jeudi 15 novembre 2012

Amérique latine : écologie et conflits socio-économiques

 Environnement 
et conflit 
en 
Amérique Latine

Par Renard Sexton, Groupe URD

Les conflits environnementaux sont un problème sérieux et souvent sous-estimé en Amérique Latine. Différents types de conflits environnementaux existent et leur impact sur les communautés locales est toujours négatif. Il est indispensable aujourd’hui que la communauté internationale de l’aide humanitaire et du développement comprenne la nature de ces conflits et voit le rôle qu’elle peut jouer pour y faire face.

Lorsque nous soulevons la question des conflits en Amérique Latine, la grande majorité des média, des décideurs politiques et de la communauté intellectuelle se concentre sur l’intensification de la lutte anti-drogue au Mexique, en Amérique Centrale, et dans une partie des pays andins (en particulier la Colombie, mais aussi l’Équateur, le Pérou et la Bolivie).

Les questions de drogue et de violence, très prégnantes, ont souvent dissimulé une tendance omniprésente et dangereuse à long-terme : la multiplication des conflits locaux socio-environnementaux, qui menace de saper les efforts de réduction de la pauvreté, de renforcer les divisions politiques et sociales, et finalement provoquer de profonds troubles sociaux dans la région. Au Pérou, emblème de la situation dans l’ensemble de la région, la direction gouvernementale chargée de médiation dénombrait 149 conflits actifs, dont 102 (68%) de nature environnementale [1].

Quatre principaux types de conflits liés aux ressources naturelles sont passés au premier plan ces dernières années en Amérique Latine, bien que ces questions ne soient pas nouvelles. La plupart sont le fruit de disputes sociales, politiques et économiques entre des groupes de population divisées par leurs orientations politiques ou par leurs origines ethniques, sociales et géographiques. Ces ressources environnementales et naturelles constituant à la fois un besoin pour les populations rurales et une source d’enrichissement pour les personnes ayant des relations d’influence, les querelles et conflits sont loin d’être inattendus.

Les gouvernements (locaux et nationaux), les communautés rurales et urbaines, le secteur privé et la société civile ont tous une part de responsabilité et un rôle à jouer pour évaluer, analyser et traiter la question dans la région. Cependant, les acteurs humanitaires et de développement, qu’ils soient locaux ou internationaux, sont aussi impliqués : à la fois en limitant l’escalade des conflits sociaux-environnementaux dans la région provoquée par le choix de programmes inadaptés, mais aussi en soutenant des actions visant la prévention de conflits et des efforts de transformation, en tant que partie indépendante bien informée et sensibilisée.

Les principaux conflits sociaux-environnementaux en Amérique Latine

On observe quatre types de conflits autour de l’environnement et des ressources naturelles en Amérique Latine. Ces catégories ne s’excluent en aucun cas l’une de l’autre, puisque les origines de beaucoup de conflit sont souvent imbriquées. Cependant, pour une description globale des types de conflits que l’on observe sur le terrain, ces catégories sont assez représentatives.

Les conflits fonciers

Les conflits fonciers en Amérique Latine ont une origine ancienne et douloureuse, liée à la période coloniale, où les colons espagnols et leurs descendants consolidaient souvent de grandes et exclusives exploitations terriennes, au détriment des communautés indigènes à travers la région. Durant le 20ème siècle, des projets de réforme agraire ont tenté de résoudre ce problème profondément ancré, avec différents degrés de réussite.

Malheureusement, dans la plupart des cas, les programmes de réforme agraire visant à gérer ces problèmes structurels d’accès à la terre ont crée des conflits. En Équateur par exemple, il arrive souvent que plusieurs parties aient des revendications légitimes sur certains terrains, comme c’est le cas dans la forêt protégée de Golondrinas [2]. Un groupe, les propriétaires terriens, a des droits de propriété sur des terrains qui sont parfois utilisés, mais souvent non cultivés ou à usage non productifs.

Pendant ce temps, les campesinos, les paysans, ont profité des droits qui leur ont été octroyés sous la réforme agraire durant les années 60 et 80, pour s’installer sur des terrains ‘non productifs’ et se lancer dans l’agriculture ou dans l’élevage de bétail. De même, beaucoup des zones concernées ont été décrétées zones protégées par le ministère de l’Environnement équatorien. Finalement, dans certains cas, les communautés indigènes ont des réclamations historiques sur des terres, qui parfois n’ont pas été résolues par l’État.

D’autres types de conflits fonciers touchent des zones urbaines, comme c’est le cas dans le nord de Bogotá en Colombie, concernant la création d’un parc naturel protégé dans une zone de forte valeur immobilière. Le conflit a vu ceux qui détiennent les clés du pouvoir (et qui manifestent leur opposition à la création du Parc Naturel) s’opposer aux écologistes, aux campesinos et aux intellectuels, qui pour leur part soutiennent le projet [3].

Les conflits liés à l’eau

Les plus importants conflits liés à l’eau dans la région ces dernières années ont pris une dimension internationale, les rivalités autour des ressources de rivières transfrontalières ayant presque mené à des affrontements armés.

En 2006, l’Uruguay a déployé ses troupes militaires afin de protéger une usine de pâtes et papiers qui était au cœur de quatre années de conflits avec l’Argentine quant à la gestion du fleuve Uruguay, limitrophe aux deux pays [4].

De même, la ligne de partage des eaux “ Siloli/Silala” entre le Chili et la Bolivie a longtemps été une zone de conflit, le dernier épisode datant de 1997, lorsque la Bolivie a annulé une concession datant de 1908 qui permettait à l’une des principales compagnies chiliennes d’extraction de cuivre d’utiliser de l’eau, alors que les revenus issus de l’exploitation du cuivre représentent environ un tiers du PIB chilien [5].

Les conflits locaux liés à l’eau représentent eux-aussi une grande préoccupation en Amérique Latine, en particulier lorsque cela concerne la propriété et l’accès, public ou privé. En 2000, les manifestations et les violences à Cochabamba en Bolivie pour l’accès à l’eau dans l’agglomération, auparavant non réglementé, ont amené le gouvernement bolivien à déclarer l’état d’urgence [6].

Les protestations, les troubles et violences ont duré presque un an et demi, provoquant de nombreux morts et des douzaines de blessés graves.

Les conflits des industries minières et extractives

Les plus grosses menaces de conflit proviennent du secteur des industries extractives, qui inclue l’exploitation minière, les petro-produits, et le bois destiné à la vente. Que ce soit artisanal ou industriel, d’importantes sommes d’argent sont en jeu dans les projets d’extraction, amenant corruption, violence, et divers impacts sociaux et environnementaux.

L’extraction des ressources naturelles a grandement contribué à la croissance économique en Amérique Latine durant la dernière décennie, et a constitué une part importante des recettes du gouvernement et de fortunes personnelles.

En Équateur et au Venezuela, parmi d’autres, la production de pétrole est la plus grosse source de revenus externes. De même, au Chili, en Bolivie et au Pérou, l’extraction représente la part de l’économie à la croissance la plus rapide, et la principale source de revenus privés et publics. Ainsi, les impacts des industries extractives – que ce soit en termes d’externalités sociales et environnementales, de faible distribution des bénéfices aux communautés locales et des richesses au niveau national – contribuent incontestablement à la prolongation des conflits.

Au Pérou, le développement de la mine de cuivre Majaz par un consortium d’entreprises internationales a été contesté par les communautés locales, qui, en 2005, ont organisé une manifestation sur le site, soldée par une violente répression policière, le passage à tabac et la torture de villageois durant 3 jours, et le décès de l’un d’entre eux [7].

L’exemple des méthodes de recherche artisanale de l’or dans la province d’Esmeraldas au Nord de l’Équateur caractérise bien les processus d’extraction traditionnels dans la région. Durant les dernières années, les prix de l’or ayant rapidement grimpés, des centaines de petits projets d’extraction ont démarré, utilisant des méthodes diverses, des machines légères et lourdes, des bombes à eau, des jets d’eau à haute pression et des bains de mercure.

Illégale par nature, en raison du manque de régulation et de permis, l’extraction et la recherche de l’or sont devenues liées aux trafics d’armes, d’êtres humains, d’argent et de drogue le long de la frontière avec la Colombie voisine [8]. L’armée équatorienne est intervenue en mai 2011, détruisant 63 des sites d’extraction, et établissant des postes et des aires de contrôle. Cette intervention a suscité une grande tension et des regains de violences périodiques, et seuls quelques rares efforts naissants de dialogue et de réponses.

Les conflits agro-alimentaires

Loin d’être négligeable, l’agriculture, industrielle et vivrière, est la dernière cause de conflits liés aux ressources naturelles en Amérique Latine. La plupart des conflits concernent la pêche, l’élevage de poissons et des produits d’exportation agricoles, comme les bananes et le café.


A la frontière limitrophe entre le Belize, le Guatemala et l’Honduras, les conflits liés à la pèche et aux ressources touristiques qui y sont associées se sont intensifiés ces dernières années : régulations conflictuelles, incursion de pêcheurs dans les eaux des pays voisins, et violations des quotas de pêche sont aussi à l’origine des problèmes de surpêche. Le manque d’informations et de communication, tout autant des pêcheurs que des autorités de chaque pays, n’ont fait qu’aggraver les confrontations, que ce soit au niveau local ou diplomatique. Les troupes militaires et le personnel de la zone protégée guatémaltèque et bélizienne ont souvent été impliqués, provoquant de violentes confrontations [9]. De constantes négociations, accompagnées d’une sensibilisation sur le terrain, au niveau local, sont vraiment la clef pour prévenir ces conflits permanents et potentiellement violents.

En Colombie, la chute des cours du café durant les années 90 a provoqué une augmentation de la violence, essentiellement liée à des politiques intérieures dans les zones de culture [10]. Dans les trois principales zones productrices de café, Quindío, Risaralda et Caldas, des études ont montré que les baisses des prix du café mènent toujours à un regain de violence, que ce soit lié aux actions de la guérilla des FARC ou des groupes indépendants [11].

Une dépendance excessive aux revenus du café limite la capacité des élites locales à maintenir la paix, et ceux qui ont rempli ce vide économique et hiérarchique qui en résultait sont souvent des acteurs de violence liés à l’économie de drogue, des armes et de la mafia en général.


Notes :

[1] Le défenseur du peuple (Defensor del Pueblo), gouvernement du Pérou (décembre 2011). Rapport des conflits sociaux No. 94.

[2] Sexton, Renard (29 novembre 2010). Transformación de Conflictos Socioambientales en el Bosque Protector ‘Golondrinas’, Fondation pour le Futur Latino-américain. Extrait le 9 février 2012. En espagnol, cliquer ici !

[3] Calderon, G.A., (octobre 2011). Proceso de declaratoria de la Reserva Forestal Regional del Norte de Bogotá. UNAC, presenté lors du 5 ème forum regional, Fondation pour le Futur Latino-américain (FFLA).

[4] Avila, P. (1 décembre 2006). Uruguay to Have Troops Guard Disputed Pulp Mill, Reuters. Extrait le 2 février 2012. En anglais, cliquez ici !
 
[5] Mulligan, B.M. (décembre 2010). The Silala/Siloli watershed in Bolivia/Chile : Lessons from the most vulnerable basin in South America, SARM2010 conférence internationale : "Transboundary Aquifers : Challenges and new directions". Extrait le 9 février 2012. En espagnol, cliquez ici !

[6] Reynolds, J. (21 juillet 2000). Multinational Company Thwarted By Local Bolivian Community, BBC News, World Business Archive. Extrait le 8 février 2012. En anglais, cliquer ici !

[7] Cobain, Ian. (18 octobre 2009). British mining company faces damages claim after allegations of torture in Peru, The Guardian. Extrait le 8 février 2012. En anglais, cliquez ici !

[8] Monsalve, E. R. (octobre 2011). Impactos generados por la minería de oro ilegal en el norte de la provincia de Esmeraldas, CID PUCESE, presenté lors du 5ème forum régional, Fondation pour le Futur Latino-américain (FFLA).

[9] Perez, Arlenie. (2009). Fisheries management at the tri-national border between Belize, Guatemala and Honduras, Marine Policy, No. 33 p. 195-200. Extrait le 8 février 2012. En anglais, cliquez ici !


[10] Dube, O. and Vargas, J.F. (2007). “Are all Resources Cursed ? Coffee, Oil, and Armed Conflict in Colombia.” Working Paper 2007-1, Weatherhead Center for International Affairs, Harvard University.

[11] Rettberg, Angelika. (2010). Violence in the Colombian Coffee Region after the Breakdown of the International Coffee Agreement. Latin American Perspectives, Issue 171, Vol. 37 No. 2, pages 111-132.


 Source : article du Groupe URD
Photos et cartes : crédits Wikipedia.org et AFP