Hugo Chavez
et petites histoires
d’un national-républicanisme
Par Lionel Mesnard
Il y a à peine une décennie, écrire sur le Venezuela et sur
ce qui s’y passait revenait à s’adresser à un petit cercle de connaisseurs.
Depuis l’information de masse et les autoroutes de l’information raffolent du
personnage d’Hugo Chavez, au point que sa disparition médiatique pourrait
coûter en audience, quand nous savons à quel point les parts de marché et
indices de sondages en tout genre orientent les groupes de presse en faveur de
ce qui est le plus marchand.
Il n’y a pas doutes sur le fait qu’un bon nombre de repères
ou de connaissances sont utiles pour comprendre cette partie du monde, aussi
riche et complexe que l’espace européen, mais si l’on tient compte de ce que l’on
peut lire à ce sujet, l’Amérique latine se cantonne souvent à vision très
culturaliste, quand on ne tombe pas dans un certain folklore. Comme si tout ce
qui pouvait modeler ou organiser des sociétés tombaient sous le coup de l’à peu
près, ou la comparaison est facile et très casse gueule et peut ressembler à
des clichés parfois grotesques.
Ecrire sur Chavez revient à attirer tout type de lecteur, et
pouvoir jouer sur son actuelle maladie a quelque chose de malsain. Vieille
problématique de la maladie et du pouvoir, Roosevelt, Pompidou, Mitterrand et
d’autres cas plus étranges sous la troisième République en France, le problème
n’est pas nouveau et il est difficile d’écrire ou de penser à un retrait de la
vie politique d’Hugo Chavez sans se demander quelles conséquences cela peut-il
avoir ?
La question du moment est de savoir qui est Nicolas
Maduro ? Changement, continuité, son poids dans l’appareil politique du
PSUV (Parti Socialiste Unifié du Venezuela), en quoi Maduro, héritier patenté
va-t-il pouvoir incarné ou simplement existé en tant que tel ? En fait ce
sont trois prétendants et le président de l’Assemblée Nationale et ancien du
MBR 200 qui participa au coup avorté contre Carlos Andres Perez en 1992 est
celui disposant du plus de poids dans l’appareil chaviste.
S’il s’agit de légitimer l’héritage et de continuer, voire à
renforcer les conquêtes sociales, il n’y aura rien à objecter, mais s’il s’agit
de continuer à croire que le chavisme est pleinement de gauche, il y a un
sérieux doute. La question n’étant pas d’objecter un rôle ou une place dans
l’échiquier politique, mais bien de se demander : à quelle gauche
appartenons-nous ?
Sans entrée dans une approche radicale ou gauchiste, le
pacte civico militaire qui lie l’armée au peuple vénézuélien et inversement
a-t-il sa place dans les conceptions, les approches et sensibilités à
gauche ? En dehors des franges nationalistes et une certaine idée de la
république aux ordres d’un chef, telle qu’elle pu être conçue au 19ème
siècle en France ou en Amérique Latine, cette perception républicaine des
choses a quelque chose de désuet, pour ne pas dire de passéiste.
La révolution bolivarienne a été un peu trop
rapidement collée à l’extrême gauche ou bien à gauche. Si sa dynamique sociale
entre bien dans le domaine du progressisme, de là à en faire un emblème
« révolutionnaire » des temps actuels, il faut rester prudent. La
révolution au Venezuela est souvent plus sous le clavier de l’auteur, que dans
le vécu des Vénézuéliens.
Le Venezuela sous Chavez a-t-il connu des évolutions
notables ? Cela a-t-il permis de changer certaines bases ou rapports de
force ? Cela a-t-il pu avoir un rôle dans les mentalités ? Trois fois
oui. Pour autant est-ce que cela a changé fondamentalement la société vénézuélienne,
sur le plan économique et social, nous sommes encore loin du chemin à accomplir
pour éradiquer la misère et les inégalités dans ce pays.
Sur le plan politique et institutionnel, il est à saluer la
constitution de la Cinquième République bolivarienne, comme un instrument
politique dont Chavez a habilement mis en avant et su se servir, mais la
redistribution des pouvoirs entre les tenants de la 4ème République
(1958-1999) et les nouveaux a surtout favoriser une nouvelle classe de
privilégié, et certains travers népotiques, rien de très original dans une
société ossifié, historiquement et socialement inégalitaire.
Pour reprendre une idée ou une métaphore, la révolution a
dégénéré en gouvernement. Et le mirage d’une société organisée sur un mode transversal,
ou ce que l’on nomme le système participatif ne fonctionne pas vraiment. Et
comment peut-il avoir véritablement un rôle, quand la démocratie participative
est subordonnée à un pouvoir, ou le chef de l’état, ou le système est
l’illustration même d’un pouvoir pyramidal.
Cela pose en soit tout le problème du présidentialisme,
comme exercice du pouvoir et en France comme au Venezuela, quand il est à
souhaiter plus de vrais contre-pouvoirs citoyens, et moins d’excès sur les
personnes, ou pire de croire en l’homme providentiel. Certes on ne va pas rayer
Hugo Chavez d’un trait de plume, et l’on ne peut que souhaiter, qu’il se porte
mieux en ce début d’année 2013.
Sauf que le temps en politique est tout autre, et que si
l’on revient à se questionner, c’est quoi un homme de gauche, plus exactement
c’est quoi être de gauche ? c’est un peu toute la question. Le but n’est
pas de délivrer un certificat, ou une attestation, mais il est impossible
vraiment de classifier la politique étrangère de Chavez comme toujours très à
gauche, il existe quelques écueils significatifs, quand il se fait l’ami de
l’Iran, de la Syrie, et autres régimes criminels.
On peut aussi s’interroger sur le pacte civique et
militaire, où il est difficile de distinguer ce qui est du ressort des
autorités civiles ou militaires, ce qui n’est pas compatible à trop forte dose
à une bonne marche démocratique. Si les pouvoirs civils et militaires ne sont
pas distincts et l’armée un ordre exécutant du pouvoir civil, et comme dans le
cas du Venezuela, le mélange est très prononcé, comment affirmer que le
chavisme est de gauche, quand il est surtout recomposition idéologique un peu
tout azimut.
Plusieurs fois dans l’Histoire, certaines figures militaires
ont eu un rôle progressiste, et il n’y a pas à dédaigner ce rôle à Chavez. Mais
il est de savoir les limites d’un pouvoir exercé par l’armée dans une société
civile, comme danger d’embrigadement, même si la société vénézuélienne peut
avoir un côté anarchique. Et même, s'il y a moins à craindre de l’armée, que de
la police, dans un pays où une des raisons de l’insécurité est lié à un système
corrompu et particulièrement inefficace sur la criminalité ambiante.
La place des militaires dans l’histoire du Venezuela n’est
pas neutre. C’est même un levier social que de devenir militaire ou policier
dans un pays, qui depuis la Capitainerie du Venezuela est un enjeu véritable de
promotion social. Et Chavez, en tant qu’ancien militaire a dû composer et
savamment organisé les choses pour avoir autorité sur ce corps très puissant et
actif au sein de la société vénézuélienne.
Difficile de comprendre toutes les arcanes et relations
entre la société et son armée, et l’influence de celle-ci depuis l’arrivée et
l’élection du président vénézuélien en 1999. Il faut pouvoir disposer
d’informations relatives à des secrets militaires, qu’un jour auront loisir à
comprendre les historiens sur comment finalement se sont tissés les liens entre
Chavez et son armée. Et le rôle du MBR 200 ?
L’objet n’étant pas de savoir, si Chavez a été partie
prenante un jour de sa vie d’un coup d’état en 1992, la question a été rebattue
et n’apprend pas grand-chose. Il importerait de comprendre, quel rapport le
président vénézuélien a pu entretenir durant son exercice avec les hauts
gradés de son pays ?
Ou comment un ensemble d’officiers, minoritaires au début
des années 1990, se désignant sous le sigle MBR 200 (Mouvement Bolivarien
Révolutionnaire) est à l’origine des prises de positions contre l’ancienne 4ème
République du Venezuela et son président de l’époque, Carlos Andres Perez, et
comment on en arrive depuis à onze anciens officiers présidents ou gouverneurs
de régions dans l’édifice du PSUV ? Une épidémie qui sait…
En quoi réside le pacte civique et militaire, est-ce un
effet d’annonce ou bien une empreinte du régime sur la vie quotidienne, et dans
ce cas comment accepter un enrôlement, quand actuellement il tourne presque à
la dévotion ? Quelle facette fait-il voir du Venezuela et comment
appréhender un monde ou comme pourrait l’écrire le Canard Enchaîné, il faut
faire avec « la croix et le goupillon ».
Hugo Chavez n’a jamais caché son goût pour la société du
spectacle, il aura été même un des meilleurs show-man des années 2000 à 2010,
il a fait de la communication un enjeu central et s’en est servi sans
restriction. Il faudrait reprendre les grandes lignes d’attaques ou de défenses
du régime, pour avoir une idée de comment s’est construit un objet de
propagande ou de contre-propagande, dans une dimension médiatique et politique
mondiale assez pauvre ou sur un ton souvent dogmatique.
Les autoroutes de l’information et les nouvelles
communications ont eu un rôle indéniable dans leurs capacités de mobilisations
et dans la tournure des événements sociaux et politiques qui vont continuer à
se dérouler dans le monde. Il reste à savoir comment échapper aux flots
indigestes, et pouvoir discerner sa main gauche de sa main droite, quand
celle-ci de temps à autre se mélange avec les pires discours nationalistes.
L’habilité de Chavez a été sa capacité à faire d’un même
tonneau, une pensée républicaine certes sociale mais avec les derniers vestiges
ou lambeaux de l’ère post-soviétique en trouvant une alliance avec Cuba. Et
comment ne pas constater le retour d’un vocabulaire militant des années cinquante,
et des textes post-staliniens sur le chavisme assez édifiant que nous offre à
lire la toile.
Rien ne pouvant véritablement répondre à cette question,
mais pourquoi être de gauche en cette nouvelle décennie du vingt-et-unième
siècle, ou l’idée d’appartenir à une classe sociale est devenue en partie
obsolète. Du moins, en raison de l’abandon, de certaines bases essentielles, où
un populisme « redistributeur » peut faire croire à une sortie de
l’économie capitaliste et se réclamer du socialisme, quand tout au contraire le
chavisme n’a fait que l’administrer.
Il est normal d’applaudir les progrès sociaux, mais jusqu’où
une société sclérosée par son incapacité à faire face à la corruption et la
violence peut-elle surmonter ses fondements inégalitaires ?
Pour de multiples raisons Fidel Castro et surtout les
cubains ont été amené à faire une révolution « socialiste », et cela
a eu un effet réel et rapide, ensuite à chacun d’en apprécier les biens faits
et les dérapages bureaucratiques sur 50 ans d’histoire. Mais une île très
emblématique pour avoir combattu la corruption et les circuits mafieux, qui dominaient sous
Batista (et restants de l‘ancien régime), ils finirent par être chassés avec détermination
par le nouveau pouvoir socialiste.
Le président vénézuélien lui n’a pas été amené à prendre les
armes ayant échoué en ce domaine, et c’est par un processus démocratique, qu’il
est arrivé et s’est maintenu. Il n’a jamais attenté à ce droit, ce en quoi sa
légitimité n’est pas en cause. Il a été lui-même confronter à une tentative de
coup d’état en 2002, ou les téléphones portables, internet, les télévisons et
radios communautaires et le bouche à oreille permirent en 48 heures un retour
au pouvoir de ce dernier. Une mobilisation populaire dans tout le pays et
surtout une jonction des quartiers pauvres de Caracas autour du Palais
présidentiel de Miraflores.
Grâce cette pression Hugo Chavez a pu revenir et pu engager
des réformes sociales et économiques importantes, mais avec pour difficultés de
ne pouvoir s’appuyer sur une administration fiable. Ce qui défaille
principalement aujourd"hui au Venezuela, c’est un équilibre entre l’outil central et les
pouvoirs locaux régionaux.
Cette dualité est prégnante dans l’histoire du
Venezuela entre centralisme et
confédéralisme. Sur ce point Chavez est un digne héritier de Simon Bolivar, le
centraliste, mais ou celui-ci a été plus que trahi par ses suivants par
l’émiettement de la Grande Colombie et de l’égalité entre les hommes, qu’il se
faisait et qui n’a jamais été respecté, même de son vivant par les généraux de
son armée (hors le Général Sucre assassiné en 1829).
Les deux dernières années de vie de Simon Bolivar dépeintes
par Gabriel Garcia Marquez dans le
« Général dans le labyrinthe » sont effroyables, mais cette
illustration littéraire montre à quel point la fin est toujours un moment
terrible, et dans le cas de ce singulier personnage historique sud américain, ce
fut une épreuve épique. Bolivar a vécu une accumulation de trahisons et de
complots donnant le la tragique et ces mots illustrant ces derniers jours, sur
« l’homme qui laboura la mer ».
De la disparition de Bolivar en 1830, s’en suivra
historiquement une régression politique et sociale, si ce n’est un retour à un
ordre passéiste. En premier lieu, pour qui, cette révolution se devait prometteuse
et libératrice, c’est-à-dire pour le petit peuple des villes et des
campagnes de toutes couleurs et origines sociales confondues.
Ce fut finalement le retour, non pas du colonialisme, mais la naissance d’un ordre social
bourgeois et aux couleurs d’un obscur républicanisme et toujours avec la
bénédiction de Rome ou des puissances impériales du moment. Si le Venezuela ou la Colombie se sont effectivement bien
libérées de la tutelle coloniale, l’ordre sous une nouvelle apparence a vu le
jour en maintenant les pires servitudes du passé et sans avoir à payer à la
colonie le moindre impôt. L’esclavage n’a disparu que vingt ans plus tard au
Venezuela
Le président Paez successeur de Bolivar, lui-même devenu
riche propriétaire terrien, président de la nouvelle nation, celui-ci n’a fait
que favoriser son propre patrimoine, et esclaves inclus à son service dans ses
propriétés. Plus largement la nouvelle autorité
« républicaine » a maintenu le système en place face, même face à la
pression des britanniques qui refusait de commercer avec une puissance
esclavagiste.
Par ailleurs Colombiens et Vénézuéliens en interne vont se
livrer des guerres civiles tout au long du 19ème siècle, et sur les
décombres ou les trahisons à l’héritage intellectuel de Bolivar, va se
constituer dans chaque pays une oligarchie détentrice des terres et des
richesses du sol, anciens nobles ou nouveaux bourgeois apparus par après
l’ancien régime.
Le drame latino américain a toujours été l’appropriation par
une infime minorité des biens nationaux. La question républicaine ou
progressiste a été la grande perdante, l’abolition des privilèges n’a pas eu
lieu dans les faits. Et les vœux de Bolivar pour une éducation pour tous et
teinté de rousseauisme ne verront pas plus le jour.
Il est indéniable, qu’il existe une proximité entre Simon
Bolivar et Hugo Chavez, à un bémol près l’objet n’est pas d’en faire une
romance ou une comparaison historique, Hugo Chavez en sait beaucoup sur
l’histoire du Libérateur des Amériques latines, et ce qui peut apparaître pour
du folklore pour un journaliste de la presse francophone dominante n’est pas
dénué d’à propos dans la bouche du président Chavez.
Il existe néanmoins une continuité historique, à moins de
prendre Simon Bolivar pour Napoléon Bonaparte et Chavez pour le général De
Gaule. S’il y a un homme à qui il peut se référer, c’est tout de même son
compatriote Bolivar et pas seulement, avec qui il partage des points
communs, et Chavez s’y référant, c’est bien plus cohérent que de le classer
comme un socialiste pur jus.