mardi 30 avril 2013

Opération Condor, rôle et implications du Brésil ?

Opération "CONDOR" :
 Le Brésil demande 
une enquête à l'Argentine


Par Jean-Jacques FONTAINE                        
           
La Commission Nationale pour la Vérité a adressé au mois de mars une demande au gouvernement argentin afin qu’il ouvre une enquête officielle sur la disparition de 15 brésiliens entre 1975 et 1981. Ces disparus auraient été victimes de l'opération Condor, une alliance politico-militaire entre les dictatures sud-américaines
 C’est une première du genre : mi-mars, la Commission Nationale pour la Vérité a adressé une demande au gouvernement argentin afin qu’il ouvre une enquête officielle sur la disparition de 15 brésiliens entre 1975 et 1981. 

Ces 15 personnes auraient été victimes de l’Opération Condor, une alliance politico-militaire entre les dictatures du Brésil, d’Argentine, du Chili, de Bolivie, du Paraguay et de l’Uruguay dont la signature officielle a eu lieu en 1975 au Chili, sous la supervision des Etats-Unis

L’objectif était de coordonner la chasse aux opposants de gauche afin de les éliminer, dans les 6 pays concernés. Selon les estimations, le plan Condor aurait fait entre 50.000 et 100.000 morts, dont 30.000 disparus. 400.000 personnes auraient aussi été arrêtées et torturées par les forces policières engagées dans cette opération.



Le cas de ces 15 disparus brésiliens en Argentine est connu des autorités brésiliennes depuis longtemps. Elles n’ont pourtant rien entrepris pour obtenir des explications officielles. "Notre mission est de rechercher toutes les informations sur tous les disparus brésiliens dans les pays voisins", déclare Rosa Cardoso, qui coordonne cette enquête au sein de la Commission. "Nous n’en sommes qu’au début, mais nous irons jusqu’au bout."

Jusqu’au bout, cela va se traduire par une demande d’entraide au Chili à propos de 4 autres cas non résolus et à la Bolivie pour une disparition. "Nous aimerions aller vite afin d’inclure ces éléments dans le rapport final de la Commission prévu pour mai 2014".

La disparition du pianiste

L’enquête de la Commission Nationale pour la Vérité s’appuie sur des données du Mouvement pour la Justice et les Droits de l’Homme du Rio Grande do Sul (MJDH). Cette organisation a recensé 11 brésiliens disparus en Argentine entre 1971 et 1980.

Parmi eux, le pianiste Tenório Cerqueira Júnior, séquestré le 18 mars 1976 à Buenos Aires alors qu’il accompagnait dans une tournée le compositeur Vinicius de Moraes. Ce jour-là, Tenório Cerqueira Júnior est sorti de son hôtel pour aller acheter des cigarettes. Il n’est jamais revenu.

Ce cas semble maintenant pouvoir connaître un épilogue judiciaire.

En effet, les autorités argentines ont demandé au Brésil l’extradition de Claudio Vallejos, qui serait un des responsables de la séquestration du pianiste.

Claudio Vallejos a été arrêté dans l’Etat de Santa Catarina, suite à différentes filouteries d’auberge perpétrées dans la région. L’homme se présentait comme journaliste et filait ensuite sans payer la note. Il vivait depuis 10 ans au Brésil, mais était recherché par Interpol pour ses activités de tortionnaire durant le régime militaire argentin. Reconnu, il vient d’être extradé en Argentine.



Réseau Condor
 (A REDE CONDOR)

Au même moment, le 24 mars 2013, la chaîne de télévision Discovery Brasil a diffusé un documentaire sur l’Opération Condor. On y apprend que le Brésil serait à l’origine de l’initiative : en 1964, l’Itamaraty, le ministère brésilien des affaires étrangères a mis en place une structure appelée Ciex,

Document de 22 minutes en VO (Tv du Brésil)


Centre d’information à l’extérieur afin de "combattre les terroristes réfugiés à l’étranger." Il s’agissait d’un réseau d’informateurs rémunérés chargé de repérer et de dénoncer les opposants dans le but de les faire emprisonner ou tuer.

D’après le documentaire de Discovery Brasil, le Ciex aurait commencé ses opérations en Uruguay, avant de les étendre à tous les pays d’Amérique du Sud, au Portugal, en Italie et en France.

C’est à partir de l’expérience du Ciex que les représentants des régimes militaires d’Argentine, de Bolivie, du Paraguay, d’Uruguay et du Chili signent en 1975 le pacte Condor. Le Brésil n’appose pas son paraphe sur le document, mais ses délégués sont présents à la cérémonie qui se déroule encore sous la supervision des Etats-Unis.



Le Brésil, père du plan Condor ?

"Ce n’est qu’aujourd’hui qu’on connaît le véritable rôle joué par le Brésil dans la mise en place de l’opération Condor", affirme Rodrigo Astiz, le producteur du documentaire.

"D’après les dossiers que nous avons rassemblés et les interviews réalisées, nous pouvons affirmer que les autorités brésiliennes ont été les protagonistes de toute l’affaire." "Même si au moment de sa formalisation en 1975, l’opération Condor a plus concerné les régimes argentin, chilien, et uruguayen, parce que la dictature brésilienne était en train de préparer son assouplissement, précise Daniel Billio, le réalisateur. Mais c’est le Brésil qui détenait le 'know how' et en a fait bénéficier ses voisins."



Le film "Réseau Condor" rappelle aussi, sans apporter de réponse définitive, une interrogation récurrente, à propos de la fin de deux présidents brésiliens, en fonction dans les années qui ont précédé le coup d’Etat, morts tous deux en 1976 : Juscelino Kubitchek, décédé dans un accident de voiture en dont on se demande s’il n’a pas été commandité et João Goulart qu’on soupçonne d’avoir été empoisonné.

La Commission Nationale pour la Vérité vient d’ailleurs de se déplacer dans le Rio Grande do Sul afin d’entendre les membres de la famille de Jõao Goulart qui réclament l’exhumation de son corps afin de faire la lumière sur ces soupçons.



Visites douteuses au DOPS

Elle enquête aussi sur de drôles de documents provenant du DOPS de São Paulo, qui servait de centre de torture durant le régime militaire. On y découvre que Claris Rowley Halliwell, s’identifiant comme représentante du Consulat américain de São Paulo, et Geraldo Resende de Matos, se présentant comme délégué de la FIESP, ont effectué de fréquentes visites dans les locaux de ce "Département de l’ordre politique et social", entre 1971 et 1979.

Cela pourrait confirmer une collaboration active des Etats-Unis et de la puissante Fédération des Industriels de São Paulo avec la pratique de la torture par les militaires brésiliens.

"Toutes ces nouvelles informations sur l’opération Condor sont un motif suffisant pour revoir la loi d’amnistie de 1979", réclame le député fédéral Nilmaio Miranda, ancien Secrétaire national aux droits de l’homme.

"Cette loi d’amnistie interdit la condamnation de citoyens brésiliens pour tout acte commis entre le 2 septembre 1961 et le 15 août 1979. Avec ce qu’on apprend maintenant, les gens se demandent comment la justice se situe face à cette loi. C’est normal et il faut rouvrir la discussion."



Décision du Tribunal Suprême

Le débat a pourtant été clos par une décision du Tribunal suprême en 2010 : par sept voix contre deux, il a refusé de rouvrir le dossier du pardon à ceux qui ont torturé et tué sous couvert du régime militaire, entre 1964 et 1979. C’est l’Ordre des avocats du Brésil, l’OAB, qui avait demandé cette révision de la loi d’amnistie, négociée alors entre les militaires et l’opposition. L’OAB était partie prenante des discussions en 1979, mais elle estimait que le rapport de force de l’époque n’avait pas permis une négociation équitable.



Tous ces faits n’étaient pas encore connus lorsqu’en 1985, le Brésil renouait avec la démocratie, mais on soupçonnait déjà que les régimes dictatoriaux d’Amérique du Sud avaient collaboré dans leur lutte commune contre la subvention de gauche. On ne savait pas pour le plan Condor, pour l’ampleur du phénomène ni la sophistication de son montage répressif, mais on se doutait de quelque chose.



Le premier coup de griffe dans ce mur de silence, c’est l’ancien ambassadeur des Etats-Unis au Chili, Nathaniel Davis qui publie ses mémoires cette année-là. Il affirme que le Brésil a joué un rôle déterminant, aux côtés des Etats-Unis, dans le renversement du Président Salvador Allende.


Notes :

A REDE DE CONDOR (Le Réseau Condor) est une série de 4 reportages, de la télévision brésilienne « Découverte Brésil », sur un des thèmes les plus marquants de l'histoire récente de ce pays. L'opération appelée « Condor » est le résultat des liens entre les dictatures des pays du Cône du Sud, pendant la décennie de 1970, et comment furent réprimer leurs adversaires avec l’appui des Etats-Unis.


Le réseau Condor - 1er épisode en VO (Brésil)


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