mercredi 13 février 2013

Guyane, les Amérindiens ont-ils des droits ?

Les Amérindiens 
de Guyane 
ont du mal 
à se faire entendre 

 Par Bernard Comoli 

Janvier 2013, la France était l'un des quatorze pays inscrits à l'ordre du jour de la 15e session du Groupe de travail du Conseil des droits de l'homme chargé de l'Examen périodique universel - EPU. C'est une procédure destinée à faire le point sur l'application des droits humains dans les différents États. Le premier examen concernant la France a eu lieu en 2008.

Les droits des peuples autochtones sont abordés dans plusieurs textes

Dans son "Rapport national", le gouvernement français rappelle qu'en 2007, il a voté en faveur de l'adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. La France "s'attache donc à prendre en compte les aspirations exprimées par les populations autochtones dans le principe constitutionnel d'égalité des citoyens". 

Il signale également la tenue, en Guyane, en décembre 2011 des "États généraux du multilinguisme dans les outre-mer". Une manifestation au terme de laquelle a été adoptée la "Déclaration de Cayenne". L'objectif de ce texte est "d'organiser la coexistence du français et des langues de l'outre-mer sur un même territoire et de concilier la nécessaire maîtrise du français et la non moins nécessaire prise en compte des langues parlées sur les territoires".

Dans la "Compilation" établie par le Haut – Commissariat, il est noté que la Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme – CNCDH - un organisme français – est d'avis que "l’idéal commun d’une "République une et indivisible" passe par une mise en œuvre universelle de tous les droits de l’homme et une application effective du principe d’égalité et de non-discrimination. Cela implique également un engagement des pouvoirs locaux et une prise en compte des spécificités des territoires et des populations d’outre-mer, trop souvent négligés dans la mise en œuvre effective des droits de l’homme".  

Elle recommande la signature et la ratification dans les meilleurs délais de plusieurs instruments internationaux, dont la Convention 169 de l'Organisation Internationale du Travail - OIT. De son côté, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale – CERD (un organe onusien) se dit préoccupé par le fait que le système actuel ne permettait pas de reconnaître des droits collectifs aux peuples autochtones, notamment le droit ancestral à la terre. Il a recommandé à la France de reconnaître ces droits.
 
Dans le "Résumé" du Haut – Commissariat, en matière de Droits culturels, le Bureau Européen pour les Langues Moins Répandues – BELMR est d'avis que "la conception française de l'égalité des droits des citoyens qui implique la non – discrimination, l'unité et l'indivisibilité de la nation" légitime les discriminations culturelles, territoriales et sociales et nie le droit à l'existence des communautés différentes de la communauté monolingue francophone. Du fait de cette conception, les groupes minoritaires qui pourraient être qualifiés de peuples minoritaires ou autochtones ne peuvent jouir de leurs droits culturels et linguistiques.

Le gouvernement français répondra à ces interpellations lors de la 23e session du Conseil des Droits de l'homme en mai - juin prochain.

Présente à Genève pour assister aux débats, Florencine Edouard, coordinatrice de l'Organisation des Nations Autochtones de Guyane – ONAG a exprimé, lors d'une conférence de presse, sa déception vis-à-vis du rapport présenté par la France face à la situation dans laquelle se trouvent les communautés amérindiennes de Guyane, notamment dans les domaines de la santé et de l'éducation. 

Selon elle, les "États généraux du multilinguisme" sont pour l'heure sans résultats. Est également encore sans effets, la promesse faite en janvier 2012 par Nicolas Sarkozy, de consacrer le montant des ventes de  l'or saisi à la réalisation d'infrastructures* au bénéfice des communautés autochtones.
Florencine a remis un rapport sur les droits autochtones publié en novembre 2012 par l'ONAG. Un texte cosigné par Alexis Tiouka**, juriste et expert en Droit humain, spécialiste en droit autochtone, et Philippe Karpe, chercheur juriste du Centre de coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement - CIRAD

Un premier chapitre est consacré au patrimoine culturel et aux langues régionales. Il est reproché au ministère de l'éducation nationale de ne reconnaître qu'au seul créole guyanais le statut de langue régionale et d'en exclure les langues amérindiennes au nombre d'une demi-douzaine.

Un deuxième chapitre traite du droit foncier et des ressources naturelles. Même si, dans le cadre de la décentralisation, quelques textes, notamment un décret de 1987, ont donné un peu plus de droits aux communautés tirant traditionnellement leurs moyens de subsistance de la forêt, l'ONAG est d'avis que la situation des autochtones de Guyane n'a pas évolué. Comme la CNCDH, elle demande à la France de signer et ratifier la Convention 169 de l'OIT.

La troisième partie du rapport est consacrée au droit à la santé. Les peuples autochtones sont confrontés à l'orpaillage clandestin de plus en plus important et de plus en plus agressif et à une épidémie de suicides. Une situation reconnue par la France. Le manque d'accès aux soins mène à des problèmes de santé identifiables pour les Amérindiens. 

En plus de l'empoisonnement au mercure, suicides et maladies infectieuses se sont répandus malgré les efforts du gouvernement pour remédier à ces problèmes. Entre autres mesures, l'ONAG demande de réduire efficacement l'extraction illégale (de l'or) et la recherche de solutions de rechange alimentaires culturellement appropriées pour les populations amérindiennes.

Le passage à Genève de Florencine a été relativement discret. Sa conférence de presse*** bien moins fréquentée que celle de Raoni, tenue au Club de la presse de Genève le 10 décembre 2012. Peu avant, le leader Kayapó avait été reçu au palais de l'Élysée par le président français…

À lire la liste des organisations de la société civile qui ont envoyé des remarques en vue de cet examen périodique, particulièrement sur la situation des Amérindiens de Guyane, peu sont françaises. Les organisations agissant en France dans les domaines de la solidarité, des droits humains ou du développement durable sont-elles indifférentes au sort de leurs (trop) lointains concitoyens ?

Les Amérindiens de Guyane française ont de la peine à se faire entendre !


Notes : 

*Voir sur ce blog, la note du 03/02/2012

** Alexis Tiouka a publié deux articles les 12 et 22 janvier derniers sur les droits autochtones et leur application en Guyane.

*** Organisée le 21 janvier avec le soutien du CETIM et du doCip




Source : le blog de Bernard Comoli