Par Katherine Ronderos
HermelindaClaret Simon Diego fait partie des manifestants qui s’opposent à la constructiond’une centrale hydroélectrique par la société espagnole Hidro-Santa Cruz S.A.(Ecoener – Hidralia Energía) dans sa ville natale de Barillas, au
Guatemala. Elle déclare à ce sujet : « J’ai été accusée de délits que je n’ai
jamais commis. On m’a accusée d’être impliquée dans l’incendie de machines et
d’avoir menacé la sécurité de la compagnie.
Dans ma ville, les leaders – hommes et femmes – sont persécutés pour des délits commis par d’autres personnes, les gens ont peur et sont très inquiets ». Mme Simon Diego, faussement accusée de faire partie d’une organisation clandestine criminelle dans le cadre de la loi contre le trafic de drogue, a fait l’objet d’un mandat d’arrêt de trois mois, levé en septembre 2012.
Dans ma ville, les leaders – hommes et femmes – sont persécutés pour des délits commis par d’autres personnes, les gens ont peur et sont très inquiets ». Mme Simon Diego, faussement accusée de faire partie d’une organisation clandestine criminelle dans le cadre de la loi contre le trafic de drogue, a fait l’objet d’un mandat d’arrêt de trois mois, levé en septembre 2012.
En mai 2012, des membres du personnel et des
sympathisant-e-s de WONETHA,
un centre d’accueil qui œuvre en faveur de la santé et du bien-être économique
et social des travailleuses du sexe adultes en Ouganda, ont été arrêtées sans
être informées des chefs d’accusation qui leur étaient imputés.
Après trois
jours de détention, les
cinq femmes ont été accusées de vivre de la prostitution conformément à la
Section 136 du code pénal, chapitre 120, qui établit une peine de sept ans
d’emprisonnement. Même s’il est vrai que le travail de sexe est illégal en
Ouganda, fournir des services et appuyer les travailleuses de sexe ne l’est
pas. Les chefs d’accusation ont été retirés quelques mois plus tard, mais ce
type de harcèlement et d’accusation a des conséquences négatives pour les
défenseures, qui doivent consacrer du temps et des ressources à leur défense
juridique ainsi qu’à la protection de leur réputation pour pouvoir défendre
efficacement les droits humains.
Esperlita Garcia, connue pour son opposition aux projets
d’exploitation minière et sa lutte contre le projet de loi sur la
cybercriminalité aux Philippines, signale : « Je suis maintenant contre ce qui
semble être une conspiration, dans laquelle les fonctionnaires des organismes
gouvernementaux font tout pour me coincer ». Elleest accusée de libelle et de diffamation verbale pour avoir posté des critiquessur son Facebook. Après avoir passé une nuit en détention, Garcia a été
libérée sous caution le 19 octobre 2012.
Ces trois exemples permettent d’illustrer la manière dont
les États utilisent la législation existante pour restreindre, pénaliser et
délégitimer le travail mené par les défenseures.
Le document publié en 2007 par la Coalitioninternationale des femmes défenseures des droits humains intitulé Exigernos droits, exiger la justice mettait au point une typologie initiale des dispositions légales et des pratiques visant à restreindre l’activisme des femmes. Il s’agit d’un outil précieux pour mieux comprendre la criminalisation des défenseures.
Le document publié en 2007 par la Coalitioninternationale des femmes défenseures des droits humains intitulé Exigernos droits, exiger la justice mettait au point une typologie initiale des dispositions légales et des pratiques visant à restreindre l’activisme des femmes. Il s’agit d’un outil précieux pour mieux comprendre la criminalisation des défenseures.
La criminalisation et l’utilisation des cadres juridiques
pour contrôler les activités des défenseur-e-s des droits humains sont au cœur
du dernier rapport élaboré par la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la
situation des défenseurs des droits de l’homme, Mme Margaret Sekaggya. Ce
rapport est un recueil d’évaluations réalisées par d’autres Rapporteurs
spéciaux[1]
sur la manière dont les différentes législations exercent un contrôle et une
restriction des activités menées par les défenseur-e-s.
Ce rapport évoque la Déclaration des Nations Unies sur les défenseurs des droits de l’homme, qui établit des
dispositions contre l’utilisation arbitraire de la législation aux fins de
restreindre les activités, en signalant que celle-ci constitue un outil
important pour protéger les défenseur-e-s des droits humains.
Dans son rapport, la Rapporteuse spéciale passe en revue les
types de législation qui ont une incidence sur le travail mené par les
défenseur-e-s des droits humains, y compris les lois sur : la lutte contre le
terrorisme et la sécurité nationale ; la moralité publique ;
l’enregistrement, le fonctionnement et le financement des associations ;
l’accès à l’information et aux secrets d’État ; la diffamation et le blasphème,
et ; l’accès à l’Internet. Toutes ces catégories sont importantes, mais
aux fins du présent article, nous nous intéresserons ici de plus près à quatre
de ces dimensions qui ont une incidence sur les femmes défenseures des droits
humains.
La lutte contre le terrorisme et la sécurité nationale
Les défenseures au Zimbabwe
dénoncent en permanence les arrestations arbitraires et les violations du droit
de réunion pacifiquedont elles sont victimes. Le nombre accru de gouvernements
ayant recours aux lois anti-terroriste et/ou sur la sécurité nationale pour
arrêter, poursuivre, emprisonner et harceler les défenseures suscite une vive
préoccupation dans le monde entier. D’après la Rapporteuse spéciale, ces
législations « revêtent un caractère tellement général que tout acte
pacifique véhiculant une différence d’opinion rentre dans la définition d’un
acte terroriste ou d’un acte de nature à faciliter, soutenir ou promouvoir le
terrorisme[2]
».
La moralité publique
En Mésoamérique, les défenseures qui œuvrent en faveur des
droits sexuels et reproductifs des femmes et de la dépénalisation de
l’avortement[3]
sont les plus touchées par la criminalisation et les pratiques diffamatoires de
la part de l’État, de groupes privés et des médias. Le rapport de la
Rapporteuse spéciale insiste particulièrement sur l’importance cruciale des
défenseur-e-s du droit à la santé sexuelle et reproductive pour la promotion,
la protection et le respect des droits humains des femmes, en soulignant
que ces « activités ne doivent pas être passibles de sanctions pénales[4] ».
Un appel a été lancé en faveur d’une politique de tolérance zéro à l’égard du
harcèlement judiciaire dont sont victimes les défenseur-e-s du droit à la santé
sexuelle et reproductive, et les États dotés d’un cadre juridique garantissant
ce droit « doivent s’assurer que ces lois sont appliquées sans
discrimination aucune[5]
».
Les restrictions juridiques imposées au fonctionnement
De plus en plus souvent, les États élaborent des
législations qui ont une incidence sur le fonctionnement juridique des
organisations de femmes et visent à restreindre le travail mené par celles-ci.
Le rapport de 2005 intitulé Written
Out: How Sexuality is Used to Attack Women’s Organizing signale que
suite aux attaques du 9 septembre, le gouvernement des États-Unis a mis en
place un ensemble de restrictions financières et supposément liées au
terrorisme touchant toute organisation finançant des groupes basés à l’extérieur
du territoire américain. Ces politiques établissent que ce type d’organisation
de financement doit dorénavant prouver que les groupes destinataires des fonds
ne sont d’aucune manière impliqués dans des activités terroristes[6].
La Rapporteuse spéciale exprime sa préoccupation devant le
développement de législations permettant aux autorités de superviser les
activités des organisations de la société civile.
Le rapport évoque des
informations confidentielles reçues par la Rapporteuse spéciale qui rendent
compte des exigences de soumission de rapports imposées aux organisations de la
société civile (OSC) pour que celles-ci puissent conserver leur autorisation de
fonctionner, la surveillance dont font l’objet les OSC, la confiscation de
documents sans aucun préavis et la restriction de l’accès aux financements
étrangers et la limitation de celui-ci à 10% de leur revenu total annuel.
De même, des restrictions dans certains domaines ont été
imposées aux organisations des droits des femmes, notamment celles qui œuvrent
en faveur des droits politiques et celles utilisant le langage des droits
humains dans les objectifs de leurs organisations. Les défenseures sont
confrontées à des exigences excessives pour pouvoir fonctionner en toute
légalité qu’elles ont du mal à satisfaire.
Il arrive même dans certains cas que
les documents qui leur sont exigés mettent en risque les défenseures. Cette
tendance au contrôle et aux restrictions juridiques mine et délégitime le
travail mené par les défenseures et leurs organisations, du fait que les
ressources et le temps requis pour répondre à de telles exigences dissuade les
défenseures des droits des femmes de former des organisations.
La diffamation
Bien que la législation en matière de diffamation ait pour
but de protéger la réputation d’une personne face à des attaques fausses et
malveillantes, les cadres juridiques à cet égard tendent à masquer des intérêts
politiques ou économiques afin de se protéger des critiques publiques et des
accusations de corruption. Les lois sur la diffamation sont rarement utilisées
pour protéger les défenseures, mais elles sont en revanche souvent utilisées
pour limiter leur liberté d’expression, comme le montre le cas d’Esperlita
Garcia, précédemment évoqué.
L’Évaluation mésoaméricaine de la violence contre les femmes défenseures des droits humains
signale que la diffamation est l’une des formes de violence les plus courantes
à l’encontre des défenseures dans la région, exercée par l’État, des groupes
privés et les médias[7].
Le rapport de la Rapporteuse spéciale souligne que des pénalités sont imposées
aux défenseures qui critiquent des représentants gouvernementaux ou la
législation religieuse. Les codes pénaux établissent des pénalités pour
diffamation ou blasphème pouvant allant du paiement d’amendes à des peines d’emprisonnement
de plusieurs mois. Ces dispositions empêchent les défenseures de
responsabiliser les autorités publiques ou les leaders religieux.
Recommandations
Les 26 recommandations présentées dans le rapport de la
Rapporteuse spéciale visent à assurer que les législations nationales soient
conformes aux principes des droits humains fondamentaux consacrés dans leurs
constitutions et à la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’homme afin
de promouvoir un environnement de travail favorable aux défenseur-e-s des
droits humains. Une attention particulière doit être accordée à la législation
afin de répondre aux besoins et aborder la situation des défenseures, notamment
celles qui œuvrent en faveur du droit à la santé sexuelle et reproductive.
Le rapport lance un appel important : « Les États doivent
abroger les lois qui, au regard de l’objectif affiché de préserver la moralité
publique, incriminent les activités des défenseurs des droits de l’homme
relatives à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre ».
Enfin, la recommandation suivante de la Rapporteuse spéciale
est fondamentale pour garantir l’inclusion et la pleine participation des
défenseures à la société civile : « Les États doivent s’assurer que
la société civile, les institutions nationales des droits de l’homme et les
autres parties prenantes sont impliquées dans le cadre d’un large processus de
consultation afin de garantir la conformité du nouveau projet de législation à
la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’homme et d’autres instruments
internationaux pertinents relatifs aux droits de l’homme ».
Notes :
[1]
Le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme
dans la lutte antiterroriste ; le premier rapport du Rapporteur spécial sur le
droit de réunion pacifique et la liberté d’association (mai 2012, A/HRC/20/27)
qui présente une évaluation des meilleures pratiques concernant ces droits ;
deux rapports importants du Rapporteur spécial sur la promotion et la
protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression (A/66/290 et
A/HRC/20/17) ; le Rapporteur spécial sur le droit qu’a toute personne de jouir
du meilleur état de santé physique et mentale possible (A/66/254), qui aborde
des questions liées à l’utilisation de la législation qui sont pertinentes dans
le contexte du travail mené par les défenseur-e-s des droits humains.
[2] Rapport de la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, 10 août 2012, A/67/292.
[3]Violence against women human rights defenders in Meso-America. An assessment in progress, mise à jour 2010/2011.
[4] Rapport de la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, 10 août 2012, A/67/292.
[5] Ibid.
[6]Cynthia Rothschild, “Written Out: How Sexuality is Used to Attack Women’s Organizing”, Commission internationale des droits humains des gays et lesbiennes (International Gay and Lesbian Human Rights Commission, IGLHC) et Centre pour le Leadership Mondial des Femmes (Center for Women’s Global Leadership, CWGL), 2005.
[7] Violenceagainst women human rights defenders in Meso-America. An assessment in progress, mise à jour 2010/2011.
Source : Awid droits de femmes