lundi 4 février 2013

Guyane, rapport sur l'or de Mme Christiane Taubira

 L’OR EN GUYANE 

Eclats et Artifices



Par Christiane Taubira (extraits du rapport auprès de Lionel Jospin,2000)
 
"L'exploitation de l'or accrue soulève un certain nombre d'interrogations quant à ses conséquences sur la santé et le cadre de vie des populations, sur la préservation du patrimoine naturel et sur la valeur ajoutée économique pour le département." Vous trouverez ci-après un rapport remis en 2000 au Premier Ministre, Lionel Jospin, par l'ancienne députée de la Guyane avec ses recommandations.

(...) LA SITUATION DU SECTEUR AURIFERE EN GUYANE
 
La Guyane connaît depuis environ quinze ans un renouveau du secteur aurifère, qui voit intervenir des opérateurs diversifiés, entreprises internationales, PME, artisans, sur un nombre croissant de sites d’exploration et d’exploitation. L’élément nouveau de ce second cycle de l’or réside dans l’intérêt manifesté depuis 1993 par des sociétés industrielles internationales pour la Guyane, ce qui laisse espérer des investissements importants ainsi que des créations d’emplois. 

Le développement de cette activité s’est accompagné d’un effort des pouvoirs publics pour mettre en place un cadre juridique et administratif adapté à l’activité, procéder à la régularisation d’un secteur largement informel, et améliorer progressivement les méthodes d’exploitation. Comme lors du premier cycle de l’or, de 1857 à 1950, l’exploitation aurifère permet donc la valorisation des ressources de l’intérieur guyanais, laissant cependant posée la question du développement à long terme de ces zones.
 

A. Le renouveau de l’activité aurifère 

1 ̊) Un second cycle de l’or
 
L’histoire de l’exploitation aurifère en Guyane nous permet d’éclairer les problématiques actuelles. En effet, la description du premier cycle de l’or de 1854 à 1950 se confond avec celle de la pénétration de l’intérieur guyanais.
Les expéditions à la recherche de l’or aux 18 ̊ et 19 ̊ siècles ont ouvert la voie à l’exploration de la Guyane. 

A la suite de la découverte en 1854 de quelques grammes d’or par un amérindien brésilien, Paoline, sur un affluent de l’Approuague, et de l’expédition officielle de 1855 qui confirme la découverte de l’or sur cette zone, l’exploration et la découverte des placers s’effectue jusqu’au début du 20 ̊ siècle, d’abord sur un axe est-ouest (Approuague, Ouanary, Kourou, Sinnamary) puis vers le sud (Mana, Inini). Sans que se produisent de ruées spectaculaires, une population importante, notamment d’anciens esclaves guyanais ou d’origine carribéenne, part vers l’intérieur découvrir de nouveaux gisements, qui sont exploités de manière informelle. 

Des sociétés minières se créent, qui souvent rachètent aux prospecteurs indépendants les placers découverts, voire les salarient sur ces placers. Elles y introduisent déjà, à partir de 1880 des techniques mécanisées, comme les concasseurs, les dragues à godets ou même les lances monitor. Ces équipements, qui assurent une productivité plus élevée, sont cependant d’utilisation et d’entretien complexes.
 
A partir du début du 20 ̊ siècle, les grands placers ayant été découverts, les rapports deviennent conflictuels entre les sociétés minières et les mineurs clandestins, qui, devenus "maraudeurs", pillent les exploitations. Ne pouvant assurer la protection des chantiers, les concessionnaires les mettent en "bricole", c’est-à-dire qu’ils laissent les maraudeurs les exploiter tout en y installant des maisons de commerce où ils récupèrent l’or en échange de matériels et d’approvisionnement. La production d’or atteint son point haut (2 à 4 tonnes déclarées par an de 1894 à 1917), et occupe entre 6 et 12 000 personnes, soit le quart de la population de la Guyane, mais ce de manière anarchique. Les orpailleurs, intéressés seulement par l’or gros, et utilisant des techniques rudimentaires d’un maniement plus aisé, écrèment rapidement les placers dans le premier quart du 20 ̊ siècle. 

L’épuisement de la ressource, et les difficultés d’approvisionnement liées aux guerres mondiales provoquera le déclin inéluctable de l’activité aurifère, qui sera peu à peu reléguée au rang d’activité de subsistance. Dans les années 50-70, les cours de l’or étant maintenus à un niveau bas du fait de la convertibilité du dollar, les orpailleurs ne sont plus que quelques centaines et la production quasiment nulle. Au total, ce sont 167 tonnes d’or qui ont été officiellement produites de 1857 à 1981.
 
A partir des années 70, la forte progression des cours de l’or provoquée par l’abandon de la parité or-dollar et par les menaces d’inflation engendre un regain d’activité de la part d’entreprises industrielles de taille moyenne, qui reprennent l’exploitation des placers abandonnés. 

Dans les années 80, la ruée vers l’or brésilienne se propage à la Guyane par l’introduction de main d’oeuvre et de techniques nouvelles. Une activité qu’on ne peut plus qualifier d’orpaillage, mais d’artisanale, eu égard aux techniques plus élaborées qu’elle emploie, se développe rapidement, d’abord sur les fleuves qui se couvrent de barges, puis, à partir des années 90, sur les "flats" ou terrasses alluviales. La production d’or retrouve alors son niveau du début du siècle, autour de 2 à 3 tonnes d’or déclarées par an ; production qui place la Guyane au 50ème rang mondial, à comparer avec les 2 555 tonnes produites au niveau mondial en 1998.
 
La production aurifère mondiale : l’émergence de nouveaux acteurs

L’extraction d’or à l’échelle industrielle débute au milieu du XIX ̊ siècle en Russie, aux Etats-Unis et en Australie. Premier producteur mondial à la fin du XVIII ̊ siècle, la Russie est devancée par les Etats-Unis dès 1848 lors de la ruée vers l’or californienne. Les Etats-Unis sont aujourd’hui le second producteur mondial, la production ayant repris dans les années 80 grâce à l’avènement de techniques nouvelles. 

La découverte de l’or en Australie (1851) est contemporaine de celle de la Californie. L’Australie se place aujourd’hui à la 3ème    place mondiale. Le Canada et l’Afrique du Sud s’affirment à la fin du XIX ̊ siècle. Le plus grand gisement du monde est découvert en 1884 : il s’agit du witwatersrand, en Afrique du Sud, pays qui s’impose rapidement et jusqu’à aujourd’hui comme le premier producteur mondial, avec une production maximale de 1 000 tonnes d’or en 1970. Cette région se caractérise par des mines en profondeur, dont l’exploitation, particulièrement coûteuse, subit aujourd’hui un mouvement de restructuration. L’or est découvert au Canada en 1886 dans la Yukon river.
 
Les années récentes voient l’émergence de nouveaux acteurs, notamment sur le continent sud- américain. Le Brésil s’affirme à nouveau dans les années 80 avec l’exploitation des alluvions du bassin amazonien. La production s’élève officiellement à environ 100 tonnes par an, chiffre qui est selon les experts largement sous-estimé. Alors que cette production est le fait de mineurs indépendants (les garimperos), l’extraction aurifère se développe dans le reste de l’Amérique latine sous l’impulsion de sociétés américaines et sud-africaines, au Chili, en Bolivie (mine de Kori Kollo), au Guyana (mine d’Omaï), au Pérou (mines de Yanacochz et de Maqui Maqui), au Vénézuela (mines de La Camorra et Las Cristinas), en Uruguay (mine de Mahoma) et en Argentine. 

Au total la production latino-américaine atteint environ 280 tonnes d’or chaque année. Le continent africain fait également l’objet d’un nouvel intérêt, comme en témoigne l’essor de l’industrie aurifère au Ghana, dont la production atteint environ 50 tonnes par an. Enfin, depuis 1990, le continent asiatique apparaît comme un nouvel acteur, notamment en Chine, en Indonésie et en Papouasie Nouvelle- Guinée.
 
L’élément nouveau de ce second cycle de l’or réside dans l’intérêt manifesté depuis 1993 par des sociétés industrielles internationales pour l’exploitation de gisements d’or primaire en Guyane.
 
Cet intérêt est la conséquence d’un investissement important des pouvoirs publics après la seconde guerre mondiale dans l’amélioration de la connaissance géologique de la Guyane, au travers des travaux de cartographie géologique réalisés par l’ORSTOM, et des prospections effectuées par le Bureau minier guyanais, puis le BRGM. 280 MF ont ainsi été investis par la puissance publique dans l’inventaire minier de la Guyane, de 1975 à 1995 : une campagne de prospection aéromagnétique sur près de la moitié du territoire guyanais (48 000 km2) a permis de procéder au repérage des formations rocheuses favorables (roches "vertes"), puis une prospection géochimique (120 000 échantillons prélevés) a délimité les zones anomaliques correspondant à une probabilité accrue de découverte d’un gisement. Cet inventaire a conduit à proposer aux investisseurs 18 "sujets" miniers au début des années 90.
 
Parallèlement, l’amélioration des connaissances géologiques a entraîné la réévaluation du potentiel aurifère du bouclier guyanais, zone reconnue à fort potentiel en raison de sa parenté avec le bouclier d’Afrique de l’ouest. La découverte des gisements d’Omaï au Guyana, de Las Cristinas au Venezuela, de Gross Rosebel au Surinam, a excité l’intérêt des investisseurs étrangers pour la Guyane. A la suite de la société Guyanor en 1993, ce sont une dizaine de sociétés minières internationales qui ont investi dans la prospection en Guyane.

L’intérêt de ces sociétés internationales pour la Guyane laisse espérer un tournant dans la production aurifère, le développement d’une production industrielle moderne, et la multiplication par deux ou trois de la production actuelle. (...)


Lire ou télécharger le rapport de Madame Christiane Taubira,
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RECOMMANDATIONS DU RAPPORT 

SANTE, PRIORITE

Réduire l’exposition au mercure des populations et des personnels de chantiers.
Lutter contre le paludisme et son aggravation par la déforestation incontrôlée et l’automédication.
 
Prévenir les risques liés aux déversements de cyanure. Mobiliserle SPPPI (Secrétariat Permanent à la Prévention des Pollutions Industrielles).
 
Organiser    la    surveillance    des    maladies    sexuellement transmissibles.
 
Equiper les communes fluviales en réseaux sanitaires pour améliorer la qualité des eaux.
 
Stimuler la concertation avec les collectivités locales pour faire progresser le débat public.
 
Procéder au zonage de l’activité aurifère. Arbitrer les conflits d’usage des territoires.
Resserrer    le    binôme    coût/avantage    des    projets.
 

RECAPITULATIF DES RECOMMANDATIONS

Augmenter    la    transparence    économique : Contrôleur permanent sur site.
 
Simplifier    les    procédures    administratives    pour que toutes les servitudes s’imposent (loi sur l’eau). Elaborer les contraintes non encore définies (POS).
 
Lever    le    tabou    de    la    fiscalité.    

Varier    les    taux    indirects et mieux cerner les assiettes. Equilibrer la fiscalité directe.

Clarifier les conditions d’emploi et d’activité. Réviser la procédure    des    APT.    

Elaborer    des    standards    d’emploi   e t d’accueil pour rendre les métiers attractifs. Instaurer un accompagnement économique.    

Inciter au regroupement professionnel.    

Envisager la création Consulaire Minière d’une Chambre Assécher la clandestinité    et s e s réseaux brigades spécialisées placées sous contrôle civil.
 
Répondre à la demande polyvalente de sécurité sur les chantiers.

Etablir l’état des lieux des sites orphelins. 

Evaluer l’efficacité des préconisations environnementales.
 
Poursuivre les efforts de minimisation des impacts. Centraliser et délocaliser le traitement de mercure.
 
Contenir    les    conditions    d’accès    aux    s i t e s :    pénétrantes, transport fluvial, hélicoptères gros porteurs.
 
Actualiser la législation sur les concessions. Assortir toute modification d’une notice d’impact.
 
Garantir    financièrement    la    réhabilitation    des    sites : caution, redevance forfaitaire, opérateurs spécialisés.
 
Stabiliser la législation sur les barges et dragues.  Evaluer leurs titres. 


RATIONALISER L’AMENAGEMENT

Diversifier la gestion foncière. 

Octroyer aux collectivités des zones forestières et domaniales.
 
Reprendre le contrôle public et politique de l’aménagement   du    territoire.    

Recenser les pistes praticables.
 
Créer les conditions d’appropriation collective du projet de parc. Le soumettre à enquête publique. Informer largement sur les espaces protégés. Soumettre les projets à la consultation du public.
 
Mieux contrôler et planifier l’installation : télédétection et photo aérienne.
 
Evaluer les conflits à venir. Anticiper leur résolution.
 
Réinsérer les conflits du Maroni dans la problématique d’usages des territoires.
 
Confier à une Tour de Contrôle Aurifère la collecte et la diffusion des savoirs scientifiques et techniques, et des savoir-faire auprès de la communauté scolaire et estudiantine et auprès du public.
 
Envisager    une    agence internationale en coopération.

Regrouper les    contraintes législatives. instruments    juridiques  opposables  à    l’attribution de mines d'or.


ELABORER UNE POLITIQUE DE COOPERATION AUX OBJECTIFS CLAIREMENT DEFINIS
 
Engager avec le Surinam et le Brésil un programme d’actions ciblées et datées sur le suivi sanitaire, le contrôle des mouvements de carburant, les transactions sur l’or. 

Elargir la coopération à un assouplissement des conditions d’échanges sur les autres marchandises.


 L'Or en Guyane : éclats et artifices : 
 rapport remis au Premier ministre en 2000