On l’oublie souvent, mais l’Union européenne, par l’intermédiaire de la France a un pied en Amérique du Sud. C’est le département de la Guyane. Il borde le Brésil sur 730 km, ce qui représente la plus longue frontière de l’Hexagone avec un autre pays et la 121° plus longue frontière terrestre du monde, derrière la finno-norvégienne et juste devant celle séparant la Géorgie de la Russie. Dans ce coin du globe, rien ne ressemble plus à la France guyanaise que l’Amapa brésilien : de la forêt impénétrable, des fleuves seuls lien entre les gens et les régions, des marécages et rien d’autre. Pourtant la limite entre ces deux territoires a fait l’objet de 200 ans de conflit entre Paris et Rio de Janeiro.
La
frontière d’aujourd’hui n’est plus vraiment contestée mais les rapports
entre les deux pays restent marqués de crainte et d’incompréhension à
cause d’un pont sur le fleuve Oyapock, achevé depuis 2011 et qui devrait
être mis en service avant la fin de cette année 2013. Un pont qui
divise plus qu’il unit.
La
ligne de partage entre le Brésil et la France débute sur le Plateau des
Guyanes, en pleine forêt, là où finit le Surinam. C’est un triple point
frontière au milieu de rien. Elle longe ensuite sur 300 km le tracé
théorique du partage des eaux entre le bassin amazonien et les fleuves
guyanais qui se jettent directement dans l’Atlantique. Puis elle rejoint
le fleuve Oyapock qu’elle suit sur 427 km jusqu’à son embouchure.
Immédiatement avant, les deux bourgades de St-Georges-de-l’Oyapock en
France, 4’000 résidents et Oiapoque au Brésil, 21’000 habitants sont
maintenant reliées par ce fameux pont de la discorde.
Médiation helvétique et avantage au Brésil
Mais
il n’en a pas toujours été ainsi. C’est le traité d’Utrecht en 1713,
qui détermine la frontière entre la colonie française de Guyane et le
Brésil, possession portugaise. Mais on n’est pas d’accord sur les
limites fixées. La France estime que son territoire va jusqu’au fleuve
Araguary, 800 km plus au sud, le Portugal s’estime propriétaire des
terres jusqu’au niveau du fleuve Oyapock.. 200 ans durant, la France
guyanaise et le Brésil (Après son indépendance en 1824, le Brésil
adoptera la même position que le Portugal dans ce conflit) vont se
disputer pour ces 260’000 km2 de forêt vierge dont on peine à percevoir
l’intérêt stratégique.
En 1900, les deux pays décident de
recourir à un arbitrage international. C’est la Suisse, pays neutre, qui
va jouer le rôle d’arbitre. La délégation brésilienne, dirigée par le
baron de Rio Branco est bien préparée, la France, enferrée dans ses
conquêtes africaines néglige le dossier et envoie des seconds couteaux.
La Suisse donne raison au Brésil, la limite est établie sur l’Oyapock.
C’est ainsi qu’un matin de 1900 le bourg gaulois d’Oiapoque se retrouve
ville brésilienne, séparée désormais par une frontière de sa sœur
jumelle avec qui elle entretenait des relations régionales étroites,
St-Georges-de-l’Oyapock restée française. « Aqui começa o Brasil », Ici commence le Brésil » peut-on lire à l’entrée d’Oiapoque.
Aujourd’hui, ce contentieux territorial
appartient à l’histoire. Des décennies durant les deux cité ont
continuer à échanger comme avant, leurs pirogues respectives traversant
le fleuve sans contrainte. Jusque vers le milieu des années 1980. A
cause d’une nouvelle ruée vers l’or. Certes, l’or en Guyane, ce n’est
pas neuf. Les premiers orpailleurs sont arrivés à la fin du XIX° siècle
mais l’activité a vite décliné. Elle s’est éteinte dans les années
1930-1950.
Des prospecteurs d’or à la pelle
En
1985, changement de décor. Le Bureau français de Recherche Economiques
et Minières (BRGM) publie une carte géologique des zones aurifères de
Guyane. Juste au moment où la mine de la Serra Pelada ferme dans l’Etat
brésilien du Pará, mettant 10’000 « garimpeiros » au chômage.
Oiapoque devient la nouvelle destination des hordes de prospecteurs. La
petite ville brésilienne qui comptait 5’000 habitants en 1981 dépasse
rapidement les 20’000 résidents.
De part et d’autre de l’Oyapock, mais
surtout du côté français, les sites d’extraction pullulent, avec leur
cortège de pollution des eaux au mercure et leurs plaies sociales. « Avec
ces orpailleurs, sont arrivées la violence, la prostitution, les MST,
le paludisme et les drogues, de quoi bouleverser la région,», constate Pierre Grenand. Anthropologue à l’Observatoire « hommes-milieux du CNRS à St-Georges-de-l’Oyapock
Puis
la Guyane, morceau de France dans ce nord amazonien, oasis prospère
grâce aux subsides qu’elle reçoit de la Métropole, devient terre
d’accueil pour les migrants du Brésil, du Surinam, mais aussi de Haïti
et St Domingue. « Aujourd’hui, ce sont plus de 600 000 Brésiliens qui sont dans nos forêts, qui puisent dans nos ressources et prennent notre or. »
s’insurge la jeune maire de Saint-Georges, Fabienne Mathurin. Une
envolée très éloignée de la réalité – les scientifiques estiment plutôt à
15 000 – 30 000 le nombre d’orpailleurs travaillant illégalement en
Guyane et entre 40’000 à 200’000 étrangers y vivant en situation
irrégulière -, mais qui trahit un état d’esprit. 70% de ces migrants
seraient brésiliens.
Surpeuplement d’un territoire resté longtemps vide
Cette
invasion est un paradoxe car les français ont eu bien du mal à peupler
cette France équinoxiale à l’époque ! Entre 1503 et 1770, plusieurs
tentatives de peuplement ont été lancées, qui se sont toutes soldées par
des échecs. Ainsi, suite à la perte du Canada en 1763, Paris envoie en
Guyane les acadiens ayant fui les territoires devenus anglais. 10’000 à
15’000 immigrants vont débarquer à Cayenne. Décimés par les fièvres et
les maladies, il ne seront plus que 1’000 en 1772. A quoi s’ajoutent
8’500 esclaves noirs africains importés à la même époque.
Il
faudra attendre 1852 et la création du bagne pour que Cayenne commence à
se peupler véritablement. Il faut dire que la loi française obligeait
alors les bagnards et leur famille à demeurer en Guyane après leur
libération autant d’années que celles passées derrière les barreaux. La
découverte des premier gisement d’or à la fin du XIX° fera le reste. A
la sortie de la Seconde guerre mondiale en 1946, le territoire abrite
23’000 habitants. Aujourd’hui, il compte officiellement 221’000
résidents.
Aujourd’hui,
au marché de St-Georges, on est sur la rive française de l’Oyapock, les
vendeurs parlent tous portugais. Comme la quasi-totalité des
marchandises présentées ici, ils viennent de l’autre côté du fleuve.
C’est illégal puisque les Brésiliens ont interdiction de traverser la
frontière guyanaise sans visa. Une mesure de discrimination
supplémentaire à leur égard : depuis 1996, les Brésiliens n’ont plus
besoin de visa pour se rendre en France métropolitaine. Mais il leur en
faut un pour passer en Guyane. Mais personne ne les contrôle.
Un pont qui rallume les divisions
A
cause du renforcement des postes douaniers, la mise en service du pont
sur l’Oyapock risque de rallumer les divisions entre la France et le
Brésil. Un paradoxe car cet ouvrage était censé unir les deux
territoires. « Un fleuve est souvent perçu comme une limite
géographique, une séparation, mais c’est une erreur. Il s’agit avant
tout d’un bassin de vie ». note Pierre Grenand. « Avant
2003 et la construction de la RN2 qui relie Saint-Georges à Cayenne, il
n’y avait pas une seule voiture à Saint-Georges. Les habitants vivaient
tournés vers le fleuve et le Brésil.. »
La
construction de l’ouvrage a commencé en 2008, à la suite d’un sommet
entre les Président Sarkozy et Lula, dans la ville-frontière française
de St-Georges, mais la décision de mettre l’ouvrage en chantier date de
1997 et revient à deux autres présidents : Fernando Henrique Cardoso et
Jacques Chirac. Les travaux du pont lui-même sont achevés depuis 2011 et
si tout va bien, il devrait être ouvert à la circulation avant fin
2013. Si tout va bien car du côté brésilien, le chantier d’aménagement
des accès à l’ouvrage est très en retard.
« Ce pont est avant tout un symbole de
la relance des relations franco-brésiliennes. Il est le fruit d’une
décision politique et non celui d’un besoin socio-économique local ou
régional », tranche Madeleine Boudoux d’Hautefeuille, assistante à l’observatoire du CNRS de St-Georges. « La
Guyane et l’Amapa ont des profils géographiques relativement similaires
(économie du bois). Du coup, ces deux territoires n’ont pas grand chose
à échanger » analyse Frédéric Piantoni spécialiste des questions
migratoires guyanaises à l’Institut de recherche et de développement
(IRD).
Un passage entre rien et rien
Le pont ne va pas modifier la donne
régionale sur le plan économique. Il n’y a qu’à emprunter les routes qui
partent des deux côtés de la frontière pour s’en rendre compte. Côté
français, la route est bitumée, mais elle emprunte une séries de ponts
étroits que des camions auraient bien du mal à passer. Côté brésilien,
une portion de 250 km n’est pas bitumée, ce qui rend la route
impraticable lors de la saison des pluies. On imagine mal 500 à 1000
camions de marchandises transitant chaque jour par cet axe.
D’autant
que cet itinéraire conduit de rien à rien ! La RN2 française finit à
Cayenne, son seul débouché est la base de Kourou au nord, ensuite plus
rien du côté du Surinam en direction de l’Amérique Centrale. La BR 156
s’arrête à Macapa, la capitale de l’Amapa, au bord du fleuve Amazone
dont la largeur à cet endroit dépasse les 40 km. Il faut prendre le
bateau ou l’avion pour rejoindre Belém et le reste du réseau routier
brésilien. « La seule chose qui risque de transiter par le pont, c’est la police des frontières », regrette Françoise Grenand.
Aux
dernières nouvelles, il reste 1,38 km de route à goudronner du côté
brésilien pour pouvoir commencer à construire le terminal douanier. Le
Secrétaire d’Etat aux transports de l’Amapa, Sergio Mineiro calcule que
544 jours sont encore nécessaire pour achever le chantier. Le pont sur
l’Oyapock ne pourra donc pas être ouvert à la circulation avant
septembre 2014. 3 ans après la fin de la construction proprement dite !
La marche de l'Histoire sur France Inter :
Par Jean Lebrun, du lundi au vendredi de 13h30 à 14h (émission du jeudi 29 août 2013), l'invité est Michel Samson pour son ouvrage "Une frontière française - Remonter l'Oyapock". Paru en 2013 aux éditions Wildproject. (30 minutes)
"La Guyane, une frontière française" :
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Source : article et photos VISION BRéSIL