Argentine et Brésil
Varguisme et péronisme :
étude comparée
Par Maria Helena Rolim Capelato* - Traduction de Judith Marjorie Desmazières**
Vous
trouverez sur la page un long texte, plus exactement une analyse sur l’usage de
la propagande en Argentine et en quoi les fascismes européens et les nazis en
particulier ont inspiré deux formes de fascisme spécifiquement
latino-américain. Ce texte fait une comparaison entre deux types de pensées totalitaires,
dédiés au seul culte de la personnalité, et à une certaine idée de l'exercice des pouvoirs en Amérique Latine.
Les
formes de pouvoir de Vargas (1937-1945) et de Perôn (1945-1955) présentent des
aspects communs qui incitent à la comparaison de ces deux réalités historiques,
proches dans le temps et dans l'espace. Si on y observe une puissante
inspiration fasciste ou nazi, ces deux politiques montrent néanmoins des caractéristiques
propres qui les différencient du modèle de référence pour l'organisation de la
politique de masse.
Dès
la Première Guerre mondiale, cette politique s'est développée dans un contexte
de refus du système libéral, considéré inapte à résoudre les problèmes sociaux.
L'impact de la Première Guerre et de la Révolution russe a engendré des
critiques du libéralisme et de la démocratie politique. La pensée antilibérale
et antidémocratique, avec différentes
nuances,
révélait l'extrême intérêt suscité par la problématique des masses.
Les
idéologues nationalistes d'extrême droite qui apparurent dans les années 20,
continuaient, dans la lignée de Gustave Le Bon, Scipio Sighele et d'autres, à
manifester leur dédain et leur répulsion devant les masses « primitives », «
irrationnelles », « délinquantes ». Néanmoins, à cette époque, d'autres voix
s'élevaient qui proposaient des solutions nouvelles à la question sociale :
pour éviter l'éclosion de révolutions, ces personnes suggéraient que le
contrôle social soit assuré par un État fort, dirigé par un leader
charismatique, capable de mener les masses sur le chemin de l'ordre. Dans ce
contexte, la propagande politique fut considérée comme un élément important
pour attirer les masses vers le leader.
Le
fascisme et le nazisme mirent en pratique ces idées. L'intégration des masses
préoccupait aussi les élites des pays latino-américains. Dans les années 20, le
développement des mouvements sociaux et politiques fit grandir le spectre de la
Révolution russe qui hantait les responsables de l'ordre. La question sociale
était au cœur des critiques faites au libéralisme, considéré comme incapable de
résoudre ce problème.
Les
économies latino-américaines souffrirent beaucoup du krach de la Bourse de New
York, en 1929. La conjoncture de crise favorisait les changements politiques.
Dans certains pays, tels que le Brésil et l’Argentine, les courants
anti-libéraux se renforcèrent et déclenchèrent une action visant à renverser
les institutions démocratiques. La révolution brésilienne de 1930 prépara le
terrain pour l'instauration d'une politique autoritaire, renforcée après le
coup d'État de 1937 qui donna naissance à l'Etat nouveau.
En
Argentine, le coup d'État de 1930 fut organisé par des militaires pro-nazis qui
ne parvinrent pas à se maintenir longtemps au pouvoir. Par contre, celui de ses
détracteurs, il fut destitué puis incarcéré en octobre 1945. Une énorme
manifestation populaire de protestation en sa faveur eut lieu le 17 octobre sur
la place de Mai, exigeant sa libération. Le mouvement fut un succès et, dès
lors, Perôn devint le grand leader national porté par les classes populaires.
L'avènement
de l'Etat nouveau, au Brésil, facilita une consolidation conceptuelle de la
politique de masse qui fut instaurée en Argentine, dans la décennie suivante,
avec la victoire électorale de Perôn. La nouvelle politique était accompagnée,
comme en Allemagne et en Italie, d'un recours à la propagande, ce qui
impliquait un contrôle rigoureux des moyens de communication. Bien qu'inspirées
des expériences européennes, notamment de celle de
Joseph
Goebbels, les propagandes politiques de Vargas et de Perôn présentaient des
spécificités de contenu et de forme. Il est important de souligner que les
idées et les images, venant d'Europe vers l'Amérique, prenaient alors un sens
nouveau, lié aux conjonctures historiques particulières.
Bien
que le varguisme et le péronisme eussent un écart de dix ans, ils instaurèrent
tous deux un nouveau style de pouvoir, orienté vers les masses. La propagande
politique fut adoptée par les deux régimes. Le péronisme s'organisa dans le
cadre d'un État libéral, toutefois sa nature et son objectif de conquête des
masses l'apparentaient bien davantage à l'État nouveau. Dans le cas argentin,
un dispositif para-étatique de contrôle des moyens de communication fut mis en
place. Il se révéla d'ailleurs plus efficace que la machine du ministère de la
Presse et de la Propagande brésilien.
Les
messages de propagande s'appuyaient sur des supports et des moyens très divers.
L'État nouveau fut prodigue en textes : biographies de Vargas, mémoires, écrits
politiques, discours, livres faisant l'apologie du régime, œuvres de nature
théorique produites par les idéologues de l'État nouveau, textes didactiques,
revues de culture et de divulgation idéologique, journaux, livres didactiques
d'histoire destinés à l'enseignement secondaire.
Ces
textes étaient rarement illustrés, même dans le cas des ouvrages destinés aux
enfants. Au-delà de ce noyau dur de la propagande, des photos, des images
d'actualités pour le cinéma, des films de fiction, des affiches, des tracts,
des programmes et des feuilletons radiophoniques, de la musique, de la
peinture, des sculptures, des œuvres architectoniques, des monnaies et
médailles, des hymnes et des drapeaux complétaient la liste des dispositifs
visant à encenser les réalisations du régime, dans le but de gagner l'appui de
1943 réussit : il avait été fomenté par le Groupe des officiers unis (GOU),
sympathisant de l'Axe. Il fit entrer sur la scène politique le leader Juan
Domingo Perôn, élu président de la République en 1946. Dans le gouvernement
militaire, Perôn occupa le poste de ministre du Travail (1943-1945) et mit en
place la politique travailliste qui allait lui apporter un si grand prestige
auprès des travailleurs. Sous la pression de larges tranches de population.
La
propagande péroniste utilisa des supports similaires mais elle présente
quelques particularités : le recours aux textes écrits fut moins important en
Argentine. D'autre part, les illustrations abondaient et les dessins figurant
dans les livres, les albums commémoratifs, les revues et les livres didactiques
étaient d'un grand impact. Contrairement au cas brésilien, la littérature
(romans, contes, poèmes, pièces de théâtre) avait une grande importance et
représentait une arme de lutte contre l'opposition, qui se dotait d'ailleurs
des mêmes moyens. Les livres de lecture du cycle élémentaire et l'album
commémoratif des réalisations péronistes (La Naciôn Argentina, publicaciôn
especial comemorativa, 1950, avec plus de 800 pages) constituent le matériau le
plus riche pour l'analyse de la propagande.
Les
journaux, revues et suppléments littéraires constituent également des sources
importantes pour cette étude. Le Mundo Perônista, organe de diffusion de
l'École supérieure péroniste, présente aussi un grand intérêt. Outre cet
ensemble imprimé, les emblèmes, écussons, drapeaux, tracts et affiches furent
beaucoup plus abondants en Argentine qu'au Brésil. La production musicale,
cinématographique et photographique resta comparable dans les deux pays.
La
propagande faite autour du personnage d'Eva Perôn et de ses réalisations fut
très importante et laissa des traces profondes dans la société. La mort de la
Première dame, en 1952, vint renforcer le mythe féminin mis en placedès le
début du péronisme. Les leaders masculins eurent aussi une grande importance
dans la propagande politique. Au Brésil, les biographies de Vargas et les
œuvres faisant l'apologie de l'État nouveau furent prédominantes. Ce matériau
n'a pas eu la même importance en Argentine. Pour ce qui est du support imprimé,
ce sont les discours et les textes écrits par Perôn qui constituent le noyau
principal.
Dans
les deux cas, les messages de propagande étaient véhiculés par les moyens de
communication, par le système éducatif et la production culturelle. On peut
noter un contraste plus net entre les éléments de propagande argentine et
brésilienne quant à l'importance attribuée à la photographie et au matériau
imprimé (textes de différentes sortes) dans l'État nouveau et au matériau
illustré, avec force de dessins en couleur, dans le régime de Perôn. La
propagande péroniste se caractérise par cette profusion d'images qui contraste
avec la sobriété du style de l'État nouveau. Ceci révèle peut-être une plus
grande préoccupation à atteindre les couches populaires de l’Argentine.
Cette
différence, apparemment anodine, est à mettre en relation avec les objectifs
qui orientaient les politiques de l'État nouveau et du régime péroniste.
L'analyse du signifié des images, des symboles, des mythes et des spectacles
promus par le pouvoir permet de remarquer les principaux objectifs de chaque
gouvernement. Alors que, pour l'État autoritaire brésilien, l'appui des masses
était secondaire, en Argentine, cet appui était considéré, par le gouvernement
péroniste, comme le moyen de se maintenir au pouvoir.
L'objectif
principal de la comparaison des politiques de Vargas et de Perôn est de mieux
comprendre le caractère autoritaire et les nouvelles formes de contrôle social
que ces régimes ont établis. Ils se sont dotés d'un important outil de
propagande afin de conquérir le soutien des masses mais aussi d'empêcher ses
possibles manifestations d'autonomie. La mise en place d'un système de
propagande, selon les dirigeants latino-américains cherchèrent à canaliser la
participation des classes populaires selon la direction imposée. Pour empêcher
l'expression des conflits et les manifestions d'opposition, on refusait le
droit à la liberté d'organisation des classes laborieuses et le principe de
pluralité de la vie sociale, caractéristiques de la démocratie, en les
remplaçant par un projet de construction d'une société unie et harmonieuse.
La
comparaison des deux régimes trouve également sa justification dans la permanence
de traces des imaginaires politiques varguiste et péroniste dans la période
postérieure. Les sociétés brésilienne et argentine des années 1980 durent faire
face au défi de concilier démocratie et crise économique. La re-démocratisation
s'embourbait autant dans les difficultés économiques structurelles et
conjoncturelles (inflation, récession, profonde inégalité de la redistribution
des richesses) que dans la persistance d'une culture politique autoritaire,
ostraciste, personnalisée et visant au contrôle des mouvements sociaux.
L'expérience
des régimes militaires a poussé les chercheurs à s'interroger sur la
constitution et la nature de l'autoritarisme et a suscité un grand intérêt pour
l'étude du varguisme et du péronisme
: en instaurant une politique de masse, ces deux systèmes politiques des années
1930 à 1950 ont renforcé les composantes autoritaires déjà présentes, encore
qu'à un degré différent, dans la tradition politique brésilienne et argentine.
Ces expériences, analysées conjointement ou séparément, furent considérées
comme les expressions les plus typiques du populisme en Amérique latine.
Ce
phénomène, largement étudié par les sociologues, politologues et économistes, a
attiré, au cours de ces dernières années, l'attention des historiens.
Ces derniers, en envisageant ce thème, ont cherché à éclaircir certains aspects
de l'histoire de cette période qui n'avaient encore jamais été abordés. Les
modèles plus génériques de populisme couvrant de longues périodes et des
expériences diverses comme le varguisme, le péronisme, le cardénisme, le
gaetanisme2 et d'autres, ne pouvaient envisager
les spécificités que les historiens d'aujourd'hui recherchent dans des champs
plus restreints. Dans cette optique, les études comparées se sont révélées
efficaces parce qu'elles ont permis de définir les traits communs d'une
expérience universelle ainsi que les particularismes nationaux.
L'historiographie
brésilienne et argentine, qui reprend l'étude de l'État nouveau et du régime péroniste,
a fait preuve d'un grand intérêt pour les aspects politiques et culturels
étudiés à partir de sources peu exploitées par les analyses précédentes. Cet
intérêt pour l'histoire politique de cette période est lié à un essai de
compréhension de l'autoritarisme qui a dominé l'Amérique latine au cours des
années 1960-1970.
L'histoire
politique d'aujourd'hui se distingue des précédentes dans la mesure où elle
place l'étude du pouvoir au cœur de la nouvelle problématique. Cette étude ne
doit pas être confondue avec les théories de l'État, et elle se développe à
partir de la modèles créés par le nazisme et le fascisme, représentait un essai
de reformulation des mécanismes de contrôle social, considérés comme inadaptés
aux temps nouveaux. Usant de techniques de communication de masse sophistiquées,
avisée politique, les reconnaissance d'autres formes de politique et de la
possibilité d'interprétation du pouvoir à travers d'autres prismes. Cette
révision historiographique a motivé l'exploitation de thèmes de recherches
relatifs à la culture et/ou à l'histoire des imaginaires politiques constitués
par des idées, des images, des symboles, des mythes et des utopies.
Le
champ de l'imaginaire collectif est bien le terrain de la confrontation
politique dans lequel la lutte des forces symboliques provoque des
transformations de la société. Comme les images répondent aux conflits sociaux
et aux relations antagoniques, elles sont d'un grand poids dans les pratiques
politiques de groupe. Elles font appel au ressentiment, à la frustration, aux
peurs et aux espérances afin de mieux persuader (Freitas Dutra, 1997).
L'étude
comparée des imaginaires collectifs, véhiculés par la propagande varguiste et
péroniste, exige une réflexion sur le contexte international dans la mesure où
il a provoqué une redéfinition des formes politiques dont la propagande était
une pièce maîtresse. Les concepteurs des régimes argentin et brésilien
s'inspirèrent des expériences nazies et fascistes pour
l'introduction de la politique de masse dans leur pays respectif. Les
différentes réalités (fascisme, nazisme, varguisme, péronisme) échangèrent
leurs expériences. Il y avait, entre ces idéologies, un mouvement constant de
circulation d'idées, d'images et de pratiques politiques qui, une fois
importées de l'Europe vers lAmérique, étaient assimilées et reproduites, avec
un signifié nouveau.
Comme
le souligne Alcir Lenharo, dans les années 30, les régimes fascistes, le
nazisme et le stalinisme, sans que cela soit véritablement reconnu, échangèrent
formules et expériences. Elles visaient à geler les foyers de tension de
l'histoire et à résoudre, de façon définitive, la question sociale, afin de
libérer les masses laborieuses de leur joug (Lenharo, 1986, p. 13). Dans ce
contexte, les images et les symboles transitèrent dans plusieurs sociétés. Ils
étaient remodelés mais utilisés dans la propagande avec le même dessein :
transmettre aux récepteurs du message un même contenu chargé d'une émotivité
capable de générer des réponses du même type, c'est-à-dire des réactions
d'assentiment et d'appui au pouvoir.
Roberto
Romano attire notre attention sur ce point : « Pour celui qui vit dans une
société telle que la nôtre, la construction des imaginaires revêt une
importance particulière. [...] On ne touche pas impunément aux symboles. Ils
sont le résiduel éthique de traditions séculaires, d'idées préconçues
enracinées dans les cœurs et les esprits. » (Romano, 1986, p. 316.)
Dans
les propagandes politiques brésilienne et argentine, nous rencontrons un nombre
incalculable d'images religieuses. La recherche de l'appui de l'Église par les
deux régimes avait bien sûr un sens politique mais représentait également la
possibilité de
se prévaloir des images catholiques. Roberto Romano démontre que le langage
religieux s'appuie surtout sur des images, ce qui explique son pouvoir de
persuasion. Citant Spinoza, lorsqu'il se réfère au jeu des passions, l'auteur
montre que l'imaginaire religieux utilise l'espoir et la peur, éléments
essentiels pour dominer des bases populaires. Il en résulte une grande capacité
de persuasion que l'on rencontre rarement directement dans les idéologies
rationalistes du monde laïc (Romano, 1979, p. 165).
L'imaginaire
politique divulgué par la propagande nazie et fasciste, révèle une très nette
inspiration catholique dans la liturgie et l'utilisation des images qui, ici,
s'enrichissent d'un sens politique. Ces artifices, utilisés dans la
configuration des représentations du nouveau style de pouvoir, rencontrèrent un
terrain culturel fertile pour pénétrer les sociétés brésilienne et argentine.
Leur formation ibérique les avait habituées à la pratique et au culte des
images/symboles, des mythes et des utopies répandus par le catholicisme,et ce
depuis la conquête et la colonisation. Démonter cet imaginaire, analyser ses
éléments constitutifs et le mettre en relation avec le contexte historique de
sa conception est la tâche à laquelle les historiens se sontconsacrés dans ce
nouvel examen de l'État nouveau de l'ère Vargas et la première phase du
péronisme.
Dans
un domaine où l'étude des idées et des images permet d'établir la connexion
entre le politique et le culturel, l'analyse de la propagande politique des
régimes de masse a trouvé une voie féconde. La propagande politique, envisagée
comme phénomène de société et de culture de masse, prit, dans les années 30-40,
une énorme importance au moment où se manifestait, au niveau mondial, une
avancée technique considérable des moyens de communication.
Bronislaw
Bazcko affirme que l'histoire des imaginaires collectifs se confond, dans une
large mesure, avec l'histoire de la propagande politique. Celle-ci se sert des
idées et des concepts, mais les transforme en images et en symboles ; les
monuments de la culture sont également incorporés à cet imaginaire transmis par
les moyens de communication.
La
référence de base de la propagande est la séduction, élément d'ordre émotionnel
de grande efficacité pour attirer des masses. Une telle perspective d'analyse
est en relation directe avec l'étude des imaginaires sociaux qui constituent
une catégorie des représentations collectives (Bazcko, 1984). Dans les sociétés
contemporaines, les moyens de communication de masse disposent de moyens
techniques et scientifiques très élaborés : ils permettent de fabriquer et de
manipuler des imaginaires collectifs qui sont une des forces régissant la vie
sociale et donc de première importance dans l'exercice du pouvoir.
Pour
exercer cette domination par le biais des imaginaires sociaux, il est
nécessaire de contrôler les moyens de communication, instruments de persuasion
voués à inculquer des valeurs et des croyances.
C'est
sur ce point que Bazcko met en relation l'histoire des imaginaires sociaux et
l'histoire de la propagande. Les moyens de communication créent des besoins,
ouvrent des possibilités inédites à la propagande, qui, elle-même, se charge de
les satisfaire. Quel que soit le régime, la propagande politique est
stratégique pour l'exercice du pouvoir. Néanmoins, elle acquiert une force bien
supérieure lorsque l'État, grâce au monopole des moyens de communication, exerce
une censure rigoureuse sur l'ensemble de l'information et la manipule afin de
bloquer toute activité spontanée et de modeler les comportements collectifs.
Perôn
et Vargas, tous deux admirateurs de Goebbels, cherchèrent à organiser un
appareil de propagande selon le modèle établi en Allemagne, ce qui impliquait
une tentative de contrôle total des moyens de communication.
La
nature de la politique de masse, introduite dans les deux pays, et la nouvelle
culture politique qu'elle faisait émerger peuvent être comprises à partir de
l'analyse du contenu des messages du pouvoir. Cette analyse montre comment les
artisans de cette politique de masse en Amérique latine interprétèrent la
situation internationale et, en particulier, la position du Brésil et de l'Argentine
dans cette conjoncture de transformations. Les textes politiques, de nature
théorique, tout comme les ouvrages de divulgation, insistent sur la nécessité
de substituer la « démocratie libérale » par la « démocratie sociale » afin de
s'adapter aux exigences des « temps nouveaux ».
Le
thème de la nouvelle citoyenneté occupait une place prépondérante dans les
messages de propagande. La « citoyenneté du travail » apparaissait comme un
élément de définition de la culture politique qui, au nom du , et la nouvelle
culture politique qu'elle faisait émerger peuvent être comprises à partir de
l'analyse du contenu des messages du pouvoir
Cette
analyse montre comment les artisans de cette politique de masse en Amérique
latine interprétèrent la situation internationale et, en particulier, la
position du Brésil et de
l'Argentine
dans cette conjoncture de transformations. Les textes politiques, de nature
théorique, tout comme les ouvrages de divulgation, insistent sur la nécessité
de substituer
la
« démocratie libérale » par la « démocratie sociale » afin de s'adapter aux
exigences des « temps nouveaux ». Le thème de la nouvelle citoyenneté occupait
une place prépondérante dans les messages de propagande. La « citoyenneté du
travail » apparaissait comme un élément de définition de la culture politique
qui, au nom du collectif, annulait la possibilité d'organisation autonome des
travailleurs et leur liberté de manifestation. Dans ce contexte, le citoyen
perdait son individualité pour s'intégrer dans le collectif en tant que citoyen
de la Patrie.
Les
devoirs envers la Patrie étaient supérieurs aux droits civils. Ces derniers
étaient substitués par des droits sociaux généreusement concédés par le leader
de la nation, comme le montrait de façon exhaustive la propagande. De telles
largesses appelaient en retour gratitude et rétribution : la loyauté au régime
et à son chef était ce que l'on attendait du bénéficiaire. Un
autre thème, répété à satiété par les messages de propagande, était celui de
l'identité nationale. La substitution de l'identité nationale de caractère
libéral/individualiste par l'identité nationale
collective était mentionnée comme tâche prioritaire. La nouvelle identité était
associée à l'idée/image de société unie et harmonieuse, guidée par le leader, conducteur
des masses.
La
propagande varguiste comme la péroniste insistaient sur l'affirmation du nous
collectif au détriment du je individuel, ce qui impliquait l'exclusion de
l'autre considéré comme l'ennemi. Les opposants de tous bords étaient considérés
comme des menaces à l'unité et à l'harmonie du Un, représenté par la nation. En
tant que tels, ils devaient être exclus de la société. Cette vision autoritaire
de l'identité nationale était complétée par le rôle attribué aux dirigeants
dans la
réalisation de l'utopie de la société parfaite. On exploitait également des
valeurs telles que l'obéissance, la loyauté, l'amour, la gratitude envers les
chefs identifiés à l'image du père, de l'ami, de Jésus, sauveur et rédempteur.
Les mythes du salut et de la rédemption émergèrent dans ce contexte et
servirent à renforcer les sentiments qui engendraient l'adhésion au pouvoir.
De
l'analyse du contenu et de la forme de la propagande varguiste et péroniste, il
est possible d'indiquer les spécificités importantes, au-delà des aspects
semblables. La propagande de l'État nouveau, construite sur l'initiative d'un
État autoritaire, avait pour but de discréditer le passé libéral qui avait
instauré le désordre sans parvenir à combler le retard. Afin de donner une
légitimité au coup d'État de 1937 et à la nouvelle politique d'État, les
messages montrèrent que la représentation politique de parti était une farce et
n'était pas en adéquation avec la réalité du pays. La critique faite à
l'imitation des institutions libérales étrangères, symbolisée par l'opposition
pays légal/pays réel, avait pour contrepartie la valorisation d'éléments
autoritaires dissimulés par une étiquette nationale.
L'anti-libéralisme,
associé à la défense de l'original/national, marque également la propagande
péroniste. Cependant, l'expérience argentine s'est caractérisée par une tension
entre une politique de nature autoritaire et l'État libéral dans lequel elle
s'exerçait. Les messages de propagande s'attaquaient aux principes du
libéralisme, à la démocratie de base individualiste et exaltaient la politique
de justice. Au- delà des critiques faites au libéralisme, il est bon collectif,
annulait la possibilité d'organisation autonome des travailleurs et leur
liberté de manifestation.
Dans
ce contexte, le citoyen perdait son individualité pour s'intégrer dans le
collectif en tant que citoyen de la Patrie. Les devoirs envers la Patrie
étaient supérieurs aux droits civils. Ces derniers étaient substitués par des
droits sociaux généreusement concédés par le leader de la nation, comme le
montrait de façon exhaustive la propagande. De telles largesses appelaient en
retour gratitude et rétribution : la loyauté au régime et à son chef était ce
que l'on attendait du bénéficiaire.
Un
autre thème, répété à satiété par les messages de propagande, était celui de
l'identité nationale. La substitution de l'identité nationale de caractère
libéral/individualiste par l'identité nationale collective était mentionnée
comme tâche prioritaire. La nouvelle identité était associée à l'idée/image de
société unie et harmonieuse, guidée par le leader, conducteur des masses. La
propagande varguiste comme la péroniste insistaient sur l'affirmation du nous
collectif au détriment du je individuel, ce qui impliquait l'exclusion de l'autre
considéré comme l'ennemi.
Les
opposants de tous bords étaient considérés comme des menaces à l'unité et à
l'harmonie du Un, représenté par la nation. En tant que tels, ils devaient être
exclus de la société. Cette vision autoritaire de l'identité nationale était
complétée par le rôle attribué aux dirigeants dans la réalisation de l'utopie
de la société parfaite. On exploitait également des valeurs telles que
l'obéissance, la loyauté, l'amour, la gratitude envers les chefs identifiés à
l'image du père, de l'ami, de Jésus, sauveur et rédempteur. Les mythes du salut
et de la rédemption émergèrent dans ce contexte et servirent à renforcer les
sentiments qui engendraient l'adhésion au pouvoir.
De
l'analyse du contenu et de la forme de la propagande varguiste et péroniste, il
est possible d'indiquer les spécificités importantes, au-delà des aspects
semblables. La propagande de l'État nouveau, construite sur l'initiative d'un
État autoritaire, avait pour but de discréditer le passé libéral qui avait
instauré le désordre qui avait instauré le désordre sans parvenir à combler le
retard. Afin de donner une légitimité au coup d'État de 1937 et à la nouvelle
politique d'État, les messages montrèrent que la représentation politique de
parti était une farce et n'était pas en adéquation avec la réalité du pays. La
critique faite à l'imitation des institutions libérales étrangères, symbolisée
par l'opposition pays légal/pays réel, avait pour contrepartie la valorisation
d'éléments autoritaires dissimulés par une étiquette nationale.
L'anti-libéralisme,
associé à la défense de l'original/national, marque également la propagande
péroniste. Cependant, l'expérience argentine s'est caractérisée par une tension
entre une politique de nature autoritaire et l'État libéral dans lequel elle
s'exerçait. Les messages de propagande s'attaquaient aux principes du
libéralisme, à la démocratie de base individualiste et exaltaient la politique
de justice. Au-delà des critiques faites au libéralisme, il est bon de se
souvenir que la propagande politique fut organisée selon les modèles de
Goebbels et mise en œuvre par des méthodes autoritaires, allant de la censure
rigide jusqu'aux pressions politiques et économiques exercées sur les moyens de
communication.
Ces
méthodes étaient également appliquées au Brésil, mais elles étaient
légitimisées par une Constitution autoritaire qui institutionnalisait la
censure. Dans le cas argentin, la particularité consiste dans les arrangements
faits pour permettre la coexistence du discours et de la pratique
antidémocratiques dans un régime orienté par une Constitution libérale, garante
de la liberté d'expression et de manifestation. En ce qui concerne la réception
des messages de propagande et les bases d'appui des gouvernements, il convient
de souligner que les résultats obtenus par le varguisme et le péronisme furent
aussi spécifiques.
L'image
de la société une et harmonieuse, élément clé de l'imaginaire totalitariste
diffusé par la propagande nazie, fut amplement propagée dans les régimes
latino-américains. Mais la réception de cette image au Brésil et en Argentine
ne se compare pas à la réception allemande. L’État nouveau et l’Argentine de
Perôn furent le théâtre de conflits d'intérêts. Le péronisme, mouvement issu
des bases populaires, produisit une césure dans la société argentine.
Dans
le choc des forces politiques, il y eut des appuis et des résistances aux deux
politiques. Néanmoins, en Argentine, l'opposition à Perôn fut plus intense,
montrant que la société unie et harmonieuse vantée par la propagande n'avait
pas dans la pratique sociale la réceptivité escomptée. Donc, définir ces
régimes comme totalitaires, comme le firent certains auteurs, signifie ignorer
l'existence des conflits et des manifestations d'opposition à la nouvelle forme
de pouvoir.
Les
deux régimes avaient des bases de soutien bien différentes. Au Brésil, la
politique de consensus pratiquée par l'État nouveau ne fut possible que parce
que ce gouvernement, né d'un coup d'État appuyé par les militaires, par
l'Église et les secteurs dominants, sans aucune participation populaire,
n'entrait pas en conflit avec les intérêts des classes nanties et n'avait donc
pas besoin du soutien manifeste des masses. En Argentine, la situation était
très différente : la base populaire du mouvement péroniste imposait des limites
aux accords de Perôn avec d'autres secteurs; la radicalisation des positions
politiques caractérise donc cette expérience.
Cette
spécificité apparaît beaucoup plus clairement lorsque l'on prend en compte la
question de la participation populaire dans une perspective historique. Alors
que l'histoire argentine se caractérise par la participation politique et par
les luttes sociales qui eurent lieu dès la naissance de la nation, au Brésil,
l'exclusion sociale et politique constitue une caractéristique frappante du
passé brésilien.
La
politique libérale oligarchique, existant jusqu'en 1930, se résumait à un jeu
de pouvoir entre partis et groupes sociaux économiques qui revendiquaient des
privilèges et le contrôle de l'État, en excluant la majorité de la population
de cette lutte. L'État autoritaire imposa de nouvelles règles au jeu politique
: les notions de démocratie et de citoyenneté furent redéfinies, restreignant
davantage encore les possibilités de participation politique. Les résistances à
l'autoritarisme furent durement réprimées et elles laissèrent peu de traces
car, dans la majorité des cas, on détruisit jusqu'à la mémoire de ces luttes de
l'opposition.
L'analyse
des messages de propagande permet également de percevoir quels étaient les
objectifs prioritaires des deux régimes. Les méthodes l'État nouveau brésilien
avaient pour but la réforme de l'État, c'est-à-dire sa modernisation afin de
combler le retard et d'accélérer le progrès matériel. Une des justifications du
coup de force était la nécessité de transformation de l'État, pour donner une
impulsion telle au développement que le pays atteindrait un niveau égal à celui
des nations du monde développé.
L'objectif
de progrès impliquait l'ordre comme corollaire : la rationalisation du travail
et le contrôle social constituèrent une partie essentielle de la politique de
l'État nouveau. La justice sociale était perçue comme découlant et dépendant de
la reprise économique. Perôn avait également comme objectif le développement accéléré
de l'économie à partir de l'industrialisation. Cependant, les difficultés de
négociation avec les classes propriétaires rendirent la réalisation de ce
projet plus ardue.
Sa
politique se tourna alors vers la justice sociale, servant en cela les intérêts
de ses alliés. Dans le cas brésilien, on répondit moins bien aux revendications
des travailleurs, car, outre que ce n'était pas la priorité du régime, les
circonstances économiques internes n'étaient pas aussi favorables que dans
l’Argentine de l'après-guerre.
L'accumulation
de capital dans le pays, favorisée par les facilités du marché extérieur de
l'époque, garantit le succès du « justicialisme » de Perôn. Au Brésil, cette
question était restée au second plan et dépendait de la consolidation du progrès
matériel. Les innombrables lettres, télégrammes, billets adressés à Vargas
durant l'État nouveau montrent le mécontentement devant la cherté de la vie et
le chômage, problèmes qui s'aggravèrent avec l'entrée en guerre du Brésil.
Les
messages de propagande mettent bien en évidence cette différence entre les
priorités des deux régimes. Alors que, sous Perôn, la propagande dépeignait la
« Nouvelle Argentine » comme une société caractérisée par la justice sociale,
par l'amélioration des conditions de vie des secteurs populaires, la propagande
de l'État nouveau, elle, montrait la construction d'œuvres réalisées par des
travailleurs bien préparés pour les tâches du développement. Les scènes se
focalisaient sur le progrès matériel et les discours attribuaient à Vargas et à
l'État nouveau les hauts-faits de la construction d’un nouveau Brésil, le
Brésil moderne.
Ces
différences d'objectif et de priorité permettent de mieux comprendre pourquoi
le « péronisme » s'est défini comme une « révolution sociale » alors que l'État
nouveau était identifié à une « révolution politique », promotrice de la
réforme de l'État. Au nom de la modernisation, on justifiait le coup de force
qui avait instauré l'État autoritaire.
Les
différences entre des systèmes instaurés par Vargas et Perôn sont encore
perceptibles aujourd'hui. Au Brésil, le varguisme est un souvenir, bien
assimilé par la mémoire de ses adeptes et par les travailleurs qui s'étaient
sentis, alors, mis en valeur ou servis par la politique du « père des pauvres ».
Cependant, on constate que l'héritage de Getûlio Vargas fut démantelé et
liquidé par les groupes politiques qui voulurent se l'approprier. D'autre part,
le mouvement des travailleurs, qui s'organisa à la fin de la dictature
militaire, chercha à s'opposer au legs du travaillisme de Vargas, contaminé par
une tradition qui liait le mouvement syndical ouvrier à l'État et privilégiait
les négociations et le consensus au détriment des conflits et de la
mobilisation sociale.
En
Argentine, le péronisme d'aujourd'hui est beaucoup plus qu'un simple souvenir
ou un mythe qui perdurerait fortement dans l'imaginaire social. C'est une force
politique capable d'ingérence dans les règles du jeu du pouvoir. Les
travailleurs péronistes, organisés alors, ont perdu la majorité de leurs acquis
sociaux, mais non la capacité de se mobiliser pour revendiquer leurs droits.
Néanmoins,
la capacité de participation politique et sociale des couches populaires
argentines doit plus à son histoire qu'à la période péroniste. Certes, sous Perôn,
ils gagnèrent un accroissement important de leur pouvoir d'achat, une véritable
amélioration des conditions de travail et un certain prestige social, mais ils
perdirent leur autonomie politique. Le régime péroniste, d'une part, répondait
aux revendications des travailleurs et leur garantissait des droits sociaux,
mais d'autre part, exerçait un sévère contrôle sur les mouvements sociaux,
réprimant violemment ceux qui menaçaient « l'harmonie sociale ».
Notes :
1.
Ce texte a été élaboré à partir d'un ouvrage plus important publié récemment :
Maria Helena Rolim Capelato, MultidSos em cena. Propaganda politica no
varguismo e peronismo,
Campinas, Papirus, 1998.
2.
En référence aux régimes de Lâzaro Cardenas, au Mexique, et de Jorge Gaitân, en
Colombie.
*
Maria Helena Rolim Capelato, département d'Histoire, FFLCH, USP.
**
Traduit par Judith Marjorie Desmazières, département de LEA, université de
Paris X-Nanterre.
Références
bibliographiques :
Baczko
et Bronislaw, Les imaginaires sociaux, Paris, Payot, 1984.
Dutra
et Freitas, Eliana, O ardil totalitârio. Imaginario polftico no Brasil dos anos
30, Rio de
Janeiro/Belo
Horizonte, Éd. UFRJ/Ed. UFMG, 199Z
Lenharo, Alcir, Sacralizaçâo da politica, Campinas, Papirus/Ed. UNICAMP,
1986.
Romano,
Roberto, Conservadorismo romântico. Origem do totalitarismo, Sâo Paulo,
Brasiliense, 1981.
Romano,
Roberto, Brasil. Igreja contra Estado,Sâo Paulo, Kairôs, 1979.
Source : Texte - année 1999 - Persée.fr