était une invention franco-péruvienne
et de plus l’idée d’une femme ?
par Lionel Mesnard
Qui peut donc bien se cacher derrière une idée assez
fantasque, être à la fois une des premières féministes en France et en Europe,
et qui sait l’inspiratrice de Karl Marx et son compère Engels ? Elle est
en plus pour moitié péruvienne et a sauté sur les genoux de Simon Bolivar
enfant. Vous commencez à voir de qui il s’agit, non pas vraiment, pourtant des
rues, des écoles portent son nom, un patenté « philosophe » de la
télé voulait récemment la rentrée dans une petite case et en faire une figure
libertaire. Les connaisseurs auront
reconnu Flora Tristan, ce personnage finalement peu connu du grand
public.
La télévision a un peu tendance à nous présenter « les
grandes figures » de l’histoire de France sous les traits d’une histoire
officielle très classique. Le sentiment est de revenir des années en arrière
quant à la transmission de l’Histoire ou seul les « grands hommes »
dominent. C’est généralement pompeux, d’une préciosité ridicule et ne donne pas
grand-chose à comprendre à l’histoire des Hommes. Certes il y a un côté revue
un peu poussièreuse des animateurs télé et de l’autre ce que l’on appelle le
peuple ou la population, c’est-à-dire cette masse que l’histoire officielle
n’aime pas vraiment.
Il est difficile de mettre Flora Tristan dans une case
politique, pourtant elle va influencer le mouvement ouvrier naissant et de
nombreux courants à gauche. Anarchiste, Libertaire, Socialiste utopique, ...
Elle est toutefois le chaînon manquant entre Gracchus Babeuf, le proto
communiste et Marx et Engels, les pères du Socialisme scientifique.
L’on sait par ses écrits que Marx a été un vif dénonciateur
des socialismes utopiques ou bourgeois, mais Flora échappe à la règle car son engagement dépasse les bornes des
socialismes utopiques. Elle est plutôt un précurseur, pour ne pas dire une
pionnière du mouvement ouvrier. L’Union des ouvriers et ouvrières, dont elle
sera le fer de lance, va avoir une influence dans les prises de positions
intellectuelles et politiques des deux hommes.
Une évidence ou un point commun avec la pensée de Flora
Tristan, réside en l’idée d’organiser le prolétariat, de participer à son
émancipation. Marx n’a pu avoir aucune influence sur elle en raison d’un
décalage de génération, quand ce dernier finit ses études en 1839, cinq ans
après, Flora Tristan décède à Bordeaux.
La même année, c’est la rupture franche et massive avec
Edgar Bauer et la rédaction en 1844 de la Sainte Famille, ou Flora Tristan est
mentionnée et par la même défendue face à « la Critique, critique »
de Bauer, qui n’accepte pas l’idée qu’un ouvrier soit un créateur et non pas le
produit de quelque chose d’inachevée, où l’ouvrier devrait en quelque sorte se
résigner à sa condition.
Marx et Engels ont lu les ouvrages de la franco-péruvienne,
et il n’a pu leur échapper la radicalité de son engagement. L’on retrouvera
sous la plume de nos deux auteurs, des mots, des idées ou conceptions très
proches, qu’ils développèrent à leur tour, notamment dans le Manifeste du parti
Communiste.
Même si Saint-Simon et Charles Fourrier seront ses premières
influences, Flora Tristan dans ses dernières années va mettre en pratique ses
idées, elle va aussi théoriser son action, elle va surtout chercher dans son
militantisme à contribuer à l’organisation du prolétariat. Comment imaginer
qu’un « petit bout de femme » va aller à l’encontre de l’ordre établi et devra le faire
d’abord en tant que femme et ouvrière.
Plusieurs traits pourraient caractériser Flora Tristan. Le
premier trait qui vient à l’esprit, sa révolte. Fruit de son refus de sa
condition de femme et d’ouvrière et aussi de la commune morale de son temps.
Elle a aussi l’énergie de ses origines péruviennes ou latino-américaines, même
si elle n’a connu qu’assez tardivement la terre de sa famille paternelle. Elle
n’oublia pas qu’elle sauta toute jeune sur les genoux de Simon Bolivar et
suivit jeune femme ses victoires andines.
Ce qui frappe et étonne, c’est son tempérament, cette foi
qu’elle manifeste avec ardeur, ses choix tranchés pour échapper à cette
condition ne lui convenant pas. Les routes de l’émancipation de Flora Tristan
passent par une multitude de déchirures, d’abord, comment, se débarrasser d’un
mari dans une époque où il n’est pas possible de divorcer, et que les lois sont
au service d’un ordre patriarcal, où les femmes ne disposent d’aucune égalité
et sont violentées, si elles ne répondent pas au devoir conjugal.
Sur le plan de la morale commune, vouloir vivre sans son
époux est condamné et il ne fait pas bon vivre hors de la norme admise. Flora
après s’être enfuit de chez son mari violent, après quelques années de mariage
et trois enfants à la clef, elle devra user de stratagèmes en se dissimulant
certains aspects de son identité. Elle n’est pas simplement une pionnière du
socialisme, mais aussi une féministe importante dans l’histoire de
l’émancipation des femmes.
Sa capacité à analyser, à observer et critiquer (bien
qu’autodidacte et d’une orthographe incertaine), elle a su penser le monde, le
sien, comme celui des autres, comme une donne universelle. Le mot paria lui
colle à la peau comme nulle autre, et au lieu d’en faire l’enjeu d’une
souffrance, Flora Tristan s’essaie avant les deux pères du socialisme
scientifique de combattre la morale bourgeoise. Elle se rêve, ou elle s’aspire
comme une aristocrate, jusqu’à se heurter aux réalités.
Être à la fois ouvrière et descendre d’une des plus grandes
familles de l’aristocratie du Pérou s’entrechoque jusqu’à s’annuler. Elle ne
comprend pas cette soumission à l’ordre des choses, elle veut convaincre,
quitte à jeter un regard très critique sur les ouvriers qu’elle rencontre lors
de son tour de France lors de ses dernières années. Elle ne cache pas ses
désaccords, la colère n’est jamais loin, c’est peut-être ce trait de caractère
qu’il faut retenir.
Dans cet acharnement à ne pas suivre les règles imposées,
Flora agit impulsivement et elle ira jusqu’au bout de ses forces. Elle qui
aurait pu être promise à un destin confortable, du moins en eut le goût et la
saveur de sa petite enfance, elle vivra pauvre jusqu’à la fin de ses jours.
L’écriture, avec son livre la Paria, vont lui permettre de faire part de cette
colère sans cesse l’agitant.
Est-elle un personnage romantique ? Oui dans une
perception souffrante. Non si l’on tient compte de son énergie somme toute
épuisable et nocive, qui lui permettront de devenir une intellectuelle engagée au sens
plein. Si elle n’avait été qu’une exaltée, un passionnée, trait que l’on aime
bien attribuer aux latins, cela ne pourrait suffire à expliquer la densité de cette
femme incroyable qui flirte entre deux mondes.
Œuvres de Flora Tristan :
1835 : « Nécessité de faire un bon accueil aux femmes
étrangères », éd. Denys Cuche, postface de Stéphane Michaud, Paris,
L'Harmattan, 1988.
1837: « Pérégrinations d'une paria ». INDIGO & Côté-Femmes éd. Paris Tome 1 , 1999 ; tome 2, 2000
1837: « Pérégrinations d'une paria ». INDIGO & Côté-Femmes éd. Paris Tome 1 , 1999 ; tome 2, 2000
1838 : « Méphis », introduction de Pascale Hustache, Paris,
Côté-Femmes Editions, 1995.
1839 : « Promenades dans Londres » INDIGO & Côté-Femmes
éd. Paris, 2001
1843 : « L'Union ouvrière », éd. D. Armogathe et J. Grandjonc, Paris, Ed. Des femmes, 1986.
1843 : « L'Union ouvrière », éd. D. Armogathe et J. Grandjonc, Paris, Ed. Des femmes, 1986.
1843-1844 : Le Tour de France, journal inédit : notes de
Jules Puech. Ed. La tête de feuilles,
1846 : « L'émancipation de la femme, ou le testament de la
Paria ». Ouvrage posthume de Madame Flora Tristan, complété d'après ses notes
et publié par A. Constant, La Vérité, Paris, 1846