engage le gouvernement
à garantir les libertés fondamentales
Par Christophe Deloire, Secrétaire général de Reporters sans frontières
A l’attention de M. Raúl Castro Ruz, Président du Conseil d’État de la République de Cuba, Président de la Communauté des États latino-américains et caribéens (CELAC)
Monsieur le Président,
Au terme du récent sommet de Santiago du Chili, vous avez été investi à la présidence pro tempore
de la Communauté des États latino-américains et caribéens (CELAC). Vous
vous êtes engagé, à ce titre, à agir “dans le respect total du droit
international, de la charte des Nations unies et des principes
fondamentaux qui régissent les relations entre les pays”. Vous avez
également déclaré, au cours de votre allocution du 28 janvier 2013,
votre intention de rejeter “l’ingérence, l’agression, les menaces, le
recours à la force” et de favoriser “le dialogue”.
Reporters sans frontières, organisation internationale
de défense de la liberté d’information, formule l’espoir que ces
engagements se concrétiseront rapidement dans votre propre pays. La
prétention légitime de Cuba à participer du processus d’intégration
régionale, tout comme la volonté d’ouverture manifestée avec certaines
réformes en cours, ne peuvent aller sans un effort attendu en matière de
respect des libertés fondamentales.
La réforme de la loi migratoire, entrée en vigueur le 14
janvier 2013, constitue un gage important. Elle met fin aux permis de
sortie jusque là obligatoires pour les Cubains désireux de se rendre à
l’étranger et garantit leur retour dans l’île sans condition. Elle doit
s’appliquer sans distinction à tous les citoyens. Récipiendaire d’un
passeport, la blogueuse Yoani Sánchez devra pouvoir
retourner chez elle à l’issue du déplacement qu’elle compte effectuer
sous peu sur le continent. La porte doit également s’ouvrir aux
journalistes et dissidents forcés à l’exil qui voudraient regagner leur
patrie, comme, à l’inverse, pour tous ceux qui souhaiteraient voyager.
Le dialogue que vous appelez de vos vœux rend cette promesse impérative.
Libérations en attente
Ce dialogue ne saurait toutefois avoir lieu sans que
soit mis un terme à la répression frappant des citoyens “coupables”
d’informer de la situation de l’île hors du contrôle de l’État. D’ores
et déjà ce contrôle doit être aboli, l’information plurielle reconnue,
et des individus injustement emprisonnés, libérés. Votre volonté
affichée de vous conformer au droit international et à la charte de
l’Onu impose, dès lors, la ratification urgente des deux pactes des
Nations unies relatifs aux droits civils et politiques signés par votre
gouvernement en 2008. Sans plus attendre, plusieurs situations
dramatiques peuvent être dénouées.
Incarcéré depuis bientôt cinq mois, le correspondant d’Hablemos Press Calixto Ramón Martínez Arias
risque une peine de trois ans de prison pour “outrage au chef de
l’État”. Cette accusation ne vise en réalité qu’à punir ce journaliste
indépendant pour avoir publié des informations – confirmées en leur
temps par le gouvernement lui-même – concernant des épidémies de choléra
et de dengue. Condamné en juillet 2012 à quatorze ans de prison pour
des charges d’“espionnage” jamais étayées, Luis Antonio Torres, employé du quotidien d’État Granma
avait, lui aussi, produit des informations d’intérêt public touchant
aux conséquences négatives de projets d’infrastructure. Parler d’une
réalité embarrassante revient-il à conspirer contre un État ?
De même, nous nous inquiétons du sort de l’écrivain Ángel Santiesteban-Prats
– condamné à cinq ans de prison le 8 décembre 2012, officiellement pour
“violation de domicile et lésions”, à l’issue d’un procès où des
charges ont été inventées et des témoignages achetés. Lauréat de
plusieurs prix, intellectuel reconnu au sein de la société cubaine,
Ángel Santiesteban-Prats n’a fait que formuler sur son blog
des critiques envers votre gouvernement. Son emprisonnement peut
intervenir à tout moment.
Enfin, Reporters sans frontières a eu
connaissance de l’arrestation, le 5 février dernier à La Havane, du
journaliste indépendant Héctor Julio Cedeño, au seul
motif d’avoir photographié un groupe d’inspecteurs d’État harcelant des
vendeurs ambulants. L’intéressé est toujours détenu à ce jour. Ces
entraves et persécutions favorisent-elles réellement le débat critique
pour lequel vous plaidez ?
Internet en souffrance malgré ALBA-1
L’information est au principe des nécessaires échanges
d’idées et d’opinions qui font vivre et évoluer une société. C’est aussi
pourquoi les progrès d’Internet doit bénéficier à tous les Cubains. La
récente mise en service du câble sous-marin ALBA-1 – relié à l’île
depuis le Venezuela – fournit désormais le support nécessaire à une
connexion jusqu’alors limitée. Vous avez régulièrement attribué ces
limitations à l’impossibilité d’utiliser d’autres câbles, en raison de
l’embargo des Etats-Unis imposé à Cuba depuis 1962, dont Reporters sans
frontières a d’ailleurs réclamé la levée à plusieurs reprises. Notre
position sur ce dernier point reste inchangée. Pour autant, le câble
ALBA-1 devrait désormais permettre à tous les citoyens cubains de
disposer d’un accès libre à Internet.
En vous remerciant de l’attention que vous porterez à
cette lettre, je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression
de ma très haute considération.
Source : Reporters Sans Frontières