samedi 16 février 2013

Quand les fascismes latino-américains s’inspiraient de Goebbels

Argentine et Brésil

Varguisme et péronisme : 
étude comparée


Par Maria Helena Rolim Capelato* - Traduction de Judith Marjorie Desmazières**

Vous trouverez sur la page un long texte, plus exactement une analyse sur l’usage de la propagande en Argentine et en quoi les fascismes européens et les nazis en particulier ont inspiré deux formes de fascisme spécifiquement latino-américain. Ce texte fait une comparaison entre deux types de pensées totalitaires, dédiés au seul culte de la personnalité, et à une certaine idée de l'exercice des pouvoirs en Amérique Latine.

Varguisme et péronisme : étude comparée (1)

Les formes de pouvoir de Vargas (1937-1945) et de Perôn (1945-1955) présentent des aspects communs qui incitent à la comparaison de ces deux réalités historiques, proches dans le temps et dans l'espace. Si on y observe une puissante inspiration fasciste ou nazi, ces deux politiques montrent néanmoins des caractéristiques propres qui les différencient du modèle de référence pour l'organisation de la politique de masse.

Dès la Première Guerre mondiale, cette politique s'est développée dans un contexte de refus du système libéral, considéré inapte à résoudre les problèmes sociaux. L'impact de la Première Guerre et de la Révolution russe a engendré des critiques du libéralisme et de la démocratie politique. La pensée antilibérale et antidémocratique, avec différentes
nuances, révélait l'extrême intérêt suscité par la problématique des masses.

Les idéologues nationalistes d'extrême droite qui apparurent dans les années 20, continuaient, dans la lignée de Gustave Le Bon, Scipio Sighele et d'autres, à manifester leur dédain et leur répulsion devant les masses « primitives », « irrationnelles », « délinquantes ». Néanmoins, à cette époque, d'autres voix s'élevaient qui proposaient des solutions nouvelles à la question sociale : pour éviter l'éclosion de révolutions, ces personnes suggéraient que le contrôle social soit assuré par un État fort, dirigé par un leader charismatique, capable de mener les masses sur le chemin de l'ordre. Dans ce contexte, la propagande politique fut considérée comme un élément important pour attirer les masses vers le leader.

Le fascisme et le nazisme mirent en pratique ces idées. L'intégration des masses préoccupait aussi les élites des pays latino-américains. Dans les années 20, le développement des mouvements sociaux et politiques fit grandir le spectre de la Révolution russe qui hantait les responsables de l'ordre. La question sociale était au cœur des critiques faites au libéralisme, considéré comme incapable de résoudre ce problème.

Les économies latino-américaines souffrirent beaucoup du krach de la Bourse de New York, en 1929. La conjoncture de crise favorisait les changements politiques. Dans certains pays, tels que le Brésil et l’Argentine, les courants anti-libéraux se renforcèrent et déclenchèrent une action visant à renverser les institutions démocratiques. La révolution brésilienne de 1930 prépara le terrain pour l'instauration d'une politique autoritaire, renforcée après le coup d'État de 1937 qui donna naissance à l'Etat nouveau.

En Argentine, le coup d'État de 1930 fut organisé par des militaires pro-nazis qui ne parvinrent pas à se maintenir longtemps au pouvoir. Par contre, celui de ses détracteurs, il fut destitué puis incarcéré en octobre 1945. Une énorme manifestation populaire de protestation en sa faveur eut lieu le 17 octobre sur la place de Mai, exigeant sa libération. Le mouvement fut un succès et, dès lors, Perôn devint le grand leader national porté par les classes populaires.

L'avènement de l'Etat nouveau, au Brésil, facilita une consolidation conceptuelle de la politique de masse qui fut instaurée en Argentine, dans la décennie suivante, avec la victoire électorale de Perôn. La nouvelle politique était accompagnée, comme en Allemagne et en Italie, d'un recours à la propagande, ce qui impliquait un contrôle rigoureux des moyens de communication. Bien qu'inspirées des expériences européennes, notamment de celle de
Joseph Goebbels, les propagandes politiques de Vargas et de Perôn présentaient des spécificités de contenu et de forme. Il est important de souligner que les idées et les images, venant d'Europe vers l'Amérique, prenaient alors un sens nouveau, lié aux conjonctures historiques particulières.

Bien que le varguisme et le péronisme eussent un écart de dix ans, ils instaurèrent tous deux un nouveau style de pouvoir, orienté vers les masses. La propagande politique fut adoptée par les deux régimes. Le péronisme s'organisa dans le cadre d'un État libéral, toutefois sa nature et son objectif de conquête des masses l'apparentaient bien davantage à l'État nouveau. Dans le cas argentin, un dispositif para-étatique de contrôle des moyens de communication fut mis en place. Il se révéla d'ailleurs plus efficace que la machine du ministère de la Presse et de la Propagande brésilien.

Les messages de propagande s'appuyaient sur des supports et des moyens très divers. L'État nouveau fut prodigue en textes : biographies de Vargas, mémoires, écrits politiques, discours, livres faisant l'apologie du régime, œuvres de nature théorique produites par les idéologues de l'État nouveau, textes didactiques, revues de culture et de divulgation idéologique, journaux, livres didactiques d'histoire destinés à l'enseignement secondaire.

Ces textes étaient rarement illustrés, même dans le cas des ouvrages destinés aux enfants. Au-delà de ce noyau dur de la propagande, des photos, des images d'actualités pour le cinéma, des films de fiction, des affiches, des tracts, des programmes et des feuilletons radiophoniques, de la musique, de la peinture, des sculptures, des œuvres architectoniques, des monnaies et médailles, des hymnes et des drapeaux complétaient la liste des dispositifs visant à encenser les réalisations du régime, dans le but de gagner l'appui de 1943 réussit : il avait été fomenté par le Groupe des officiers unis (GOU), sympathisant de l'Axe. Il fit entrer sur la scène politique le leader Juan Domingo Perôn, élu président de la République en 1946. Dans le gouvernement militaire, Perôn occupa le poste de ministre du Travail (1943-1945) et mit en place la politique travailliste qui allait lui apporter un si grand prestige auprès des travailleurs. Sous la pression de larges tranches de population.

La propagande péroniste utilisa des supports similaires mais elle présente quelques particularités : le recours aux textes écrits fut moins important en Argentine. D'autre part, les illustrations abondaient et les dessins figurant dans les livres, les albums commémoratifs, les revues et les livres didactiques étaient d'un grand impact. Contrairement au cas brésilien, la littérature (romans, contes, poèmes, pièces de théâtre) avait une grande importance et représentait une arme de lutte contre l'opposition, qui se dotait d'ailleurs des mêmes moyens. Les livres de lecture du cycle élémentaire et l'album commémoratif des réalisations péronistes (La Naciôn Argentina, publicaciôn especial comemorativa, 1950, avec plus de 800 pages) constituent le matériau le plus riche pour l'analyse de la propagande.

Les journaux, revues et suppléments littéraires constituent également des sources importantes pour cette étude. Le Mundo Perônista, organe de diffusion de l'École supérieure péroniste, présente aussi un grand intérêt. Outre cet ensemble imprimé, les emblèmes, écussons, drapeaux, tracts et affiches furent beaucoup plus abondants en Argentine qu'au Brésil. La production musicale, cinématographique et photographique resta comparable dans les deux pays.

La propagande faite autour du personnage d'Eva Perôn et de ses réalisations fut très importante et laissa des traces profondes dans la société. La mort de la Première dame, en 1952, vint renforcer le mythe féminin mis en placedès le début du péronisme. Les leaders masculins eurent aussi une grande importance dans la propagande politique. Au Brésil, les biographies de Vargas et les œuvres faisant l'apologie de l'État nouveau furent prédominantes. Ce matériau n'a pas eu la même importance en Argentine. Pour ce qui est du support imprimé, ce sont les discours et les textes écrits par Perôn qui constituent le noyau principal.

Dans les deux cas, les messages de propagande étaient véhiculés par les moyens de communication, par le système éducatif et la production culturelle. On peut noter un contraste plus net entre les éléments de propagande argentine et brésilienne quant à l'importance attribuée à la photographie et au matériau imprimé (textes de différentes sortes) dans l'État nouveau et au matériau illustré, avec force de dessins en couleur, dans le régime de Perôn. La propagande péroniste se caractérise par cette profusion d'images qui contraste avec la sobriété du style de l'État nouveau. Ceci révèle peut-être une plus grande préoccupation à atteindre les couches populaires de l’Argentine.

Cette différence, apparemment anodine, est à mettre en relation avec les objectifs qui orientaient les politiques de l'État nouveau et du régime péroniste. L'analyse du signifié des images, des symboles, des mythes et des spectacles promus par le pouvoir permet de remarquer les principaux objectifs de chaque gouvernement. Alors que, pour l'État autoritaire brésilien, l'appui des masses était secondaire, en Argentine, cet appui était considéré, par le gouvernement péroniste, comme le moyen de se maintenir au pouvoir.

L'objectif principal de la comparaison des politiques de Vargas et de Perôn est de mieux comprendre le caractère autoritaire et les nouvelles formes de contrôle social que ces régimes ont établis. Ils se sont dotés d'un important outil de propagande afin de conquérir le soutien des masses mais aussi d'empêcher ses possibles manifestations d'autonomie. La mise en place d'un système de propagande, selon les dirigeants latino-américains cherchèrent à canaliser la participation des classes populaires selon la direction imposée. Pour empêcher l'expression des conflits et les manifestions d'opposition, on refusait le droit à la liberté d'organisation des classes laborieuses et le principe de pluralité de la vie sociale, caractéristiques de la démocratie, en les remplaçant par un projet de construction d'une société unie et harmonieuse.

La comparaison des deux régimes trouve également sa justification dans la permanence de traces des imaginaires politiques varguiste et péroniste dans la période postérieure. Les sociétés brésilienne et argentine des années 1980 durent faire face au défi de concilier démocratie et crise économique. La re-démocratisation s'embourbait autant dans les difficultés économiques structurelles et conjoncturelles (inflation, récession, profonde inégalité de la redistribution des richesses) que dans la persistance d'une culture politique autoritaire, ostraciste, personnalisée et visant au contrôle des mouvements sociaux.

L'expérience des régimes militaires a poussé les chercheurs à s'interroger sur la constitution et la nature de l'autoritarisme et a suscité un grand intérêt pour l'étude du varguisme et du péronisme : en instaurant une politique de masse, ces deux systèmes politiques des années 1930 à 1950 ont renforcé les composantes autoritaires déjà présentes, encore qu'à un degré différent, dans la tradition politique brésilienne et argentine. Ces expériences, analysées conjointement ou séparément, furent considérées comme les expressions les plus typiques du populisme en Amérique latine. 

Ce phénomène, largement étudié par les sociologues, politologues et économistes, a attiré, au cours de ces dernières années, l'attention des historiens. Ces derniers, en envisageant ce thème, ont cherché à éclaircir certains aspects de l'histoire de cette période qui n'avaient encore jamais été abordés. Les modèles plus génériques de populisme couvrant de longues périodes et des expériences diverses comme le varguisme, le péronisme, le cardénisme, le gaetanisme2 et d'autres, ne pouvaient envisager les spécificités que les historiens d'aujourd'hui recherchent dans des champs plus restreints. Dans cette optique, les études comparées se sont révélées efficaces parce qu'elles ont permis de définir les traits communs d'une expérience universelle ainsi que les particularismes nationaux.

L'historiographie brésilienne et argentine, qui reprend l'étude de l'État nouveau et du régime péroniste, a fait preuve d'un grand intérêt pour les aspects politiques et culturels étudiés à partir de sources peu exploitées par les analyses précédentes. Cet intérêt pour l'histoire politique de cette période est lié à un essai de compréhension de l'autoritarisme qui a dominé l'Amérique latine au cours des années 1960-1970.

L'histoire politique d'aujourd'hui se distingue des précédentes dans la mesure où elle place l'étude du pouvoir au cœur de la nouvelle problématique. Cette étude ne doit pas être confondue avec les théories de l'État, et elle se développe à partir de la modèles créés par le nazisme et le fascisme, représentait un essai de reformulation des mécanismes de contrôle social, considérés comme inadaptés aux temps nouveaux. Usant de techniques de communication de masse sophistiquées, avisée politique, les reconnaissance d'autres formes de politique et de la possibilité d'interprétation du pouvoir à travers d'autres prismes. Cette révision historiographique a motivé l'exploitation de thèmes de recherches relatifs à la culture et/ou à l'histoire des imaginaires politiques constitués par des idées, des images, des symboles, des mythes et des utopies.

Le champ de l'imaginaire collectif est bien le terrain de la confrontation politique dans lequel la lutte des forces symboliques provoque des transformations de la société. Comme les images répondent aux conflits sociaux et aux relations antagoniques, elles sont d'un grand poids dans les pratiques politiques de groupe. Elles font appel au ressentiment, à la frustration, aux peurs et aux espérances afin de mieux persuader (Freitas Dutra, 1997).

L'étude comparée des imaginaires collectifs, véhiculés par la propagande varguiste et péroniste, exige une réflexion sur le contexte international dans la mesure où il a provoqué une redéfinition des formes politiques dont la propagande était une pièce maîtresse. Les concepteurs des régimes argentin et brésilien s'inspirèrent des expériences nazies et fascistes pour l'introduction de la politique de masse dans leur pays respectif. Les différentes réalités (fascisme, nazisme, varguisme, péronisme) échangèrent leurs expériences. Il y avait, entre ces idéologies, un mouvement constant de circulation d'idées, d'images et de pratiques politiques qui, une fois importées de l'Europe vers lAmérique, étaient assimilées et reproduites, avec un signifié nouveau.

Comme le souligne Alcir Lenharo, dans les années 30, les régimes fascistes, le nazisme et le stalinisme, sans que cela soit véritablement reconnu, échangèrent formules et expériences. Elles visaient à geler les foyers de tension de l'histoire et à résoudre, de façon définitive, la question sociale, afin de libérer les masses laborieuses de leur joug (Lenharo, 1986, p. 13). Dans ce contexte, les images et les symboles transitèrent dans plusieurs sociétés. Ils étaient remodelés mais utilisés dans la propagande avec le même dessein : transmettre aux récepteurs du message un même contenu chargé d'une émotivité capable de générer des réponses du même type, c'est-à-dire des réactions d'assentiment et d'appui au pouvoir.

Roberto Romano attire notre attention sur ce point : « Pour celui qui vit dans une société telle que la nôtre, la construction des imaginaires revêt une importance particulière. [...] On ne touche pas impunément aux symboles. Ils sont le résiduel éthique de traditions séculaires, d'idées préconçues enracinées dans les cœurs et les esprits. » (Romano, 1986, p. 316.)

Dans les propagandes politiques brésilienne et argentine, nous rencontrons un nombre incalculable d'images religieuses. La recherche de l'appui de l'Église par les deux régimes avait bien sûr un sens politique mais représentait également la possibilité de se prévaloir des images catholiques. Roberto Romano démontre que le langage religieux s'appuie surtout sur des images, ce qui explique son pouvoir de persuasion. Citant Spinoza, lorsqu'il se réfère au jeu des passions, l'auteur montre que l'imaginaire religieux utilise l'espoir et la peur, éléments essentiels pour dominer des bases populaires. Il en résulte une grande capacité de persuasion que l'on rencontre rarement directement dans les idéologies rationalistes du monde laïc (Romano, 1979, p. 165).

L'imaginaire politique divulgué par la propagande nazie et fasciste, révèle une très nette inspiration catholique dans la liturgie et l'utilisation des images qui, ici, s'enrichissent d'un sens politique. Ces artifices, utilisés dans la configuration des représentations du nouveau style de pouvoir, rencontrèrent un terrain culturel fertile pour pénétrer les sociétés brésilienne et argentine. Leur formation ibérique les avait habituées à la pratique et au culte des images/symboles, des mythes et des utopies répandus par le catholicisme,et ce depuis la conquête et la colonisation. Démonter cet imaginaire, analyser ses éléments constitutifs et le mettre en relation avec le contexte historique de sa conception est la tâche à laquelle les historiens se sontconsacrés dans ce nouvel examen de l'État nouveau de l'ère Vargas et la première phase du péronisme.

Dans un domaine où l'étude des idées et des images permet d'établir la connexion entre le politique et le culturel, l'analyse de la propagande politique des régimes de masse a trouvé une voie féconde. La propagande politique, envisagée comme phénomène de société et de culture de masse, prit, dans les années 30-40, une énorme importance au moment où se manifestait, au niveau mondial, une avancée technique considérable des moyens de communication.

Bronislaw Bazcko affirme que l'histoire des imaginaires collectifs se confond, dans une large mesure, avec l'histoire de la propagande politique. Celle-ci se sert des idées et des concepts, mais les transforme en images et en symboles ; les monuments de la culture sont également incorporés à cet imaginaire transmis par les moyens de communication.

La référence de base de la propagande est la séduction, élément d'ordre émotionnel de grande efficacité pour attirer des masses. Une telle perspective d'analyse est en relation directe avec l'étude des imaginaires sociaux qui constituent une catégorie des représentations collectives (Bazcko, 1984). Dans les sociétés contemporaines, les moyens de communication de masse disposent de moyens techniques et scientifiques très élaborés : ils permettent de fabriquer et de manipuler des imaginaires collectifs qui sont une des forces régissant la vie sociale et donc de première importance dans l'exercice du pouvoir.

Pour exercer cette domination par le biais des imaginaires sociaux, il est nécessaire de contrôler les moyens de communication, instruments de persuasion voués à inculquer des valeurs et des croyances.

C'est sur ce point que Bazcko met en relation l'histoire des imaginaires sociaux et l'histoire de la propagande. Les moyens de communication créent des besoins, ouvrent des possibilités inédites à la propagande, qui, elle-même, se charge de les satisfaire. Quel que soit le régime, la propagande politique est stratégique pour l'exercice du pouvoir. Néanmoins, elle acquiert une force bien supérieure lorsque l'État, grâce au monopole des moyens de communication, exerce une censure rigoureuse sur l'ensemble de l'information et la manipule afin de bloquer toute activité spontanée et de modeler les comportements collectifs.

Perôn et Vargas, tous deux admirateurs de Goebbels, cherchèrent à organiser un appareil de propagande selon le modèle établi en Allemagne, ce qui impliquait une tentative de contrôle total des moyens de communication.

La nature de la politique de masse, introduite dans les deux pays, et la nouvelle culture politique qu'elle faisait émerger peuvent être comprises à partir de l'analyse du contenu des messages du pouvoir. Cette analyse montre comment les artisans de cette politique de masse en Amérique latine interprétèrent la situation internationale et, en particulier, la position du Brésil et de l'Argentine dans cette conjoncture de transformations. Les textes politiques, de nature théorique, tout comme les ouvrages de divulgation, insistent sur la nécessité de substituer la « démocratie libérale » par la « démocratie sociale » afin de s'adapter aux exigences des « temps nouveaux ».

Le thème de la nouvelle citoyenneté occupait une place prépondérante dans les messages de propagande. La « citoyenneté du travail » apparaissait comme un élément de définition de la culture politique qui, au nom du , et la nouvelle culture politique qu'elle faisait émerger peuvent être comprises à partir de l'analyse du contenu des messages du pouvoir

Cette analyse montre comment les artisans de cette politique de masse en Amérique latine interprétèrent la situation internationale et, en particulier, la position du Brésil et de
l'Argentine dans cette conjoncture de transformations. Les textes politiques, de nature théorique, tout comme les ouvrages de divulgation, insistent sur la nécessité de substituer
la « démocratie libérale » par la « démocratie sociale » afin de s'adapter aux exigences des « temps nouveaux ». Le thème de la nouvelle citoyenneté occupait une place prépondérante dans les messages de propagande. La « citoyenneté du travail » apparaissait comme un élément de définition de la culture politique qui, au nom du collectif, annulait la possibilité d'organisation autonome des travailleurs et leur liberté de manifestation. Dans ce contexte, le citoyen perdait son individualité pour s'intégrer dans le collectif en tant que citoyen de la Patrie.

Les devoirs envers la Patrie étaient supérieurs aux droits civils. Ces derniers étaient substitués par des droits sociaux généreusement concédés par le leader de la nation, comme le montrait de façon exhaustive la propagande. De telles largesses appelaient en retour gratitude et rétribution : la loyauté au régime et à son chef était ce que l'on attendait du bénéficiaire. Un autre thème, répété à satiété par les messages de propagande, était celui de l'identité nationale. La substitution de l'identité nationale de caractère libéral/individualiste par l'identité nationale collective était mentionnée comme tâche prioritaire. La nouvelle identité était associée à l'idée/image de société unie et harmonieuse, guidée par le leader, conducteur des masses.

La propagande varguiste comme la péroniste insistaient sur l'affirmation du nous collectif au détriment du je individuel, ce qui impliquait l'exclusion de l'autre considéré comme l'ennemi. Les opposants de tous bords étaient considérés comme des menaces à l'unité et à l'harmonie du Un, représenté par la nation. En tant que tels, ils devaient être exclus de la société. Cette vision autoritaire de l'identité nationale était complétée par le rôle attribué aux dirigeants dans la réalisation de l'utopie de la société parfaite. On exploitait également des valeurs telles que l'obéissance, la loyauté, l'amour, la gratitude envers les chefs identifiés à l'image du père, de l'ami, de Jésus, sauveur et rédempteur. Les mythes du salut et de la rédemption émergèrent dans ce contexte et servirent à renforcer les sentiments qui engendraient l'adhésion au pouvoir.

De l'analyse du contenu et de la forme de la propagande varguiste et péroniste, il est possible d'indiquer les spécificités importantes, au-delà des aspects semblables. La propagande de l'État nouveau, construite sur l'initiative d'un État autoritaire, avait pour but de discréditer le passé libéral qui avait instauré le désordre sans parvenir à combler le retard. Afin de donner une légitimité au coup d'État de 1937 et à la nouvelle politique d'État, les messages montrèrent que la représentation politique de parti était une farce et n'était pas en adéquation avec la réalité du pays. La critique faite à l'imitation des institutions libérales étrangères, symbolisée par l'opposition pays légal/pays réel, avait pour contrepartie la valorisation d'éléments autoritaires dissimulés par une étiquette nationale.

L'anti-libéralisme, associé à la défense de l'original/national, marque également la propagande péroniste. Cependant, l'expérience argentine s'est caractérisée par une tension entre une politique de nature autoritaire et l'État libéral dans lequel elle s'exerçait. Les messages de propagande s'attaquaient aux principes du libéralisme, à la démocratie de base individualiste et exaltaient la politique de justice. Au- delà des critiques faites au libéralisme, il est bon collectif, annulait la possibilité d'organisation autonome des travailleurs et leur liberté de manifestation.

Dans ce contexte, le citoyen perdait son individualité pour s'intégrer dans le collectif en tant que citoyen de la Patrie. Les devoirs envers la Patrie étaient supérieurs aux droits civils. Ces derniers étaient substitués par des droits sociaux généreusement concédés par le leader de la nation, comme le montrait de façon exhaustive la propagande. De telles largesses appelaient en retour gratitude et rétribution : la loyauté au régime et à son chef était ce que l'on attendait du bénéficiaire.

Un autre thème, répété à satiété par les messages de propagande, était celui de l'identité nationale. La substitution de l'identité nationale de caractère libéral/individualiste par l'identité nationale collective était mentionnée comme tâche prioritaire. La nouvelle identité était associée à l'idée/image de société unie et harmonieuse, guidée par le leader, conducteur des masses. La propagande varguiste comme la péroniste insistaient sur l'affirmation du nous collectif au détriment du je individuel, ce qui impliquait l'exclusion de l'autre considéré comme l'ennemi.

Les opposants de tous bords étaient considérés comme des menaces à l'unité et à l'harmonie du Un, représenté par la nation. En tant que tels, ils devaient être exclus de la société. Cette vision autoritaire de l'identité nationale était complétée par le rôle attribué aux dirigeants dans la réalisation de l'utopie de la société parfaite. On exploitait également des valeurs telles que l'obéissance, la loyauté, l'amour, la gratitude envers les chefs identifiés à l'image du père, de l'ami, de Jésus, sauveur et rédempteur. Les mythes du salut et de la rédemption émergèrent dans ce contexte et servirent à renforcer les sentiments qui engendraient l'adhésion au pouvoir.

De l'analyse du contenu et de la forme de la propagande varguiste et péroniste, il est possible d'indiquer les spécificités importantes, au-delà des aspects semblables. La propagande de l'État nouveau, construite sur l'initiative d'un État autoritaire, avait pour but de discréditer le passé libéral qui avait instauré le désordre qui avait instauré le désordre sans parvenir à combler le retard. Afin de donner une légitimité au coup d'État de 1937 et à la nouvelle politique d'État, les messages montrèrent que la représentation politique de parti était une farce et n'était pas en adéquation avec la réalité du pays. La critique faite à l'imitation des institutions libérales étrangères, symbolisée par l'opposition pays légal/pays réel, avait pour contrepartie la valorisation d'éléments autoritaires dissimulés par une étiquette nationale.

L'anti-libéralisme, associé à la défense de l'original/national, marque également la propagande péroniste. Cependant, l'expérience argentine s'est caractérisée par une tension entre une politique de nature autoritaire et l'État libéral dans lequel elle s'exerçait. Les messages de propagande s'attaquaient aux principes du libéralisme, à la démocratie de base individualiste et exaltaient la politique de justice. Au-delà des critiques faites au libéralisme, il est bon de se souvenir que la propagande politique fut organisée selon les modèles de Goebbels et mise en œuvre par des méthodes autoritaires, allant de la censure rigide jusqu'aux pressions politiques et économiques exercées sur les moyens de communication.

Ces méthodes étaient également appliquées au Brésil, mais elles étaient légitimisées par une Constitution autoritaire qui institutionnalisait la censure. Dans le cas argentin, la particularité consiste dans les arrangements faits pour permettre la coexistence du discours et de la pratique antidémocratiques dans un régime orienté par une Constitution libérale, garante de la liberté d'expression et de manifestation. En ce qui concerne la réception des messages de propagande et les bases d'appui des gouvernements, il convient de souligner que les résultats obtenus par le varguisme et le péronisme furent aussi spécifiques.

L'image de la société une et harmonieuse, élément clé de l'imaginaire totalitariste diffusé par la propagande nazie, fut amplement propagée dans les régimes latino-américains. Mais la réception de cette image au Brésil et en Argentine ne se compare pas à la réception allemande. L’État nouveau et l’Argentine de Perôn furent le théâtre de conflits d'intérêts. Le péronisme, mouvement issu des bases populaires, produisit une césure dans la société argentine.

Dans le choc des forces politiques, il y eut des appuis et des résistances aux deux politiques. Néanmoins, en Argentine, l'opposition à Perôn fut plus intense, montrant que la société unie et harmonieuse vantée par la propagande n'avait pas dans la pratique sociale la réceptivité escomptée. Donc, définir ces régimes comme totalitaires, comme le firent certains auteurs, signifie ignorer l'existence des conflits et des manifestations d'opposition à la nouvelle forme de pouvoir.

Les deux régimes avaient des bases de soutien bien différentes. Au Brésil, la politique de consensus pratiquée par l'État nouveau ne fut possible que parce que ce gouvernement, né d'un coup d'État appuyé par les militaires, par l'Église et les secteurs dominants, sans aucune participation populaire, n'entrait pas en conflit avec les intérêts des classes nanties et n'avait donc pas besoin du soutien manifeste des masses. En Argentine, la situation était très différente : la base populaire du mouvement péroniste imposait des limites aux accords de Perôn avec d'autres secteurs; la radicalisation des positions politiques caractérise donc cette expérience.

Cette spécificité apparaît beaucoup plus clairement lorsque l'on prend en compte la question de la participation populaire dans une perspective historique. Alors que l'histoire argentine se caractérise par la participation politique et par les luttes sociales qui eurent lieu dès la naissance de la nation, au Brésil, l'exclusion sociale et politique constitue une caractéristique frappante du passé brésilien.

La politique libérale oligarchique, existant jusqu'en 1930, se résumait à un jeu de pouvoir entre partis et groupes sociaux économiques qui revendiquaient des privilèges et le contrôle de l'État, en excluant la majorité de la population de cette lutte. L'État autoritaire imposa de nouvelles règles au jeu politique : les notions de démocratie et de citoyenneté furent redéfinies, restreignant davantage encore les possibilités de participation politique. Les résistances à l'autoritarisme furent durement réprimées et elles laissèrent peu de traces car, dans la majorité des cas, on détruisit jusqu'à la mémoire de ces luttes de l'opposition.

L'analyse des messages de propagande permet également de percevoir quels étaient les objectifs prioritaires des deux régimes. Les méthodes l'État nouveau brésilien avaient pour but la réforme de l'État, c'est-à-dire sa modernisation afin de combler le retard et d'accélérer le progrès matériel. Une des justifications du coup de force était la nécessité de transformation de l'État, pour donner une impulsion telle au développement que le pays atteindrait un niveau égal à celui des nations du monde développé.

L'objectif de progrès impliquait l'ordre comme corollaire : la rationalisation du travail et le contrôle social constituèrent une partie essentielle de la politique de l'État nouveau. La justice sociale était perçue comme découlant et dépendant de la reprise économique. Perôn avait également comme objectif le développement accéléré de l'économie à partir de l'industrialisation. Cependant, les difficultés de négociation avec les classes propriétaires rendirent la réalisation de ce projet plus ardue.

Sa politique se tourna alors vers la justice sociale, servant en cela les intérêts de ses alliés. Dans le cas brésilien, on répondit moins bien aux revendications des travailleurs, car, outre que ce n'était pas la priorité du régime, les circonstances économiques internes n'étaient pas aussi favorables que dans l’Argentine de l'après-guerre.

L'accumulation de capital dans le pays, favorisée par les facilités du marché extérieur de l'époque, garantit le succès du « justicialisme » de Perôn. Au Brésil, cette question était restée au second plan et dépendait de la consolidation du progrès matériel. Les innombrables lettres, télégrammes, billets adressés à Vargas durant l'État nouveau montrent le mécontentement devant la cherté de la vie et le chômage, problèmes qui s'aggravèrent avec l'entrée en guerre du Brésil.

Les messages de propagande mettent bien en évidence cette différence entre les priorités des deux régimes. Alors que, sous Perôn, la propagande dépeignait la « Nouvelle Argentine » comme une société caractérisée par la justice sociale, par l'amélioration des conditions de vie des secteurs populaires, la propagande de l'État nouveau, elle, montrait la construction d'œuvres réalisées par des travailleurs bien préparés pour les tâches du développement. Les scènes se focalisaient sur le progrès matériel et les discours attribuaient à Vargas et à l'État nouveau les hauts-faits de la construction d’un nouveau Brésil, le Brésil moderne.

Ces différences d'objectif et de priorité permettent de mieux comprendre pourquoi le « péronisme » s'est défini comme une « révolution sociale » alors que l'État nouveau était identifié à une « révolution politique », promotrice de la réforme de l'État. Au nom de la modernisation, on justifiait le coup de force qui avait instauré l'État autoritaire.

Les différences entre des systèmes instaurés par Vargas et Perôn sont encore perceptibles aujourd'hui. Au Brésil, le varguisme est un souvenir, bien assimilé par la mémoire de ses adeptes et par les travailleurs qui s'étaient sentis, alors, mis en valeur ou servis par la politique du « père des pauvres ». Cependant, on constate que l'héritage de Getûlio Vargas fut démantelé et liquidé par les groupes politiques qui voulurent se l'approprier. D'autre part, le mouvement des travailleurs, qui s'organisa à la fin de la dictature militaire, chercha à s'opposer au legs du travaillisme de Vargas, contaminé par une tradition qui liait le mouvement syndical ouvrier à l'État et privilégiait les négociations et le consensus au détriment des conflits et de la mobilisation sociale.

En Argentine, le péronisme d'aujourd'hui est beaucoup plus qu'un simple souvenir ou un mythe qui perdurerait fortement dans l'imaginaire social. C'est une force politique capable d'ingérence dans les règles du jeu du pouvoir. Les travailleurs péronistes, organisés alors, ont perdu la majorité de leurs acquis sociaux, mais non la capacité de se mobiliser pour revendiquer leurs droits.

Néanmoins, la capacité de participation politique et sociale des couches populaires argentines doit plus à son histoire qu'à la période péroniste. Certes, sous Perôn, ils gagnèrent un accroissement important de leur pouvoir d'achat, une véritable amélioration des conditions de travail et un certain prestige social, mais ils perdirent leur autonomie politique. Le régime péroniste, d'une part, répondait aux revendications des travailleurs et leur garantissait des droits sociaux, mais d'autre part, exerçait un sévère contrôle sur les mouvements sociaux, réprimant violemment ceux qui menaçaient « l'harmonie sociale ».

Notes :

1. Ce texte a été élaboré à partir d'un ouvrage plus important publié récemment : Maria Helena Rolim Capelato, MultidSos em cena. Propaganda politica no varguismo e peronismo, Campinas, Papirus, 1998.

2. En référence aux régimes de Lâzaro Cardenas, au Mexique, et de Jorge Gaitân, en Colombie.

* Maria Helena Rolim Capelato, département d'Histoire, FFLCH, USP.

** Traduit par Judith Marjorie Desmazières, département de LEA, université de Paris X-Nanterre.

Références bibliographiques :

Baczko et Bronislaw, Les imaginaires sociaux, Paris, Payot, 1984.

Dutra et Freitas, Eliana, O ardil totalitârio. Imaginario polftico no Brasil dos anos 30, Rio de
Janeiro/Belo Horizonte, Éd. UFRJ/Ed. UFMG, 199Z

Lenharo, Alcir, Sacralizaçâo da politica, Campinas, Papirus/Ed. UNICAMP, 1986.

Romano, Roberto, Conservadorismo romântico. Origem do totalitarismo, Sâo Paulo, Brasiliense, 1981.

Romano, Roberto, Brasil. Igreja contra Estado,Sâo Paulo, Kairôs, 1979.



Source : Texte - année 1999 -  Persée.fr