Haïti, Cuba,
les victimes oubliées
de l'ouragan Sandy
« misère et pauvreté
du journalisme d’actualité »
Par Ivan de la Pampa
Il serait inconvenant de ne pas manifester une critique sur
le contenu de l’information télévisée et plus particulièrement sur le paysage audiovisuel
français (le PAF). De comment, il n’a pas été traité de la situation s’étant
déroulée en Haïti et à Cuba. Seul vraiment Daniel Schneidermann s’est interrogé
sur un ton ironique (lire en bas de page) sur le déséquilibre, que chacun aura
pu constater dans le traitement de l’information.
Nous aurions pu nous croire un instant cette semaine vivre
du côté du New Jersey. Plusieurs jours d’affilés l’ouragan Sandy sur la TNT
domine tout et nous voilà embarqué dans une démesure et face à ce que l’on peut
appeler « misère et pauvreté du journalisme d’actualité ».
Ce fut une semaine de télévision ubuesque, ou nous aurions
pu nous croire devenu étasunien sans le savoir… Il manquait le pop-corn et la
canette de soda, et les 2 sœurs jumelles BFM TV et iTélé y sont allées à plein
tube et avec des moyens techniques très classiques, depuis l’arrivée du secteur
privé dans l’audiovisuel français dans les années 1980.
Des moyens assez pauvres au passage, car le flot des images
est surtout le fait de ce que l’on appelle les « braodcasters » ou
diffuseurs, qui sont aux mains de grands groupes audiovisuels souvent
étasuniens, et ce sont eux qui vendent directement des images sur les
« grands événements planétaires » aux chaînes de télévision du monde
entier. Il faut savoir que 80% des images de télévision ou du flux circulant
dans le monde sont le fait d’entreprises ou de groupes de communication aux
Etats-Unis.
La manière dont a été traité l’ouragan Sandy, il y avait là
tout d’une réminiscence de l’ancienne cinquième chaîne de Berlusconi, quand
elle couvrit la première guerre du Golfe en 1991. Nous avons eu droit à des
commentaires insipides à foison, ou des images passées à l’excès. Sur le fond,
des informations mineures avec des correspondants obligés de se montrer sur
fond de plage pour constater la force du vent ou la hauteur des vagues et en
attendant que le gros de la dépression ne leur tombe sur la tête.
Puis une fois, le gros de l’ouragan passé, certains plans
marqueront sans doute l’histoire de la télévision avec de formidables séquences
sur des générateurs électriques. Le tout en nous balançant à minima une dizaine
de fois les mêmes images, en changeant à minima le contenu rédactionnel, en
répétant jusqu’à l’ennui, le néant.
En clair, comment ne pas ressentir une petite nausée,
comment ce qui n’a qu’un intérêt mineur devient une bouillie d’empathie mal
placée ? Aussi bien pour les victimes Etasuniennes, Haïtiennes ou
Cubaines, car pourquoi ce gigantisme loufoque pour les uns et cette
illustration du néant quand il s’agit d’un drame répétitif pour ces
derniers ?
Fallait-il donner tant d’importance à un phénomène
climatique ? Il va de soit que non, mais le hic fut aussi que, l’ouragan
Sandy occasionna de lourds dommages en Haïti et à Cuba : 65 ou 79 morts et
aux Etats-Unis et au Canada un peu plus de 100 morts. Mais il semblerait que
certaines victimes n’ont pas droit au même intérêt.
Et il importe peu, si ce nouveau coup porté aux deux îles
n’aidera qu’à enfoncer encore un peu plus les populations dans la misère ou la
désolation. Sachant qu’Haïti ne s’étant pas remis du tremblement de terre de
janvier 2010 a vu sa production agricole très fortement touchée par l’ouragan
(104 millions de dollars de dégât) et que l’île risque de faire face à une
grave crise alimentaire et qu’il reste encore au moins 200.000 sans abri à
reloger en Haïti. Mais ce type d’information n’a semble t’il pas sa place sur
nos écrans, ou si peu.
SANDY,
PORT AU PRINCE, NEW YORK, par Daniel
Schneidermann, le 30/10/2012
Des dizaines de morts, de disparus, et de blessés; des familles ensevelies dans des maisons
écroulées; plusieurs villes encore coupées du monde, inaccessibles aux secours;
des routes et des ponts endommagés; le Premier ministre lui-même allant
distribuer, devant les caméras, des vivres aux victimes: en Haïti, Sandy a été encore plus meurtrière que ce que l'on pouvait
redouter. D'autant que certaines
victimes ne s'étaient pas encore remises du passage de l'ouragan Isaac, en août
dernier.
Devant de telles scènes de désolation, il ne faut pas hésiter à le reconnaître: il est
tout à fait logique que les médias français nous aient tenus en haleine avant
même le passage du cyclone. Chacun a bien rempli son rôle. Les journaux
télévisés ont multiplié les interventions en direct, en plein vent et sous la
pluie, des envoyés spéciaux. Les photographes ont câblé les images les plus
sensationnelles.
Les commentateurs ont supputé les conséquences de politique
intérieure. Les reporters ont sollicité les témoignages des expatriés français.
Les sites de presse ont appelé aux témoignages des internautes. Des exemples
concrets, tel celui de l'agriculteur de Savane Grande Robert Sénatus, dont l'ouragan a emporté les
deux boeufs, ont aidé le grand public, habituellement trop indifférent, à prendre
la mesure de l'événement. Pour une fois que les médias ont correctement couvert
une catastrophe frappant un pays peu médiatisé, nul ne saurait s'en plaindre.
Dernière minute: fatale distraction ! On me signale que j'avais mal regardé, mal vu, mal écouté. Les reportages radio-télévisés sus-mentionnés concernent en fait une localité continentale nord-américaine du nom de New York, qui a concentré sur elle l'ensemble de la couverture médiatique planétaire de l'ouragan au point que les reportages sur un événement ne s'étant pas encore déroulé, ont supplanté les compte-rendus d'une catastrophe effectivement advenue. Sur les circonstances et les raisons de cette étonnante distorsion, nous allons mener l'enquête.
Source : @rrêt sur Images