jeudi 25 avril 2013

Brésil, les "gens du fleuve" face à une future ville fantôme ?

Les “gens du fleuve” 
quittent une ville fantôme 
pour revivre

Par Pública - Agência de journalisme d’investigation · Traduction de Henri Dumoulin

Après presque deux ans de séjour à Nova Mutum, une ville construite par Energia Sustentável do Brasil S.A (Energie durable du Brésil, société crée en 2008 pour gérer la construction du complexe hydroélectrique de Jirau sur le Rio Madeira) pour héberger le personnel chargé de la construction du complexe et les riverains du fleuve déplacés par la montée des eaux, la famille de Batista a décidé de retourner au bord du fleuve. Avec leurs mêmes voisins du vieux Mutum (Velha Mutum) ils ont construit une maison de bois près d'un “igarapé” (ruisseau amazonien) qui porte le nom de Jirau. Mais ils redoutent aujourd'hui que cette zone soit également inondée. (2ème article de la série)

Cette information qui circule entre les propriétaires et les employés de l'usine a été étudiée par la Procureure Renata Ribeiro Baptista du ministère public fédéral de Rondônia. Celle-ci a déclaré : “L'entreprise Jirau nie cette éventualité mais nous surveillons l'affaire de près”.

Cette situation illustre bien le dilemme de ces riverains, ancien “habitants du fleuve” qui se précipitent vers leur mode de vie antérieur lié à la proximité de ce fleuve pour s'apercevoir que le complexe hydro-électrique leur a confisqué.

« Je ne me considère plus un citoyen brésilien mais comme un chien en laisse qui ne va plus où il veut ». Voilà ce que déclare Jonas Romani, un ancien pêcheur de 55 ans. Il habitait un quartier de Jaci Paraná, village qui a été inondé par l'usine de Santo Antonio. Comme Batista, il a déménagé pour aller à Jirau et a perdu le sommeil à l'idée d'être obligé de partir de nouveau.

S'ils n'étaient pas sûrs d'inonder jusqu'ici, pourquoi ne pas l'avoir interdit ?  On laisse les gens venir, construire leur cabane, planter leur manioc, et ensuite on inonde tout de nouveau ?

Esmeralda Marinho Gomes habitait le village de Mutum Paraná, qui a été détruit car en zone inondable de la centrale de Jirau. Elle raconte qu'elle n'a jamais été indemnisée. Elle explique que les “habitants du fleuve” ne se sont pas adaptés à cette ville construite par l'entreprise et sont partis habiter dans un autre endroit près du fleuve. Elle se préoccupe pour l'avenir de la communauté quand le chantier et les emplois qui vont avec disparaîtront.

Il y a toujours des injustices dans le fait d'arracher des personnes à la terre où elles ont construit leur vie. Il y en a des petites et il y en a des grandes. 

L'histoire de Esmeralda Marinho Gomes, 63 ans, fait partie des grandes injustices.

Elle louait depuis 2006 une maison à Velha Mutum, et même si elle n'était que locataire, elle avait le droit de choisir entre une indemnisation de 55 000 Reais ou une petite maison à Nova Mutum. Mais la semaine où les officiels de l'usine sont passés pour établir le cadastre, Esméralda était partie travailler à la mine. Quand elle est revenue a commencé une saga de procédures. Les habitants de Velha Mutum n'étaient pas pour la plupart des propriétaires, les maisons ne figuraient pas dans les documents officiels, il n'y avait pas de bail mais seulement un accord tacite avec le propriétaire

Ils ont commencé par dire que sa situation était “étudiée”, puis ensuite qu'elle n'apportait pas de preuves suffisantes. Elle n'a jamais reçu d'indemnisation. Quand ses voisins sont venus habiter à Nova Mutum, Esméralda a loué une chambre dans la ville. Quand ils sont partis s'installer près de l'igarapé Jirau, elle est partie avec eux.

En raison du départ des ouvriers et des coupes budgétaires, l'avenir des 1 600 maisons de Nova Mutum commence à devenir préoccupant. L'entreprise réduit progressivement le nombre de ses travailleurs. L'ouvrage devrait être livré en 2016. 

A cette date, le nombre de travailleurs sera infime pour l'ampleur de la structure construite aujourd'hui pour les accueillir. À ce jour, aucune industrie ou activité commerciale indépendante de l'usine n'a été créée sur place. « Je me suis déjà installé une petite maison à Jaru » dit Sônia, une ex-habitante de Velha Mutum qui possède une boutique de vêtements à Nova Mutum.

Quand on en aura fini avec le chantier, on en aura fini avec l'emploi, on en aura fini avec tout : ceci va devenir une ville fantôme !

"Jamais je n'ai été indemnisée" (en V.O)



Note :

Le reportage Vies en transit, de Ana Aranha (2ème partie), sur l'impact des grands chantiers du Rio Madeira en Amazonie dans l'état de Rondônia au Brésil, fait partie d'une édition spéciale « Amazônia Pública » de l'Agence Publique de journalisme, et sera publié sur Global Voices Online sous forme d'une série de cinq articles.  Le projet Amazônia Pública a mobilisé trois équipes de reporters de l'Agence publique de reportage et de journalisme d'Investigation qui ont travaillé sur trois régions amazoniennes entre juillet et octobre 2012.

Tous ces reportages ont pour but de chercher à comprendre la complexité des grands projets actuellement en cours en Amazonie, des multiples négociations et articulations politiques, d'entendre les différents acteurs (gouvernement, entreprises, société civile) pour analyser le contexte dans lequel ils se développent. La ligne générale de ces reportages s'oriente toujours, comme le travail de l'Agence, vers l’intérêt public. Il s'agit de décrire l'impact des négociations politiques et économiques sur la vie de la population.


Article en relation sur le blog Libres Amériques : 

 Source : Global Voices