Par Anne-Sophie Pillot, Ecole de la paix
En octobre 2012, Anne-Sophie Pillot, lors d’un déplacement
en Colombie, s’est entretenue avec Luis Guillermo Guerrero, l’actuel directeur
du Centre d’Investigation et d’Education Populaire (CINEP), à Bogota. Dans cet
entretien, celui-ci fait part de la vision des acteurs de la société civile
colombienne alors que s’ouvraient les négociations entre les FARC-EP et le
gouvernement pour tenter de trouver une issue au conflit qui ravage le pays
depuis des décennies en prenant la population en otage.
Qu’apporte l’internationalisation du conflit aux
négociations en cours ?
Tout d’abord, il s’agit de la quatrième tentative de négociation
de paix, on a tiré les leçons du passé ; négocier loin des caméras, de la
classe politique et de l’opinion publique élargit les marges de manœuvre des
protagonistes. Le rôle de la communauté internationale a grandi, et deux
grilles de lecture sont possibles :
D’un côté, la communauté internationale crée un climat de
confiance entre les parties (pendant la période dite de la « Violencia » –
guerre civile très sanglante qui opposa les deux principaux partis politiques
en Colombie, entre 1949 et 1957 -
on était parvenu à un accord en Espagne). C’est également une ouverture
vers les pays latino-américains, qui souhaitent tourner la page du conflit.
Leur rôle dans ce processus est qualifié de deux sortes : d’un côté, les pays « garants » comme Cuba, le Chili et le Venezuela (qui incarnent les deux extrémités de l’éventail politique latino-américain), sortes de médiateurs dans le processus qui seront certainement écoutés – c’est vrai surtout pour le président bolivarien, qui dispose de liens privilégiés avec les FARC sans pour autant approuver leur stratégie de la lutte armée – et de l’autre, les pays « facilitateurs » ou « accompagnateurs » comme la Norvège, chargés de fournir la logistique nécessaire.
Leur rôle dans ce processus est qualifié de deux sortes : d’un côté, les pays « garants » comme Cuba, le Chili et le Venezuela (qui incarnent les deux extrémités de l’éventail politique latino-américain), sortes de médiateurs dans le processus qui seront certainement écoutés – c’est vrai surtout pour le président bolivarien, qui dispose de liens privilégiés avec les FARC sans pour autant approuver leur stratégie de la lutte armée – et de l’autre, les pays « facilitateurs » ou « accompagnateurs » comme la Norvège, chargés de fournir la logistique nécessaire.
De l’autre, une interprétation plus ambitieuse y voit la
reconnaissance du caractère international du conflit armé colombien. En effet,
la Colombie a une position géostratégique majeure en Amérique Latine : seul
pays bi-façade tourné à la fois vers l’océan Pacifique et vers l’océan
Atlantique, qui possède l’un des marchés les plus intéressants de la drogue.
Seul 5% des revenus sont réinvestis en Colombie, ce qui signifie que 95% des profits restant alimentent les marchés mondiaux, ce qui en fait une source importante de l’économie mondiale. A quoi s’ajoute le problème du commerce mondial des armes. Cette grille de lecture est la plus compliquée pour la communauté internationale qui ne semble pas encore disposée à reconnaitre sa part de responsabilité.
Seul 5% des revenus sont réinvestis en Colombie, ce qui signifie que 95% des profits restant alimentent les marchés mondiaux, ce qui en fait une source importante de l’économie mondiale. A quoi s’ajoute le problème du commerce mondial des armes. Cette grille de lecture est la plus compliquée pour la communauté internationale qui ne semble pas encore disposée à reconnaitre sa part de responsabilité.
Pourquoi les FARC reviennent-elles à la table des négociations
?
Le nouveau rapport de force en Colombie, dans la région et
le monde, rend possible la conclusion de nouvelles négociations. Les FARC sont
en effet usées :
Militairement
: les forces armées colombiennes se sont renforcées depuis le début des années
2000 et ont acquis une forte capacité de combat, tactiquement et
technologiquement (NB : elles ont été formées par l’armée étasunienne dans le
cadre du Plan Colombie). Les FARC sont militairement acculées, le message
envoyé par le gouvernement est clair: on bombarde vos campements ou vous
négociez.
Humainement : le coût humain du conflit est considérable. Les chefs
historiques des FARC ont soit disparu (des dizaines de ses dirigeants ont en
effet été arrêtés ou tués) soit se sont lassés. Leurs enfants, petits-enfants,
n’aspirent pas à ce mode de vie. En outre, il y a une dénaturation totale du
conflit : pour grossir leurs rangs, elles doivent embaucher des mercenaires qui
constituent une main d’œuvre volatile et opportuniste, passant d’un camp à l’autre
(paramilitaires, trafiquants de drogue) pour une meilleure rémunération. De
plus, face à la misère dans les campagnes, les paysans ne s’engagent souvent
que pour bénéficier des mesures de démobilisation ensuite offertes par le
gouvernement.
Politiquement
: quant à la stratégie de combinaison de toutes les formes de lutte. En effet,
cela ne leur a pas permis d’accéder au pouvoir. Ils sont donc en quête d’un
nouveau scénario.
En quoi ce processus est-il différent des précédentes
négociations ? Quels sont ses opportunités et ses obstacles?
Les FARC ont perdu une grande part de légitimité au sein de
la population. La société colombienne désire aujourd’hui plus que par le passé
la fin du conflit. Le gouvernement de Juan Manuel Santos a également multiplié
les signes d’ouverture depuis son arrivée au pouvoir, comme le vote d’une loi
sur les victimes du conflit et la restitution des terres. Il a également fait
voter un « cadre légal pour la paix » pour pouvoir négocier le retour des
guérilleros à la vie civile.
Néanmoins, les doutes sur l’intention des FARC de déposer
les armes persistent ; même si elles sont acculées et sont sur une position
défensive, elles ont déjà démontré leur étonnante capacité de résistance et
d’adaptation. Leur discours est problématique pour la paix : elles continuent
de se représenter comme des « victimes » du conflit en éludant leurs propres
responsabilités. Dès lors, leurs appels à la négociation pourraient n’être
qu’un rideau de fumée pour regagner une certaine légitimité et réduire
l’offensive militaire.
En outre, l’organisation n’est plus aussi unie que par le
passé, ce qui laisse planer un doute sur le devenir des négociations : si ses
leaders réclament une participation politique, ce n’est pas le cas des niveaux
intermédiaires et des guérilleros. La crainte est celle de l’autonomisation des
fronts les plus actifs et la poursuite de leurs activités militaires au niveau
local. Ce fut le scénario des groupes paramilitaires démobilisés : la fin de
l’affrontement armé n’a pas signifié la réduction des niveaux de violence. Il y
eut une démobilisation formelle avec la poursuite parallèle des actions
violentes par de petits groupes armés non hiérarchisés.
Prendre en compte les différences régionales est donc
fondamental. Aujourd’hui il n’y a pas un mais des conflits armés (l’un d’entre
eux a lieu dans le Choco, depuis une quinzaine d’années. Il est différent de
celui qui se déroule dans les plaines orientales, qui a vu naitre les
FARC). Pour réussir la paix, il
faudra décentraliser les négociations et ne pas en rester à la cupule de
l’organisation, au risque de n’être qu’un ornement. C’est au niveau régional
que se trouve la vraie solution du conflit armé.
Quant à l’agenda des négociations lui-même, pour être
ambitieux, il n’en est pas moins exempt de difficultés, en particulier en ce
qui concerne le premier point des négociations, c’est-à-dire la « politique de
développement agraire intégrale », qui constitue le cœur du conflit.
En effet, il y a une grande contradiction dans le traitement par le gouvernement de deux thèmes proposés: d’une part, celui des ressources énergétiques, pour lesquelles il est fait appel aux investissements étrangers, et d’autre part, la question du développement rural, pour laquelle a été votée une loi de restitution de terres aux victimes du conflit. D’autant plus que si ces questions font ou ont déjà fait l’objet d’un traitement gouvernemental, on s’interroge sur ce qui va encore pouvoir être négocié.
En effet, il y a une grande contradiction dans le traitement par le gouvernement de deux thèmes proposés: d’une part, celui des ressources énergétiques, pour lesquelles il est fait appel aux investissements étrangers, et d’autre part, la question du développement rural, pour laquelle a été votée une loi de restitution de terres aux victimes du conflit. D’autant plus que si ces questions font ou ont déjà fait l’objet d’un traitement gouvernemental, on s’interroge sur ce qui va encore pouvoir être négocié.
En ce qui concerne le sujet des victimes, il présente également certaines
difficultés pour la construction de la paix, car on se focalise sur les
victimes des FARC alors qu’il y en a beaucoup d’autres, des propres forces
armées ou des paramilitaires(environ 3.000.000 de déplacés selon les chiffres
officiels, mais en réalité, ils sont plutôt 6.000.000).
Enfin, ces négociations de paix ne concernent que 5% de la
population. Qu’arrivera-t’il après ? A terme, l’objectif doit être bien sur
d’associer la population à ces débats, afin de construire une paix durable.
Source : article Ecole de la Paix,
publié le 9-11-2012