Roberto Zurbano
est évincé
pour avoir critiqué
le racisme
à Cuba
Par la Coordination régional d’ascendance africaine en
Amérique latine et dans les Caraïbes, section cubaine (ARAC)
L’intellectuel cubain Roberto Zurbano, a été renvoyé de
son poste de directeur des éditions de la Maison des Amériques, à la suite de
la publication dans le New York Times d’un article critique sur le racisme à
Cuba. Zurbano a expliqué lors d’une réunion de la Coordination régionale des
descendants d’Africains en Amérique latine et dans les Caraïbes, dans sa
section cubaine, que la décision de la Maison des Amériques a été de le nommer
à un autre poste. Après la déclaration de l'ARAC vous trouverez le texte qui a entraîné
son éviction.
L’ARAC, quant à elle, a publié une déclaration publique où
elle “soutient fermement la libre expression des idées pour tous ses
militants”. Elle s’oppose à des “mesures ou des procédés institutionnels
ou personnels de caractère répressif contre tout participant à de tels
discussions”.
Déclaration de l’ARAC :
Position de la Coordination régional d’ascendance africaine
en Amérique latine et dans les Caraïbes, section cubaine. En ce qui concerne la
récente controverse dans les médias nationaux et internationaux sur la question
raciale à Cuba aujourd’hui, nous tenons à exprimer ce qui suit :
1. La Coordination régionale des descendants d’Africains en
Amérique latine et dans les Caraïbes, dans sa section cubaine, est un projet de
notre société civile encore en pleine construction, elle reconnaît que
l’antiracisme radical fait partie de l’essence profonde et des contenus
populaires les plus authentiques du processus révolutionnaire cubain, dont l’un
des moments les plus forts a été la victoire insurrectionnelle de janvier 1959.
2. Il est urgent d’éradiquer à Cuba tous les vestiges du
racisme, de la discrimination raciale, du colonialisme, des exclusions, des
inégalités sociales et du manque de respect des différences. Nous reconnaissons
que de telles regrettables pratiques
nuises à la dignité humaine et qu’elles persistent dans notre pays. La
lutte contre celles-ci est notre but suprême, c’est à elle que nous consacrons
nos efforts de pensée, d’amour et d’action directe – des efforts que nous
considérons faire partie des luttes révolutionnaires à l’échelle planétaire
aujourd’hui, des luttes qui ont pour objectif l’émancipation humaine.
3. L’ARAC soutient énergiquement la libre expression des
idées pour tous ses militant(e)s, dans le cadre fondamental de la liberté
d’expression dans la société tout entière.
4. L’ARAC s’oppose à des mesures ou à des procédures
personnelles ou institutionnelles de caractère obstructif ou répressif contre
tout participant à de telles discussions qui a exprimé des opinions ou des idées
personnelles.
5. A l’intérieur de l’ARAC existe une pluralité de
positions, ce qui est une condition nécessaire. Nous considérons que le fait
que les Cubains et les Cubaines approfondissent les controverses entourant les
questions qui nous concernent, c’est un bon signe de la capacité de notre
société pour résoudre les problèmes de façon indépendante, active et solidaire
de notre société, dans le respect de la diversité et sans ingérence de
puissances extérieures.
la révolution n’a pas encore
commencé
Par Roberto Zurbano
Les dernières informations provenant de Cuba font référence
aux changements, mais c’est plus un rêve qu’une réalité pour les Afro-Cubains
comme moi. Au cours de la dernière décennie, de nombreuses interdictions ridicules
ont été supprimées pour les
Cubains vivant sur l’île, comme dormir dans un hôtel, acheter un téléphone,
vendre une maison ou une voiture et voyager à l’étranger. Ces gestes ont été
célébrés comme des signes d’ouverture et de réforme, bien qu’en réalité ce ne
sont que des efforts pour normaliser la vie. La réalité est qu’à Cuba ton
expérience par rapport à ces changements dépend de la couleur de ta peau.
Le secteur privé jouit aujourd’hui à Cuba d’un certain degré
de libéralisation économique, mais nous les Noirs, nous ne sommes pas en
position avantageuse pour profiter de celle-ci. Nous avons hérité de plus de
trois siècles d’esclavage durant l’époque coloniale espagnole. L’exclusion
raciale a continué après l’indépendance de Cuba en 1902, et un demi-siècle de
Révolution depuis 1959 a été incapable de la surmonter.
Dans les premières années de la décade des années 90, après
la fin de la guerre froide, Fidel Castro a entrepris des réformes économiques
qui ont été poursuivies par Raúl, son frère et successeur. Cuba a perdu son
plus grand bienfaiteur, l’Union soviétique, et elle est tombée dans une
profonde récession que l’on a appelé la Période spéciale. Il y avait des pannes
électriques fréquentes. Les transports en commun marchaient à peine. La nourriture
était rare. Pour canaliser le mécontentement, le gouvernement divisa l’économie
en deux secteurs : l’un pour les entreprises privées et les entreprises axées
sur l’étranger, essentiellement autorisées à négocier en dollars américains, et
un autre qui a gardé l’ancien ordre socialiste reposant sur des emplois publics
avec un salaire moyen de 20 dollars par mois.
Il est vrai que les Cubains ont encore un solide filet de
sécurité : la plupart ne paient pas de loyer, et l’éducation et les soins de
santé sont gratuits. Mais la divergence économique a créée deux réalités
contrastées qui perdurent aujourd’hui. La première est celle des Cubains
blancs, qui ont équilibré leurs ressources, pour entrer dans la nouvelle
économie de marché et récolter les avantages d’un socialisme soi-disant plus ouvert. L’autre réalité est celle
de la pluralité noire, qui fut témoin de la disparition de l’utopie socialiste
dans les zones les plus défavorisés de l’île.
La majeure partie des envois de fonds de l’étranger provenant
principalement de la région de Miami, le centre neurologique de la communauté
des exilés, majoritairement blancs
va aux Cubains blancs. Ils ont tendance à vivre dans de meilleures maisons, qui
peuvent être facilement converties en restaurants ou en hébergements avec
pension, les types de commerce privé les plus courants de Cuba. Les Cubains
noirs ont moins de biens et d’argent, et de plus ils ont dû faire face au
racisme qui prévaut aujourd’hui. Il n’y a pas si longtemps, il était fréquent
que les gestionnaires des hôtels, par exemple, embauchent uniquement de la main
d’œuvre blanche censée ne pas offenser la supposée sensibilité de sa clientèle
européenne.
Ce type de racisme scandaleux est devenu moins acceptable
socialement, mais les Noirs sont encore tristement sous-représentés dans le
secteur du tourisme sans doute le secteur le plus lucratif de l’économie, et il
est encore beaucoup moins probable que les Noirs soient susceptibles de
posséder leur propre entreprise comme les Blancs. Raúl Castro a reconnu la
persistance du racisme, et des améliorations dans certains domaines (il y a
plus d’enseignants et de députés noirs à l’Assemblée nationale), mais il reste
beaucoup à faire pour remédier aux inégalités structurelles et les préjugés
raciaux qui excluent les Afro-cubains des avantages de la libéralisation.
Le racisme à Cuba a été occulté et renforcé en partie parce
que personne ne parle de lui. Le gouvernement n’a pas permis que les préjugé
raciaux soient discutés et confrontés politiquement ou culturellement, en
prétendant en permanence, en de nombreuses occasions que le racisme n’existait
pas. Avant les années 90, les Cubains noirs ont souffert d’une paralysie de la
mobilité économique, alors que, paradoxalement, le gouvernement décrétait la
fin du racisme dans les spectacles et les publications. S’interroger sur
l’extension du progrès racial équivalait à un acte contre-révolutionnaire. Cela
a rendu presque impossible de souligner l’évidence : le racisme est bel et bien
vivant.
Si les années 60, la première décennie de la révolution,
signifiaient une opportunité pour tous, les décennies qui suivirent ont montré
que tout le monde ne pouvait pas avoir accès aux avantages de telles
opportunités. Il est vrai que les années 80 a produit une génération de professionnels
noirs des médecins et des enseignants, mais ces développements ont diminué dans
les années 90, quand les Noirs étaient exclus de secteurs lucratifs tels que
l’hôtellerie. Maintenant, au vingt et unième siècle, il devient très visible
que la population noire est sous-représentée dans les universités et dans les
espaces du pouvoir économique et politique, et qu’elle est sur-représentée dans
l’économie souterraine, dans la sphère criminelle et dans les quartiers
marginalisés.
Raúl Castro a annoncé qu’il mettrait fin à sa présidence en
2018. J’espère que d’ici là, à Cuba le mouvement antiraciste se développera,
tant au niveau juridique que logistique, afin qu’il puisse apporter des
solutions qui ont été longtemps promises et attendues par les Cubains noirs.
Une première étape importante serait enfin de parvenir à un
recensement officiel des Afro-cubains. La population noire de Cuba est beaucoup
plus importante que ce qu’indique un recensement récent. Le nombre de Noirs
dans la rue met l’accent sur la fraude statistique qui nous considère nous les
Noirs comme formant moins d’un cinquième de la population. Beaucoup de gens
oublient qu’à Cuba, une goutte de sang blanc ne peut, même si ça n’est que sur
le papier, faire d’un métis une personne blanche, alors qu’il s’agit de
quelqu’un qui dans la réalité sociale ne se retrouve pas dans l’une de ces
catégories. Ici, les nuances qui régissent la couleur de la peau sont une
tragi-comédie qui occulte des conflits raciaux ayant une longue existence.
La fin du gouvernement des Castro signifiera la fin d’une
époque dans la politique cubaine. Il n’est pas réaliste d’attendre un président
noir, étant donné la conscience raciale insuffisante sur l’île. Mais quand Raúl
Castro quittera ses fonctions, Cuba devient un pays très différent. Nous ne
pouvons qu’espérer que les femmes, les Noirs et les jeunes seront en mesure
d’aider à guider le pays vers une meilleure égalité de chances et vers une
pleine citoyenneté pour les Cubains de toutes les couleurs.
Traduit du New York Times : “For Blacks in Cuba, the
Revolution Hasnt Begun”
Source : articles de Polémica Cubana