INFLUENCES ET INTÉGRATION
SOCIALE ET POLITIQUE
Par Amandine Cerruti
L'Argentine, le Chili, le Paraguay et l'Uruguay ont bel et
bien subi, à différents degrés, la domination de l'idéologie nazie. Cette
domination n'a pas débuté « d'un seul coup » : elle a été favorisée par le fait
que les quatre pays ont été, pendant longtemps, des terres d'immigration. Pour
ces pays, devenus en quelque sorte les « annexes » de l'Italie et de
l'Allemagne, l'idéologie nazie- fasciste des années 30 est quasiment «
familière ». Les dictateurs Mussolini ou Hitler y sont parfois perçus comme des
dangers pour la démocratie, mais incarnent également les exemples à suivre,
notamment pour les militaires.
(…) Pendant les années 30 et la Seconde Guerre Mondiale,
l'admiration pour le Troisième Reich est, en effet, un fait avéré dans le Cône
Sud. Elle se fait ressentir dans les quatre pays (l'Argentine en tête) et dans
toute la société, notamment à travers l'éducation, la presse, les partis
politiques et la propagande. Les hommes politiques de l'époque admirent les
mouvements nazi-fascistes. S’ils ne soutiennent pas toujours les totalitarismes
européens, ils ne font preuve d'aucune hostilité envers eux, tout
particulièrement lors du conflit mondial.
La guerre terminée, c'est principalement vers l'Argentine de
Perón que les nazis, vaincus, vont se tourner pour tenter de s'offrir une
nouvelle vie. Ils y parviennent sans peine, et occuperont même des fonctions
politiques.
Le gouvernement Perón, dans les années 50, s'est entouré de
personnalités nazies ou pro- nazies (des criminels de guerre pour la plupart).
À cette époque, nul autre pays du Cône Sud ne se montre aussi bienveillant avec
ces fugitifs. Certes, bon nombre de nations dans le monde accueillent des
fuyards nazis, mais force est de constater qu'aucune, exception faite de
l'Argentine, ne les reçoit dans le palais présidentiel et ne les intègre si
bien à la société, en leur fournissant un emploi ou en leur confiant un rôle
politique.
Ainsi, les anciens nazis se voient-ils confier, le plus
souvent, par le gouvernement argentin lui-même, des emplois dans les secteurs
technique, militaire, mécanique, électronique, voire éducatif. Le criminel
Adolf Eichmann travaillera notamment pour la société de construction CAPRI,
puis pour Mercedes. Les SS Walter Kutschmann et Erich Priebke deviennent
respectivement directeur d'une entreprise (OSRAM, spécialisée en articles
électriques) et directeur d'une école. Le pilote de la Luftwaffe le plus décoré
par Hitler, Hans-Ulrich Rudel devient collaborateur d'une revue et conseiller
en aéronautique.
L’immigration massive des fugitifs nazis en Argentine a-t-elle
eu un impact direct lors de la dictature de 1976-1983 ?
Nous nous interrogions sur ce point. À ce propos, le journaliste Uki Goñi affirme que, même si les nazis n'avaient pas émigré en masse vers l'Argentine, le pays aurait tout de même dérivé vers une sanglante dictature militaire, en raison de la tradition nationaliste-catholique, implantée depuis des décennies et poussée à l’extrême.
Mais le nazisme a, certes, inspiré les Forces Armées. Toutefois, cette idéologie destructrice n'a pas été le «moteur» du «Processus de Réorganisation Nationale ». La « Guerre Sale » menée contre les subversifs a été déclenchée pour des raisons politiques, en lien direct avec la Guerre Froide, qui divisait le monde en deux blocs. Cette guerre « sale » a éclaté indépendamment de la « tradition » nazie-fasciste du pays. Les pratiques des tortionnaires sont bien, en revanche, d'inspiration nazie.
Nous nous interrogions sur ce point. À ce propos, le journaliste Uki Goñi affirme que, même si les nazis n'avaient pas émigré en masse vers l'Argentine, le pays aurait tout de même dérivé vers une sanglante dictature militaire, en raison de la tradition nationaliste-catholique, implantée depuis des décennies et poussée à l’extrême.
Mais le nazisme a, certes, inspiré les Forces Armées. Toutefois, cette idéologie destructrice n'a pas été le «moteur» du «Processus de Réorganisation Nationale ». La « Guerre Sale » menée contre les subversifs a été déclenchée pour des raisons politiques, en lien direct avec la Guerre Froide, qui divisait le monde en deux blocs. Cette guerre « sale » a éclaté indépendamment de la « tradition » nazie-fasciste du pays. Les pratiques des tortionnaires sont bien, en revanche, d'inspiration nazie.
Au cours de notre étude, nous avons été frappée par le lien
entre nazisme et dictatures militaires dans les différents pays du Cône Sud.
Identifications aux nazis voire à Adolf Hitler, utilisation du «
savoir-faire » d'anciens serviteurs du Troisième
Reich, méthodes de torture
terriblement semblables à celles des camps de concentration nazis... À une
époque différente, ces éléments sont révélateurs du parallèle entre les deux
dictatures.
Au Paraguay, le gouvernement Stroessner, extrêmement
corrompu, a intégré criminels et trafiquants en tous genres. D'anciens membres
de la Gestapo «conseilleront» la police stroessnerienne. Nous aurions souhaité
approfondir ce point, mais rares sont les documents qui permettent,
aujourd'hui, d'éclairer cette question.
Au niveau politique, l'influence nazie est également un fait
avéré au Chili. Elle est poussée à son comble pendant la dictature militaire,
avec la Colonia Dignidad et le « cas » Walter Rauff.
Bien que le « psychopathe » Paul Schaefer n'ait pas été un
criminel SS, à l'instar d'Adolf Eichmann ou de Joseph Mengele, il a servi
Hitler et reçu (en tant que membre des Jeunesses Hitlériennes et brancardier
dans la Wehrmacht) une éducation nazie. Sans son handicap et s'il avait été un
peu plus âgé, il aurait très probablement gravi les échelons et accédé à un
poste plus « important ».
Les chercheurs María Poblete et Frédéric Ploquin défendent cette idée et considèrent que Paul Schaefer était en réalité un nazi « frustré ». Sans oublier que, parmi les plus fidèles collaborateurs de Schaefer, se trouvaient d'anciens pilotes de la Luftwaffe, nécessairement membres du NSDAP. La secte de Schaefer, bien que restée relativement « secrète », servira officieusement la dictature de Pinochet, tant sur le plan stratégique que politique.
Les chercheurs María Poblete et Frédéric Ploquin défendent cette idée et considèrent que Paul Schaefer était en réalité un nazi « frustré ». Sans oublier que, parmi les plus fidèles collaborateurs de Schaefer, se trouvaient d'anciens pilotes de la Luftwaffe, nécessairement membres du NSDAP. La secte de Schaefer, bien que restée relativement « secrète », servira officieusement la dictature de Pinochet, tant sur le plan stratégique que politique.
Le cas de Walter Rauff est également très particulier. Ce
grand criminel a littéralement dupé la justice internationale et a trouvé au
Chili un endroit sûr et fiable pour vivre, en toute impunité. Son extradition
est refusée à trois reprises, et les différents gouvernements chiliens, bien
que conscients que Rauff vit dans le pays en toute tranquillité, ne feront rien
pour que justice soit rétablie, pas même le socialiste Salvador Allende. La
réponse qu'il adressera au chasseur de nazis Simon Wiesenthal peut sembler
extrêmement surprenante étant données les convictions du président chilien. Les
lois chiliennes mettent donc Rauff à l'abri de toute poursuite judiciaire.
L'intégration de Rauff à la DINA est également un fait qui
reste encore quelque peu hypothétique. Il est probable que cette fonction soit
restée secrète, et qu’il n’existe aucun document officiel à ce sujet. Plusieurs
sources, notamment des articles et des écrits conservés au Musée de la Mémoire
de Santiago portent à croire que Rauff a pu jouer un rôle direct lors de la
dictature chilienne.
Rauff est mort à Santiago. Sans jamais avoir « payé » ses
crimes (à l'instar de Josef Mengele, mort au Brésil, ou Eduard Roshmann, mort
au Paraguay). En 1984, ses anciens camarades, présents à ses funérailles, lui
rendent librement un dernier hommage hitlérien et font le
salut nazi1. L'écrivain et diplomate chilien Miguel Serrano,
leader nazi par excellence, défenseur de l'idéologie d'Hitler, est parmi eux.
Pour Augusto Pinochet, le nazisme ne présente aucun danger.
Il ira jusqu'à affirmer que « l'hitlérisme a disparu, et le stalinisme non ».
Côtoyer des sympathisants du Troisième Reich et se servir de leurs convictions
anticommunistes n'est alors pas « gênant », bien au contraire. Certains font
partie de ses amis : Hans-Ulrich Rudel ou Willem Sassen.
Perón, pour sa part, connaît personnellement des criminels
allemands, français, belges et croates. Parmi ces « contacts » plus ou moins
intimes, l'ancien SS Carlos Fuldner ou encore le bourreau Josef Mengele. Le
dictateur Stroessner côtoie également, à l'instar de Pinochet, comme nous
l'avons mentionné au cours de notre étude, deux fugitifs nazis très « influents
» dans le Cône Sud : Wilhem Sassen et Hans-Ulrich Rudel. Nous n’avons pu
déterminer si leurs relations étaient, ou non, superficielles. Quoi qu'il en
soit, elles sont la preuve d'un possible lien direct entre dictatures militaires
du cône sud-américain et nazisme.
Le cas de l'Uruguay se révèle, quant à lui, très différent
de celui des pays voisins. En effet, le pays subit une influence nazie dans les
années 30-40, mais celle-ci ne se prolonge pas dans l'après- guerre. Des nazis
ont pu séjourner dans le pays, mais sans s'y établir de façon durable, sans
s'intégrer réellement à la société et sans jouer un rôle politique.
Notre travail a été enrichi par un voyage en Argentine et au
Chili, lequel nous a permis de nous immerger dans l'histoire des deux pays. Les
dictatures militaires sont encore un sujet très récent et douloureux. Beaucoup
de procès sont en cours, et un grand nombre de structures travaillent au
service de la mémoire collective, une mémoire toujours à vif, comme nous avons
pu l’observer.
De nos jours, au Chili tout particulièrement, le lien entre
nazisme et dictature militaire est considéré comme une « évidence ». Les
citoyens sont tout à fait conscients du « passé nazi » de leur pays. Ils
semblent ressentir un « besoin » de parler de la présence nazie, et de son
influence très nette sur la population chilienne. Beaucoup semblent connaître,
de près ou de loin, un exemple concret des liens entre le Chili et les nazis.
Ricardo Vergara, guide touristique, nous a raconté spontanément
son « expérience ». Vers l'âge de douze ans (dans les années 70 ou 80, date
imprécise), il se souvient avoir séjourné à Valdivia (dans le sud du Chili),
chez le grand-père de l'un de ses amis. Ce dernier semble vouloir partager un
secret, et demande soudainement à Ricardo : « Veux-tu que je te montre quelque
chose ? » Le jeune Ricardo acquiesce. « Mais surtout, promets-moi de ne rien
dire à personne, rien, sinon cela peut aller très mal. » Ricardo accepte. Son
jeune ami va alors chercher l'une des assiettes de son grand-père. Il la
retourne et la lui montre : derrière l'assiette sont peints les symboles de la
croix gammée et de l'aigle nazi. Ricardo Vergara comprend alors que le
grand-père de son ami, en possession de cette assiette, n'est autre qu’un
ancien membre du parti nazi. Ce que confirme le petit-fils.
La Patagonie chilienne, notamment les villes de Temuco,
Puerto Montt, Valdivia, Puerto Varas, Osorno, ainsi que la toute proche
Patagonie argentine (San Carlos de Bariloche) ont été en effet un véritable
paradis pour les anciens nazis. La tradition allemande y est née à la fin du
XIXème siècle et va
perdurer, aujourd’hui encore1. (…)
Lire ou télécharger la thèse sur
« les nazis et le cône
sud », cliquez ici !