Par William Ospina (*) – Notes et traduction de Libres
Amériques
William Ospina est une grande plume colombienne. Certains de
ses ouvrages ont connu un grand succès en Amérique latine, et son livre URSUA a
été salué à sa sortie par Gabriel Garcia Marquez. Dans cet article paru dans le
journal El Espectador de Colombie, il livre son opinion sur les négociations de
paix en cours et critique fortement les deux anciens président colombien
Pastrana et Uribe sur leur refus d’envisager la paix et explique pourquoi. Il
fait aussi appel à ses concitoyens de prendre en main leur destin, en clair à se
mobiliser pour qu’enfin la Colombie puisse avoir accès à la modernité,
c’est-à-dire à « la justice sociale et à l’équité ».
La Colombie a besoin de mettre fin au conflit pour que
commence à se construire une paix véritable et durable. Et nous pouvons dire,
que de tous les processus de dialogue qui ont été entrepris au cours des 30
dernières années, aucun n'avait été aussi loin que celui qui est en cours
actuellement à La Havane.
Si l'ancien président Uribe, son adversaire le plus féroce,
se montre si acharné contre ce processus, c’est parce qu’il le voit venir. Et
vous devez savoir que derrière ses apparentes obsessions et ses rancunes, il
n’y a pas seulement une psychologie, mais un des secteurs (de la société) qui a
toujours vu la paix comme une menace pour ses privilèges, la peur de l'arrivée
de la modernité en termes de justice sociale et d'équité.
Pendant ce temps, l'ancien président Pastrana reconnaît
maintenant que le processus de
Caguan (l’avant-dernier dialogue avec les FARC entre 1999 et 2002), il n'était
pas si intéressé par la paix, sinon pareillement à ce qu’il reprochait à ses
adversaires : pour gagner du temps et se renforcer pour la guerre. Il semble
que non seulement, il sente le malaise de voir les autres réussir là où il a
échoué, mais lui aussi représente des intérêts précis, lesquels craignent de se
voir menacés par un des accords, qu’ils ne veulent pas, ni que se modifient
quelques-unes des conditions qui ont rendu le pays si enclin à la violence et à
l'exclusion.
Tout n'est pas petitesse et vanité ; certains incarnent
des positions contraires à ce que la Colombie a besoin pour atteindre une paix
véritable. Beaucoup de pouvoirs égoïstes à l’intérieur comme à l’extérieur
savent qu’une paix ouvrant des horizons à notre société aurait un effet
dissuasif à leurs ambitions personnelles. Pour cela, ils veulent bloquer le
chemin des accords et essayer d'arrêter le processus (de paix) à tout moment de
franchir la ligne de non-retour.
Comme Victor Hugo disait : il existe des régions où le sol est
encore mou et humide du déluge. La Colombie souffre encore sur tout son corps
des équimoses de la véhémence guerrière. Elle n’est pas lointaine cette
politique qui concevait la paix comme des réseaux d'informateurs, de délateurs,
d’écoutes téléphoniques, et de « faux-positifs ». Nous souffrons
encore le cauchemar des assauts des guérilleros, des champs de mines, du feu
tout au long de la ligne de front.
L'ancien président Uribe sait pourquoi il s’énerve à la
possibilité que le pays arrive à la paix, à laquelle nous rêvons depuis des
décennies, une paix que sa politique ne pouvait pas atteindre, même si un long
temps présidentiel lui fut accordé. Et l'ancien président Pastrana sait
pourquoi, il déplore de ce que d’autres obtiennent, cela lui a été refusé, ou
en réalité il n'a jamais vraiment voulu. Mais s'ils sentent que la paix dont le
pays a besoin pour devenir grand est pour eux une nuisance. Qui pourra les sauver face à
l’Histoire ?
Maintenant, ce qui importe est la paix !
J'ai entendu une rumeur selon laquelle le temps est limité,
que la prochaine élection peut étouffer le processus, qu’ils seraient luttant
contre l’horloge. Bien que nous aimerions tous un accord rapide et définitif,
le talent des hommes d'Etat, réside à être mesure de donner son temps et son
rythme. Il appartient au royaume des fables des « Mille et Une
Nuits » l’art risqué de construire une tour en un jour. Ce qui est
important est de construire une tour qui ne tombera pas, et la paix est, pour
le dire avec les mots de Rimbaud, la chanson de la tour la plus haute.
Ce que doivent faire de toute urgence les délégations
présentes à La Havane, et ceux qui les dirigent est de donner de la crédibilité
au processus et du prestige. Nul ne peut-être intéressé par accord de fortune
et fragile, qui ne donne aucune garantie, quand le pays a besoin de savoir que
les étapes avancent fermement, que le processus se poursuit en mûrissant. Il
n'est pas convenable qu'il se termine à n'importe quel prix dans un temps
record, mais il est fondamental qu’il ait une crédibilité et montre des
résultats. Cela n'est pas une question de temps sinon de volonté.
Pour ceux qui ont toujours gagné et qui risquent de perdre
ils ne manqueront pas de mettre le tollé parce que cela va changer des habitudes politiques et
économiques ayant déchiré le pays pendant des siècles et semblant pour certains
pouvoirs des lois naturelles.
Pourquoi il y aurait à conclure le processus de paix pendant
cette période présidentielle ? Si vous commencez à donner des résultats, il
sera difficile pour la société d’y renoncer. Les élections de l'année prochaine
ne manqueront pas de devenir un grand plébiscite sur le processus, et s’il
existe des résultats probants, le pays récompensera, à qui aura ouvert des
horizons à son futur.
Ce que cherchent les professionnels du découragement et les
bâtons dans les roues de ceux qui ont peur de la paix, c’est peut-être
paralyser le dialogue et empêcher que cela ne commence à montrer des résultats
probants. Mais si la paix ne peut pas être une foire aux vanités, cela ne doit
non plus pas être un cérémonial dans une crypte hermétique.
Tout comme les ennemis des accords présentent ouvertement
leur hostilité et avec sa véhémence, nous savons que la paix est nécessaire et
pourrait être à portée de main. Nous devons cesser d'être des spectateurs du
dernier rang, il nous faut prendre des initiatives et assumer des positions. Il
existe des moments où l'Histoire appelle à l'action, des journées décisives
réclamant d’être présent dans l'arène. Et ce que nous ne faisons pas au jour
prévu, nous pouvons le déplorer depuis des décennies.
Il n’y aura pas de paix sans la société pour la soutenir et
l’exiger, en restant vigilant et en l'accompagnant. Et ce ne sera pas une petite récompense la possibilité que de
laisser en arrière ce pays mesquin qui sacrifie ses jeunes, et dépense toutes
ses ressources dans une guerre sans horizons, pendant que nous avons des routes
d’il y a 50 ans, des ports d’il y a 80 ans, des ponts d’il y a 100 ans, et des
idées de plus de 200 ans.
Notes :
(*) William Ospina est écrivain, poète et journaliste.
L’article est paru le 6 avril 2013 dans les colonnes du
journal Elespectador