mardi 26 février 2013

Colombie, mines d'or et impacts sur l'environnement

 Les impacts 
de l’exploitation minière 
 et 
les risques sur le long terme
 
Entretien avec Robert E. Moran, par Guillermo Reinoso Rodríguez – Notes et traduction de Libres Amériques

Ci-après vous trouverez un entretien concernant l’exploitation minière de l’or, particulièrement en Colombie et abordant de front les conséquences des grandes saillies minières sur le milieu ambiant des années après, comme dans le cas de la ville de Johannesburg en Afrique du Sud. Il y est question de 2 projets miniers de la multinationale AngloGold Ashamanti, l’un se situant près des villes de Cajamarca et de Piedras en Colombie (département du Tolima). 

Il n’est pas abordé la question sociale, sanitaire et les droits humains, seuls les impacts environnementaux sont traités, et les coûts ou problèmes à la charge des populations ou des nations concernées, si rien n’est fait pour faire payer ou prévenir les dégâts des entreprises minières. 

Des conséquences, qui ne sont pas seulement sur le court ou le moyen terme et qui agiront des siècles plus tard, si l’on donne au « mot « durable » un peu de sens, tant il est impropre ou galvaudé. (notes de Libres Amériques)

Les impacts des minières, ce que les gens vont payer

Robert Moran est une autorité mondiale sur l'extraction minière, il analyse les risques de cette activité concernant les dommages sur l'environnement. Avec ses 40 ans d'expérience dans le domaine de l'exploitation des mines, d'abord au sein du Bureau de Géologie Economique du Texas aux Etats-Unis, puis en tant que consultant auprès de gouvernements, d’entreprises, d’avocats, d’universités et d’ONG, ont donné à l’hydrogéologue et géochimiste, Robert E. Moran, comme autorité sur le sujet une reconnaissance internationale.

R. Moran est depuis 2012 consultant pour l’Inspection des Finances (Contraloria General en Colombie) et il y a quatre ans, il a eu une première approche du projet aurifère de la société Anglogold Ashanti, à Cajamarca (département du Tolima - en Colombie - ne pas confondre avec le Pérou), il a échangé avec le journal El Tiempo sur les impacts de l'exploitation minière à grande échelle. Avant d'écouter la première question, il a lancé deux avertissements pour expliquer sa position: « Je ne suis pas un activiste, je ne suis pas contre l'exploitation minière. »

L'expert de 70 ans affirme, que même s’il existe des entreprises faisant de grands efforts pour ne pas générer des impacts négatifs, ceux-ci sont « toujours » présents, non seulement au cours de l'exploitation, mais après la fermeture des mines, voire des siècles plus tard. R. Moran estime, que les pays commençant à vivre de l’essor de l'exploitation des métaux ont encore un espoir pour que les impacts soient prévenus, comme cela pourrait être le cas en Colombie. En Colombie, il a discuté de l'élaboration de projets miniers dans les Paramos (1), considéré comme stratégique pour la production d'eau et de la biodiversité.

Existe-t-il des domaines, où il ne devrait y avoir aucune activité minière?

Je crois que dans ce type d’espaces (Ndt ou de biotope), les mines à ciel ouvert ne devraient pas être autorisées. Il ne doit pas y avoir de mines dans les zones paysagères, biologiques (espèces et ressources en eau), agricoles (zones de culture) ou politiques (d’intérêt national). 

En Europe occidentale, Etats-Unis, où au Canada, par exemple, il est politiquement impossible de faire une mine de grande taille à proximité d'une ville.

Alors, comment le pays peut bénéficier de la richesse du sous-sol sans générer ces grands impacts ?

Il faut trouver un moyen de développer de solides organismes de réglementation, dans le but d'assurer l'équilibre du pouvoir entre les régulateurs et les entreprises, et d'assurer à long terme que les impacts soient supportés par ceux qui les génèrent, et non pas le public en général.

Aux Etats-Unis ou au Canada, il est normal avant de commencer l'exploitation d'une mine, que l'entreprise verse une caution ou prenne une police d’assurance. Dans les grandes mines, ces assurances sont comprises entre 150 millions et 300 millions de dollars, en raison de l'impact à long terme, et ce qui revient vraiment cher, c’est la pollution de l'eau.

Qu’est-ce qui pourrait contaminer les eaux dans la zone de la mine d’or « La Colosa » en Colombie ?

La roche contient non seulement l'or et de l'argent, mais des sulfures, du soufre qui plus tard, peut générer des acides, ce qui provoque des coûts environnementaux élevés. Cette roche minéralisée contient également d'autres métaux potentiellement toxiques et des produits chimiques sont rejetés dans l'environnement lors de la formation des eaux acides. Ceux-ci peuvent contenir de l'arsenic, de l'antimoine, du mercure, du cuivre, du plomb, du sélénium ...

A Rio Tinto dans le sud de l'Espagne, il existe des preuves de la formation de l'acide dans les rochers, causées par des processus naturels, mais aussi par l'exploitation minière ancienne et moderne. Cet acide a été libéré dans les eaux souterraines et de surface, il y a entre 8.000 et 10.000 ans.

Vous devez également penser à la situation de Johannesburg, d'où vient AngloGold Ashanti (AGA). Cette ville est une catastrophe potentielle. Dans les sous-sols, il existe des tunnels, la majorité sont le produit de vieilles exploitations d'or, et cela a généré tant de drainage acide, que l’eau est remontée à la surface et est allée dans des endroits où il y a des puits peu profonds et des usines. Cela a engendré un problème coûteux pour la ville. D'où la question: qui va payer pour cela ? Ce n’est pas un problème à court terme.

Quelle est la consommation d'eau qu’aura le projet Anglogold ?

En 2009, le gestionnaire du projet a indiqué que la compagnie aurait besoin d'environ 1 m3 d'eau par seconde pour traiter chaque tonne de roche, qui est retirée de la fosse et envoyée à l'usine de transformation. Cette information sur l’entreprise AGA, nous la citons lors de réunions publiques et actuellement elle l’a accepté. Je sais qu’AGA récemment a doublé son potentiel à 24 millions d'onces d'or, et la vie active de la mine est estimée entre 15 et 25 ans. Il doit exister non seulement de l’or, de l’argent et d'autres minéraux d'une valeur élevée.

« La Colosa » ne concerne pas uniquement Cajamarca, mais également la ville de Piedras (département du Tolima en Colombie), où Anglogold a effectué des activités d'exploration, mais ils ont peur de la lixiviation de la roche.

Quel impact cela peut-il avoir ?

L'endroit où se situe la mine « La Colosa » est une vallée étroite et il n’existe pas de place pour construire une infrastructure pour traiter le minerai, alors ils doivent aller ailleurs, où il y a plus d'espace et beaucoup d'eau sous la terre.

Je comprends qu’il existe (à Piedras) un grand aquifère (2), il y aura des puits à proximité de cet endroit, pour enlever l'eau utilisée de la nappe phréatique (les eaux souterraines). Le niveau baissera, certains des puits et des sources locales se tariront, il existe une rivière proche et son niveau s'érodera, une fois que l'eau utilisée dans l'usine et dans le remblai de lixiviation (procédé pour séparer l'or des autres matériaux) seront contaminés, car ces processus sont essentiellement chimiques en raison de l’utilisation du cyanure et d'autres substances toxiques. La société va essayer de recycler autant d'eau que possible, mais la vérité est que beaucoup (des eaux) seront perdues et contaminées.

Est-ce que la lixiviation peut aussi altérer le paysage ?

L'AGA a l'intention de mener des activités à Piedras en générant des déchets contenant des métaux et d'autres contaminants potentiellement toxiques. Ces résidus restent sur le site pour longtemps, s’ils ne sont pas entretenus correctement, les produits chimiques peuvent être libéré dans l'environnement.

L'usine de traitement des déchets et les piles d’accumulation de lixiviat de cyanure forment de grandes montagnes artificielles, comme dans le cas de Yanacocha (ci-contre au Pérou), où des piles de lixiviation peuvent atteindre plus de 100 mètres de haut. Cependant, nous ne savons pas encore les détails des plans d'AGA, nous ne pouvons pas déterminer la taille exacte des accumulations de débris.

Ensuite, les impacts sont très difficiles à surmonter ...

Ils sont difficiles à éviter et lorsqu'ils se présentent, ils sont difficiles à corriger. Ce que je veux dire, c'est que certaines entreprises font un très bon travail pour éviter ces problèmes, mais il est incroyablement difficile et coûteux. La plupart, après avoir opéré 20 ou 25 ans, laissent des impacts à très long terme.

Comment peut-on alors atteindre une exploitation minière durable ?

Le mot durable est comme ces mots qui sont de nos jours utilisés les jeunes aux États-Unis, tels que "awesome" (qui est utilisé quand quelque chose a été très impressionnant), mais cela ne correspond pas à la véritable signification. Le développement durable est sur le long terme, c'est-à-dire des milliers d'années. L'expérience m'a montré, qu'il y a toujours des impacts négatifs, mais cela ne veut pas dire, qu'il n'y a aucun avantage. Ce qui se passe, c'est que beaucoup de ces impacts négatifs sont payés par le public et non par les sociétés minières.

Pourquoi les entreprises se déplacent de plus en plus vers de pays n'ayant pas de tradition d'exploitation minière ?

Cela se produit surtout dans les pays en développement. Comme les coûts de main-d'œuvre sont moins chers, le contrôle est beaucoup plus faible et la plupart des minéraux précieux aux Etats-Unis et en Europe ont déjà été découverts, les grandes compagnies minières viennent en Asie centrale, en Afrique, en Amérique du Sud et dans les îles du Pacifique. Ce que je dis n'est pas contre l'exploitation minière, mais je crois qu'il doit y avoir un équilibre des pouvoirs entre les entités de contrôle et les entreprises, sinon, les coûts à long terme seront pris en charge par le public.

Le danger des eaux qui deviennent toxiques   

Le pays a également débattu des impacts de l'exploitation minière du charbon, y compris la firme Drummond a été sanctionnée parce qu’elle rejetait des minéraux à la mer. Quels sont les risques ?

Dans les mines de charbon, comme d’or et autres métaux, le problème le plus grave est la pollution chronique, lente et semi invisible résultant des piles de déchets, en raison de la filtration d'eau de l’eau des puits et des lagunes vers les eaux souterraines, lesquelles peuvent contaminer les eaux de surface avec toutes sortes de sels, métaux et métalloïdes mobiles. Nous pouvons déjà voir des signes de ce type de pollution à proximité des sites miniers dans le département du César (Colombie).

Il se crée également une concurrence croissante pour l'eau, car les entreprises doivent pomper l'eau des puits pendant de nombreuses années, parce que diminuant les niveaux des nappes phréatiques locales et à leur tour en s’asséchant, ou à minima rabaissant les niveaux inférieurs des puits, des sources, des marécages et des rivières. Il peut également y avoir des répercussions en aval par la dérivation des cours d'eau.

La poussière de charbon et les déchets de roche, que le vent emporte vers les rivières, contribuent également à la dégradation de la qualité de l'eau, et cette eau qui étaient autrefois utilisées dans l'agriculture, pour l'abreuvement du bétail et la consommation intérieure, maintenant elles peuvent être très dégradé, pour à ces fins une utilisation sans traitement.

Cette poussière contient des particules physiques et des composants chimiques, comme les métaux, les métalloïdes, les résidus d'explosifs et les combustibles, dont plusieurs sont toxiques pour les humains et autres organismes. Vérifier ces impacts est difficile, plus encore si avant le début de l'exploitation de la mine, les données de base nécessaires n'ont pas été recueillies et si les entreprises ont fonctionné pendant plusieurs années.

À propos de Moran  

Ses concepts ont conduit à la suspension de grands projets au Pérou, au Salvador et en Roumanie, ainsi que l'annulation d’autres, au Pérou et en Argentine.


Notes : 

(1) Le Páramo est un biotope d'altitude, qu'on trouve dans la Cordillère des Andes, entre la limite des forêts et les neiges éternelles.

(2) La lixiviation : (du latin lixivium ; lessive, lessivage) désigne dans le domaine des sciences du sol, les techniques d'extraction de produits solubles par un solvant, et notamment par l'eau circulant dans le sol (éventuellement pollué) ou dans un substrat contenant des produits toxiques (décharge industrielle en particulier).

(3) Un aquifère est une formation géologique ou une roche, suffisamment poreuse et/ou fissurée et perméable, pour contenir, de façon temporaire, ou permanente une nappe d'eau souterraine mobilisable.


Source : El Tiempo (Colombie)