plus tard durant notre visite dans un village voisin, nous entrâmes dans une église. Contrairement à ce que l’on peut voir dans les églises occidentales, ici, il y avait plusieurs christs avec des noms et des costumes différents, ainsi que des statues semblables au Maximón le long des murs.

Puisque personne ne pût m’expliquer ce croisement entre les religions que j’avais du mal à comprendre, je décidai de faire une petite recherche pour en apprendre un peu plus. Beaucoup de textes ont été écrits sur la conquête espagnole de cette partie du continent, mais je finis par en trouver un qui traitait précisément du sujet qui m’intéressait (Antonia Colazo-Simon, Stéphanie Geslin, Éric Reyes et Olivier Le Guen, « Les reconstructions de la vie de Jésus-Christ en aire maya: deux parcours miraculeux chez les Tzeltal et les Yucatèques », Ateliers d'anthropologie - Revue éditée par le Laboratoire d'ethnologie et de sociologie comparative, 2005, disponible à l’adresse suivante : Cliquez ici !

Le court article qui suit ne prétend être ni un compte-rendu historique ni une analyse exhaustive des origines de l’incorporation de la foi chrétienne dans les traditions mayas, mais simplement une matière à réflexion pour le lecteur intéressé par ce thème, fournissant quelques pistes de recherche.

Tout d’abord, il faut expliquer que les traditions mayas ne sont pas regroupées dans des textes écrits, comme les Évangiles, par exemple. Il s’agit plutôt d’une tradition orale, transmise par les anciens aux générations plus jeunes, à travers le temps, de bouche à oreille. Ce sont les chercheurs et les ethnologues occidentaux qui ont ensuite enregistré certaines de ces histoires dans des recueils.

Les auteurs des Reconstructions de la vie de Jésus-Christ en aire maya écrivent que « les recueils de tradition orale maya enregistrent au fil des terrains l’occurrence de l’histoire de Jésus Christ dans plusieurs ethnies mayas, à différents moments du XXe siècle, et sous des formes stylistiques distinctes ». À travers les peuples et les différentes régions d’Amérique latine, l’histoire de Jésus est présente dans les cultures, mais elle n’est pas toujours interprétée de la même manière.

Dans l’article qui nous intéresse, les auteurs du texte analysent deux récits de l’histoire de Jésus dans la tradition orale maya pour étudier comment la religion chrétienne (et la vie de Jésus Christ) a été incorporée dans les traditions locales. Les deux récits sont ceux de Ch’ul Tatik et L’histoire de Dyoós, de traditions Tzeltal et yucatèque. 

Ces histoires ont été rapportées par un ethnologue, dans son récit de voyage aux Chiapas en 1973. Lors de sa visite dans cette partie du monde méconnue alors par les touristes occidentaux, ce voyageur curieux demanda qu’on lui raconte des « histoires de l’origine des choses ». Il voulait surtout connaître les traditions mayas et fut surpris lorsqu’on lui raconta l’histoire de Jésus Christ, mais une histoire toute neuve, bien différente de celle qu’il connaissait. Il enregistra ensuite les récits en langue maya et les traduit.

L’une des histoires raconte comment les cochons ont été créés lorsque Jésus, dans un excès de colère, transforma les enfants d’un village juif qui ne voulaient pas jouer avec lui en cochons. Lorsque les parents des enfants ont voulu le tuer pour se venger, il s’enfuit à travers les milpas (champ sur brûlis planté de maïs) et se réfugia dans une maison pauvre. Malgré le manque de nourriture, on tua une poule pour lui offrir à manger. Il demanda alors à la famille de garder tous les os et toutes les plumes de la poule. Au milieu de la nuit, avant de repartir, il remercia ses hôtes si généreux en leur faisant apparaître des poulets.

L’autre histoire raconte la fuite de Jésus qui, pour se cacher des juifs, se réfugia dans un arbre. Lorsque ses poursuivants passèrent, une perruche révéla aux juifs qu’elle était perchée « sur Dieu ». Les juifs se mirent alors à poignarder l’arbre, mais Jésus ne fut pas tué. Un toucan vit également Dieu et le frappa. La pointe de son bec rougit et le sang tacha son bec à tout jamais. C’est pour cette raison, explique-t-on, que le bec du toucan est rouge. 

Au cours de sa fuite, Jésus rencontre un homme qui travaillait dans le champ. Il lui demanda ce qu’il faisait et l’homme lui dit qu’il plantait des pierres. Jésus lui dit de continuer à faire ce qu’il faisait et aussitôt il y eut plein de pierres à travers le champ. Il croisa ensuite un autre homme qui plantait des cocoyoles (fruits très durs); il bénit alors son champ et il y eut quantité de cocoyoles avec leurs fruits. Il rencontra d’autres travailleurs sur sa route et multiplia de la même manière les champs de bananes et de maïs.

L’histoire raconte que Jésus avait l’apparence d’un homme, avec une barbe et des cheveux longs, qui avait des pouvoirs surnaturels. C’est d’ailleurs pour cette raison que les juifs voulaient sa mort. Ils le considéraient comme un sorcier car il redonnait la vie aux morts et guérissait les aveugles et les blessés. À la fin de l’histoire, ses ravisseurs l’attrapèrent, le crucifièrent et le jetèrent dans une grotte. Quand les hommes qui surveillaient la grotte s’endormirent, Jésus monta au ciel et ne redescendit plus jamais sur terre.

Ce ne sont que quelques exemples d’histoires de tradition maya qui ont incorporé l’histoire de Jésus Christ dans un contexte géographique et culturel qui est le leur. On remarque des similitudes évidentes avec l’histoire que nous connaissons: l’homme-Dieu à la longue barbe et aux cheveux longs qui guérit les malades et multiplie la nourriture pour nourrir les pauvres. Il est poursuivi par les juifs qui veulent sa mort et il s’enfuit (à la différence qu’ici, il ne s’enfuit pas dans le désert, mais à travers les champs de milpa). On finit par le rattraper et le crucifier, mais il ressuscite et monte au ciel.

Dans plusieurs histoires mayas, Jésus croise des oiseaux protecteurs et des oiseaux délateurs. On remarque l’association de l’oiseau traître avec les juifs, comme l’illustre la première histoire racontée plus haut. Judas est alors remplacé par une perruche. On raconte que certaines histoires mayas utilisent le coq comme oiseau associé à Jésus Christ au moment de sa mort.

Dans l’histoire biblique dite classique, comme nous le savons, Jésus transforme l’eau en vin et multiplie le pain et le poisson pour nourrir les pauvres. De la même manière, dans la vie Ki’che’ de Jésus, il fait la rencontre d’une femme dont il transforme les œufs en poulets. Dans les deux histoires racontées plus haut, Jésus fait apparaître des poulets en utilisant les os et les plumes de l’animal tué. Il multiplie également les produits de la terre (maïs, bananes, cocoyoles, milpa).

Il est alors fascinant de noter comment l’histoire du Christ change de lieu en s’inscrivant dans un cadre géographique maya et comment elle s’adapte à la réalité de ces peuples. En effet, Jésus qui, selon l’histoire classique, vécut au Moyen-Orient (autour de la Palestine, la Syrie, la Jordanie et l’Égypte) et qui n’eut probablement jamais l’occasion de faire la rencontre d’un toucan, est chez les Mayas à l’origine de la couleur rouge du bec de cet oiseau.

Les auteurs parlent d’une « compréhension originale de la doctrine catholique » et d’une «adaptation culturelle par incorporation ». Ils suggèrent que les « Mayas ont intégré Dieu ou Jésus Christ dans les divinités mayas, non comme une divinité chrétienne, mais comme une réincarnation des personnages mythiques mayas. »


Pour expliquer ce processus d’incorporation, les auteurs mentionnent d’abord que les adaptations de l’histoire biblique débutent lors de la colonisation espagnole de cette partie du continent américain, avec les tentatives d’évangélisation pacifiques dominicaines et franciscaines (vers le début du 16e siècle) qui permettaient aux peuples conquis de conserver leurs croyances et de poursuivre leurs rites sacrés habituels. On peut conclure que cette manière de procéder a certainement permis de faire accepter l’histoire biblique aux peuples mayas qui, peu à peu, l’auraient incorporée à leurs propres croyances.

Par contre, comme nous le savons, la conquête se transforma vite en guerre violente. Elle constitua un choc culturel sur « l’univers de référence ancestral ». Sans parler des atrocités commises par les colons pour occuper le territoire, ces derniers ont également imposé leur religion qui fut enseignée aux peuples autochtones de manière obligatoire. S’ensuit logiquement une mise en place d’un mécanisme de résistance des cultures mayas face à l’enseignement obligatoire de la foi chrétienne. 

On pourrait penser qu’une manière de résister aurait été de repousser l’histoire de Jésus telle qu’elle était racontée par les colons, de la modifier, de la transformer, et de l’inclure ainsi dans le système de valeurs et de croyances qui appartenaient alors aux peuples mayas.

Les auteurs soulignent que les colons eux-mêmes avaient leur propre tradition orale populaire espagnole, qui interprétait aussi à sa manière la vie et la mort du Christ; ce qui a aussi dû jouer un rôle dans l’interprétation des Évangiles par les peuples autochtones. Il ne faut pas oublier qu’il y eut également un processus de traductions en chaîne qui a forcément dû occasionner des multiples transformations de l’histoire biblique.

En conclusion, tous ces facteurs réunis – les premières tentatives d’évangélisation pacifique qui permirent aux Mayas de conserver leurs rites ancestraux et de mieux accepter l’arrivée de la nouvelle foi chrétienne, ensuite l’imposition de la religion chrétienne par les colons, le fait que ces derniers avaient leur propre tradition orale qui interprétait et transformait par le fait-même les Évangiles, les traductions en chaîne, les mécanismes de résistance mis en place par les autochtones, ainsi que la tradition orale des Mayas qui, d’une génération à l’autre, ont possiblement continué à modifier l’histoire biblique – peuvent expliquer comment est née la version maya de l’histoire de Jésus Christ, intéressant mélange des cultures qui nous rappelle comment l’histoire, les guerres et les réactions des peuples conquis déterminent leurs croyances pour les générations à venir et comment une même histoire, à l’origine d’une même religion, peut être interprétée et pratiquée différemment dans différentes régions du monde.
 


Note : 

(*) Rhéa Kneifati est avocate membre du Barreau du Québec depuis 2008. Elle agit présentement comme conseillère juridique volontaire à l'Asociación Bufete Jurídico Popular de Rabinal, au Guatemala, dans le cadre du programme PSIJ de l'ACDI.


Source : Avocats Sans Frontières (Canada)