des étudiants chiliens
Par François Reman
Avril 2011, Sebastián Piñera vient de fêter son premier
anniversaire comme président de la République. La droite a retrouvé le pouvoir
un an plus tôt après vingt ans de gouvernements de centre-gauche. La croissance
économique flirte avec les 5% et le pays se remet de la folle épopée des 33
mineurs prisonniers à 600 mètres sous terre pendant 69 jours. Malgré quelques
manifestations contre un projet de barrage en Patagonie, le Chili semble bien
loin de l’agitation sociale des autres pays de la région et confirme selon
certains observateurs son statut de bon élève de l’Amérique latine.
Rien ne semble donc pouvoir contrarier la présidence de
l’homme d’affaires d’autant plus que l’opposition de centre-gauche peine à se
réorganiser après la défaite de son candidat aux élections présidentielles. Et
puis, de manière imprévisible et en quelques semaines, un mouvement étudiant
d’une ampleur inédite depuis le retour de la démocratie va venir contrarier
l’agenda politique de La Moneda [le palais présidentiel]. Des dizaines de
milliers de jeunes vont en effet défiler pendant plusieurs semaines le long de
l’Alameda, la grande avenue de la capitale Santiago. Les universités sont
paralysées, les écoles publiques occupées jours et nuits.
Le mouvement grandit de jour en jour. Dans la rue, les
manifestations sont colorées, joyeuses, enivrantes aussi. Piñera, Bachelet
[présidente socialiste de 2006 à 2010] et Pinochet se retrouvent caricaturés à
l’extrême. Le mot d’ordre : un enseignement gratuit, de qualité et la fin
du business des universités privées. Quand les élèves du secondaire mènent le
cortège, le ton est plus martial. Uniforme bleu et blanc, chaussures en cuir.
Ils ont 16, 17, 18 ans et tiennent à rappeler que ce sont eux, les
« pingouins » - leur surnom à cause de leur uniforme -, qui dès 2006
avaient porté les premières revendications.
La coupole dirigeante abat un travail de mobilisation et de
sensibilisation exceptionnel. Camila Vallejo - qui fera bientôt la une de la
presse internationale - et Gorgio Jackson soudent les troupes et réfutent
habilement la rhétorique gouvernementale qui propose d’augmenter bourses et
crédits. Les étudiants exigent eux des changements et une refonte complète de
l’enseignement. 85% de la population les soutient.
Le mot d’ordre : un enseignement gratuit, de qualité et
la fin du profit généré par les universités privées
Réunis au sein de la Confech (Confédération des étudiants du
Chili), les étudiants adoptent un mode de gestion participatif et transversal.
On parle même d’assemblées populaires, de réforme fiscale et d’une nouvelle
constitution qui remplacerait celle de l’ère Pinochet, toujours en vigueur.
Désemparé, le gouvernement est à la peine d’autant plus qu’il n’a nullement
l’intention de modifier un modèle éducatif mercantile qu’il défend
idéologiquement.
Par contre, la criminalisation du mouvement devient plus
forte. Suréquipés, les carabiñeros n’hésitent pas à faire usage de manière
disproportionnée de gaz lacrymogène. Les coups de matraques pleuvent autant que
les condamnations de l’Institut national des droits de l’Homme. Malgré cela, le
mouvement continue sur sa lancée tout au long de l’année 2011.
L’éruption de ce mouvement social survient 20 ans après le
retour de la démocratie. Trop tard pour modifier un modèle néolibéral salué
dans tous les cénacles internationaux ? Rien n’est moins sûr car les
étudiants ont enfin permis de vaincre les traumatismes et fantasmes enfuis au
cœur d’une grande partie de la société chilienne. L’avenir du Chili ne pourra
se dessiner sans eux.
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le dossier
de François Reman,
Source : CNCD - Belgique