lundi 22 avril 2013

Haïti/France : protéger l’agriculture et développements ?

 La France reconnaît les méfaits 
des politiques néolibérales 
sur l’agriculture nationale


Par Alterpresse (Haïti)

« Il y avait eu un dérèglement dans l’économie haïtienne avec l’abaissement des droits de douanes en 1986 (1986 -1987) », rappelle Dominique Delpuech qui répondait à des questions de l’agence en ligne AlterPresse. L’actuel chargé d’affaires de la République française en Haïti, Dominique Delpuech, affirme reconnaître l’impact (négatif) des décisions néolibérales, souvent imposées par la communauté internationale, sur la crise structurelle chronique de l’agriculture haïtienne.

Essentiellement, la réduction des droits de douane après le départ (le 7 février 1986) du dictateur Jean-Claude Duvalier (dit Baby Doc), est le commencement du déséquilibre de l’économie haïtienne, mais surtout de l’agriculture du pays, retenue et connue pour la principale source de production nationale, souligne le diplomate français, au cours d’une conférence de presse, ce lundi 15 avril 2013, au local de l’ambassade (centre de la capitale).

L’agriculture nationale déstabilisée par l’abaissement des tarifs douaniers depuis 1986

Il existe une « corrélation évidente » entre l’abaissement des droits de douanes et la « racine du mal » dans le secteur agricole haïtien, avance le diplomate français. L’abaissement des droits de douanes fait partie des crédos du néolibéralisme, au nom de de la libéralisation des échanges commerciaux.

Cette décision a été prise par le conseil national de gouvernement (Cng), alors présidé par le lieutenant-général Henri Namphy, qui a succédé au dictateur Jean-Claude Duvalier ayant gagné l’exil, en France, sous la pression de la communauté internationale, notamment du département d’État étasunien.

L’adoption de ces mesures « néolibérales » a permis à bien de produits agricoles étrangers d’envahir le marché haïtien, « des intrants de produits qu’on trouvait (déjà), à l’intérieur (du pays) ».Les conséquences vont se traduire par une déstabilisation et une décapitalisation des exploitants agricoles.

« Cela a contribué très fortement à déstabiliser l’économie rurale, qui a mené ensuite le paysan (…) à déboiser, à couper les arbres (…) » pour « répondre aux besoins de gens qui ne sont pas virtuels », comme des questions de protection de l’environnement, sa femme et ses enfants.

« Quand il y a une économie assez équilibrée et que l’on voit - avec des abaissements des droits de douanes – rentrer, sur le marché local, des produits que vous trouvez à présent et qui pouvaient être écoulés par le producteur national, dans tous les pays du monde, cela crée des distorsions », explique et déplore le fonctionnaire français.

« Si c’est ce que vous me faites dire, je n’ai aucun scrupule à le dire », admet Delpuech, en répondant aux questions d’AlterPresse.

Entre les années 1994 et 1995, sous la présidence de William Jefferson (Bill) Clinton, le département d’État a également contribué à renforcer la dépendance d’Haïti des produits agricoles étrangers, en demandant au président Jean-Bertrand Aristide (alors en exil aux Etats-Unis d’Amérique) d’accepter d’abaisser les droits de douane sur d’autres produits cultivés en Haïti, notamment le riz haïtien, en faveur de l’importation du riz américain, contre son retour au pays.

Le 10 mars 2010, environ 2 mois après le tremblement de terre dévastateur du 12 janvier (2010), William Jefferson Clinton a reconnu et a regretté, par-devant le congrès américain, d’avoir contribué à détruire l’agriculture haïtienne. « Cela a été sans doute bon pour certains de mes planteurs à Arkansas. Mais, cela n’a pas marché. C’était une erreur », avait-il avoué pour la circonstance.

« Je dois vivre, chaque jour, avec les conséquences de la perte de la capacité d’Haïti de produire du riz pour nourrir ces gens, à cause de ce que j’ai fait ; et personne d’autre », avait ajouté Clinton.

Depuis particulièrement l’année 2010, ce sont des tonnes de semences hybrides, importées et non reproductibles, que des transnationales américaines offrent aux paysans haïtiens, à travers des projets dits de relance de la production agricole. Nombreux sont celles et ceux qui continuent de se poser des questions sur l’importance, voire l’efficacité de l’aide agricole au pays.

Quels objectifs poursuit la France dans l’agriculture haïtienne ?

De 2005 à nos jours, la France a déjà engagé 47 millions d’euros (US $ 1.00 = 44.00 gourdes ; 1 euro = 60.00 gourdes aujourd’hui) dans le secteur agricole en Haïti. L’objectif, « ce n’est pas de régler les problèmes de l’agriculture haïtienne (…) », révèle Delpuech.

La démarche reste surtout un essai « de faire de la pédagogie avec nos partenaires bilatéraux, institutionnels et par rapport à nos partenaires haïtiens qui sont en dialogue avec nous ». La seule ambition reste « un apport décent, honnête, (tout) en essayant d’être innovant », insiste l’actuel chargé d’affaires de la République française en Haïti.

« De la nécessité de réordonner l’écosystème économique haïtien »

Il « est urgent, effectivement, de remettre de l’ordre sur l’aspect global de l’écosystème économique haïtien », estime le diplomate français, en guise de solution. Un travail, qui devrait commencer par une réforme « fiscale » et « le relèvement des droits de douanes ».

Mais, cela demande « de la volonté et (de) l’intelligence », de la part des dirigeants, de la part des importateurs et des paysans planteurs, d’après Delpuech. Le haut fonctionnaire français préconise une réinvention « du modèle économique dans les campagnes » en axant les actions sur « la production et la commercialisation ».


Source : Aterpresse