Un véritable
« business militaro-humanitaire »
Par Gotson Pierre et enquête d'Ayiti Kale Je
Le cinéaste haïtien, Raoul
Peck, présente l’assistance internationale à Haïti suite au terrible
séisme du 12 janvier 2010 comme un « business militaro-humanitaire ». Il s’agit là d’un « mélange de genres mortel », déclare-t-il lors de
la projection cette semaine à Port-au-Prince de son film « Assistance
mortelle ». A travers ce film, le cinéaste expose l’échec de l’assistance de la
communauté internationale à Haïti après le tremblement de terre ayant
causé la mort de 300 mille personnes, autant de blessés et plus de 1,5
million de sans-abris.
Les États-Unis avaient tout de suite déployé 10.000 marines sur le
territoire haïtien et le Canada 2000 membres des Forces canadiennes (FC -
Armée de terre, Marine et Force aérienne). Assistance mortelle aussi, dans la mesure où elle affaiblit l’État,
ajoute le cinéaste. « Nous avons un ensemble d’intervenants, qui, de la
puissance de leur argent, de la puissance de leur armée, prennent
beaucoup de place dans les décisions qui, en fait, ne devraient
concerner que l’Etat légitime, ses élus et ceux qui sont désignés à
diriger le pays ».
ASSISTANCE MORTELLE
un film de Raoul Peck - entrevue avec l'auteur
Ainsi, au lendemain de la catastrophe, la machine de l’aide
internationale a pris le pas sur les institutions haïtiennes, coupant
court à l’ensemble de leurs activités initiales, selon le propos du
film. On voit le président René Préval décrivant les relations entre Haïti,
en tant qu’ « Etat faible », et la communauté internationale. Son
premier ministre, Jean Max Bellerive, prenant la mesure de l’
« ingérence ».
Un peu l’envers du décor, où le président confirme les rumeurs qui
circulaient à l’époque : en novembre 2010, le chef de la Mission des
Nations Unies pour la Stabilisation d’Haïti (MINUSTAH), Edmond Mulet, a
bien voulu l’embarquer dans un avion pour lui faire laisser le pays. Et Préval de réclamer « des menottes », pour que tout le monde puisse constater le « kidnapping ».
Au cœur du film, la Commission Intérimaire pour la Reconstruction
d’Haïti (CIRH), grosse machine codirigée par l’ancien président
américain William Clinton et le premier ministre Bellerive.
Elle aurait pu être « un instrument formidable », note Peck. Mais,
« dès le départ, on n’a pas joué le jeu de la transparence, le jeu du
renforcement des institutions haïtiennes », déplore le cinéaste, qui
rappelle que beaucoup de décisions étaient prises à l’insu des
ministères, alors que les experts étaient englués dans « ce magma
politico-humanitaire ».
Les pays donateurs avaient promis près de 10 milliards de dollars
américains (US $ 1.00 = 44.00 gourdes ; 1 euro = 60.00 gourdes). Le
montant versé pour des programmes d’assistance est de $6,43 milliards,
dont la majeure partie n’est pas restée dans le pays.
Le film ne vise pourtant pas à dédouaner les dirigeants politiques haïtiens, précise l’auteur d’Assistance Mortelle. Par exemple, dit-il, « le parlement devait être plus présent dans ce débat ».Il souhaite que son film contribue à relancer la discussion sur la reconstruction d’Haiti, en aidant à stopper peut-être « ce discours envahissant », selon lequel chaque fois qu’on aborde la question critique du travail des organismes internationaux dans le pays, « on vous met tout de suite devant la figure la corruption des dirigeants haïtiens ».
Peck réclame un échange à voix égales sans pré-condition. « Si vous voulez parler de corruption, parlons-en des deux cotés ! ».
Quant aux Haïtiennes et Haïtiens, il les invite à cesser
« l’auto-flagellation permanente » et à être les premiers à prendre à
bras le corps leurs propres problèmes.
Acteurs haïtiens et étrangers divisés sur les questions de l’aide internationale et la reconstruction d’Haïti
Enquête : Les thèmes relatifs à l’aide
internationale à Haïti et la reconstruction du pays suite au séisme du 12
janvier 2010 sont diversement commentés par des personnalités de différents
milieux haïtiens et étrangers, alors qu’il est difficile de s’accorder sur un
bilan, près de deux ans et demi après la catastrophe.
Ayiti Kale Je (AKJ), est un
partenariat journalistique qui enquête depuis lors sur le sujet, il s’est mis à
l’écoute de plusieurs grands acteurs sur trois aspects de la
reconstruction :
1) l’aide, la dépendance et la
souveraineté,
2) la Commission Intérimaire pour la Reconstruction d’Haïti (CIRH)
3) les questions de vision, leadership et coordination.
2) la Commission Intérimaire pour la Reconstruction d’Haïti (CIRH)
3) les questions de vision, leadership et coordination.
Suite à ses demarches, AKJ a pu
recueillir les propos de quatre anciens membres de la CIRH, trois personnes
travaillant ou ayant travaillé au sein du gouvernement et les représentants en
Haïti de la Banque Mondiale (BM), de la Banque Interaméricaine de Développement
(BID) et du Fonds Monétaire International (FMI).
Aide, dépendance et souveraineté
Bien avant le séisme du 12 janvier
2010, Haïti dépendait majoritairement de l’aide internationale pour financer
les projets et programmes du gouvernement ainsi que son budget. L’aide des
bailleurs bilatéraux et multilatéraux demeure une ressource beaucoup plus
importante que les recettes internes de l’État.
Pour faire face à la situation critique post-séisme, l’aide internationale apportée à Haïti s’est divisée en deux catégories : l’aide d’urgence, concentrée sur les efforts de secours humanitaire, et l’aide à la reconstruction, destinée à financer la reconstruction et le développement à long terme.
Cependant, de même que l’aide
octroyée à Haïti avant le tremblement de terre, la majorité de cette assistance
a contourné les structures de l’Etat haïtien pour aboutir directement aux mains
des contractants privés, des Organisations Non gouvernementales (ONG), les
agences bilatérales et multilatérales, et d’autres instances non-étatiques.
Seulement 1 % de l’aide
d’urgence a été fourni au gouvernement d’Haïti et, en ce qui a trait à l’aide à
la reconstruction, les bailleurs bilatéraux ont décaissé 7 % et les
bailleurs multilatéraux 23% en faveur du gouvernement en utilisant des systèmes
nationaux.
Vous trouverez l’ensemble des témoignages
de cette enquête
sur le site d’Alterpresse, Cliquez ici !
Il est aussi fortement conseillé de lire l’article suivant :
« Économie d’une langue et langue d’une économie » par Leslie Péan : Cliquez ici !
« La critique doit être totale, avec irrespect s’il le
faut, pour enlever toute possibilité de confort trompeur aux lecteurs et
lectrices qui vivent leur mal dans la complicité. Cette bataille contient des
risques et il importe de les assumer.
C’est une manière comme une autre de
dénoncer la fausse innocence dans la perpétuation du brigandage. Il est
possible d’exprimer sa solidarité avec tous ceux et celles qui veulent mettre
fin au mal séculaire qui étreint les Haïtiens, sans les flatter surtout si on
n’est pas chercheur de pouvoir.
L’observation sérieuse de la réalité, l’analyse
des comportements des dominants et des dominés, la compréhension de leurs
motivations profondes ne peuvent aboutir qu’à une explication simple : un
concours de fausses et de vraies complaisances maintient la société dans un
équilibre catastrophique.
Le mal n’est pas uniquement au dehors mais aussi au
dedans de nous. L’idéologie haïtienne du « simulacre » dénoncée par Fernand
Hibbert a atteint un point de pourriture intolérable. La puissance des
dominants repose sur la faiblesse des dominés et, cette faiblesse, sous un
discours mièvre sert à camoufler la dérive d’une culture de mystification avec
ou sans le créole haïtien. »