La récente discussion au Costa Rica et au Nicaragua relative au fleuve Colorado trouve son origine dans l´une des prétentions inclue dans le contre mémoire présenté par le Nicaragua à la CIJ en août 2012 (rendue publique dans la presse au Costa Rica et commentée par les autorités du Costa Rica sans la moindre réserve au mois de février 2013) selon laquelle le Nicaragua demande à pouvoir naviguer dans ce « bras » du Rio San Juan, fleuve frontière entre le Costa Rica et le Nicaragua.
L´article paru dans La Nación (Costa Rica) le 4 février 2013, véritable détonant de cette nouvelle guerre médiatique
entre les deux Etats, fait également référence à un autre grief soulevé par le
Nicaragua, celui d´exiger des droits souverains dans la baie de San Juan del Norte, baie « commune »
aux deux Etats selon le traité de délimitation de 1858 toujours en vigueur,
mais dont l´accès est contrôlé par le Nicaragua suite aux travaux de démarcation
réalisé entre 1897 et 1900 entre les deux Etats: il doit s´agir d´un rare cas
au monde de « co-souveraineté » de deux Etats sur les eaux d´une baie
entourée par le territoire d´un seul Etat.
UNE TENSION INUSITÉE :
Afin d´avertir le lecteur peu
familiarisé avec les turbulentes relations entre ces deux Etats, il convient d´indiquer
que jamais dans l´histoire de la justice internationale un fleuve n´aura donné
lieu à pas moins de trois requêtes différentes présentées en
moins de sept ans à la Cour Internationale de Justice de La Haye :
-
En septembre 2005 requêtedu Costa Rica contre le Nicaragua concernant les droits de
navigation et droits connexes dans le San Juan ;
-
En novembre
2010, requêtedu Costa Rica contre le Nicaragua concernant le dragage du
fleuve San Juan et l´occupation illégale de son territoire ;
-
En décembre 2011, requêtedu Nicaragua contre le Costa Rica en raison de la construction
d´une route parallèle au San Juan et à une partie de la frontière
terrestre (en tout 160 km) justifiée comme une réponse à l´ « agression »
soufferte par le Costa Rica en 2010 (2).
Cette présence inusitée à la Haye constitue un détail peu
remarqué dans la littérature juridique spécialisée, permettant nonobstant de
donner une idée de l´état des relations entre les deux riverains du fleuve San
Juan ces dernières années (et qui, du reste, n´a intéressé, du point de vue politique, que bien peu de chercheurs (3).
La réunion de Peñas Blancas entre les deux Etats le 11 avril 2012 (près d´un mois après que la CIJ ait ordonné des mesures provisores dans sonordonnance en date du 8 mars 2011), au cours de laquelle le table a été placée sur la frontière de façon à ce qu´aucune des délégations n´ait à franchir la ligne divisoire illustre le méfiance réciproque et la tension extême, comme l´a relevé la presse : cette réunion aura pour le moins servi à recommander que la prochaine se tienne sur le territoire d´un Etat tiers.
D´un point de vue strictement juridique, un exercice plutôt
périlleux avec parallélismes
inverses des formes à La Haye attend les deux riverains du San Juan: toutes les
normes en matière environnementale invoquées avec grand soin par le Costa Rica
et minimisées par le Nicaragua pour ce qui est du dragage effectué par le
Nicaragua seront probablement invoquées par le Nicaragua concernant la route
parallèle au San Juan longue de 160 km et (tout aussi probablement) minimisées
quant à leur portée par le Costa Rica. En matière environnementale, ce dernier
s´est d´ailleurs fait remarquer, lors de la première affaire sur les droits de
navigation et droits connexes : le Costa Rica contestait, du fait de l´inexistence
de clauses dans le traité de 1858, toutes
les mesures de restriction à la navigation prises par le Nicaragua basées
sur des considérations environnementales.
La CIJ lui a fait savoir de façon assez claire sa
position sur ce point: « La Cour estime que, au
cours des cent cinquante ans qui se sont écoulés depuis la conclusion du traité
de 1858, les intérêts devant être protégés au moyen d’une réglementation prise
dans l’intérêt public peuvent tout à fait avoir évolué d’une manière qui, à l’époque,
ne pouvait être prévue par les Parties ; la protection de l’environnement en
est un excellent exemple. Ainsi que cela ressortira des conclusions formulées
plus loin dans le présent arrêt (voir paragraphes 104, 109, 118, 127 et 141),
la Cour considère que, en adoptant certaines mesures contestées, le Nicaragua
poursuit l’objectif légitime que constitue la protection de l’environnement » (paragraphe 89 de la décision de la CIJ du 13 juillet 2009).
D´un point de
vue politique il est intéressant de noter que la crise d´octobre 2010 n´a pas
donné lieu à la rupture des relations diplomatiques ou commerciales entre les
deux Etats : il doit s´agir d´une première historique où un Etat accuse, cartes géographiques
en main, son voisin « d´agression » et d´ « invasion »
sans que cela ne signifie une rupture des relations diplomatiques. Au-delà de
ce détail, on serait tenté de penser que les deux Etats, incapables de se
mettre d´accord sur toute ce qui à trait au fleuve San Juan, ont trouvé plutôt
commode de mener la guerre verbale à son maximum, au risque d´offrir un « spectacle pathétique » (mais
politiquement payant), aux dires de certains observateurs. Et l´on peut avancer
que les deux gouvernements ont décidé de s´en remettre, en dernière instance
(et pour chaque nouvelle crise) à la justice internationale de La Haye, malgré
les coûts exorbitants que cela leur signifie à chacun : entre 5 à 8
millions de dollars pour chaque affaire, pour chaque Etat, selon les spécialistes.
Cette stratégie connaît cependant une réserve, que les fins connaisseurs en
matière de relations internationales et de droit international ont exprimés ci
et là : tout ne se règle pas nécessairement en recourant au juge et une décision
fondée sur le droit peu empoisonner les relations entre deux Etats au lieu de
les normaliser.
Comme le dit
bien l´ancien Président de la CIJ, le juge français Gilbert Guillaume, « Il n´est pas de différend
juridique pur : ceux apparus entre les Etats ont toujours un aspect
politique. Et l´on peut chercher à les résoudre par des méthodes telles que la
négociation ou la médiation qui ne conduisent pas à appliquer purement et
simplement le droit. Dans l´affaire
du Canal de Beagle, un arbitrage rendu conformément au droit applicable fut sur
le point de déclencher un conflit armé entre l´Argentine et le Chili ; en
revanche une médiation pontificale permit par la suite de mettre un terme au différend. De même
dans l´affaire du Rainbow Warrior, le Secrétaire général des Nations Unies fut
capable, en tant que médiateur, de trouver une solution aux difficultés nées
entre la France et la Nouvelles Zélande du fait de l´action des services
secrets français, alors qu´un examen de l´affaire en droit n´aurait fait qu´envenimer
les rapports entre les deux pays » (4).
Malgré les opinions récentes émises de part et d´autres du San Juan pour ce qui est du Colorado (voir article de Freddy Pacheco – Costa Rica – et entrevue a MauricioHerdocia – Nicaragua, et dont la presse s´est fait écho à partir du premier article paru au Costa Rica le 4 février 2012, le Colorado est bien loin de constituer une « nouvelle » source de discorde : tout au contraire, il n´a cessé au fil du temps, et depuis fort longtemps, de provoquer de nombreux remous dans les relations entre les deux Etats. Aussi, une brève description du fleuve San Juan et quelques cartes s´imposent afin de mieux clarifier les données et les enjeux de ce contentieux relatif à ce fleuve frontière.
BREVE DESCRIPTION DES CARACTERISTIQUES DU SAN JUAN :
Un détail important explique le caractère
conflictuel du San Juan : les eaux du San Juan dans le secteur qui termine
dans la Baie de San Juan del Norte, sont soumises à la juridiction du Nicaragua
qui y exerce son «dominio y sumo imperio » alors que le Costa Rica
se voit reconnaître des droits perpétuels de navigation pour fins de commerce,
selon le traité de délimitation accordé en 1858 et toujours en vigueur.
La technique de la délimitation
fluviale (limite à la rive) convenue en 1858 est également utilisée pour les
cours d'eau internationaux tels que le Chatt-el-Arab (Iran / Irak), le fleuve
Amour (Russie / Chine), les rivières Tinto et Motagua (Guatemala / Honduras) ou
le fleuve Sénégal (Sénégal /
Mauritanie), San Pedro et rivières Tendo (entre le Sénégal et la Gambie) ou le
Odong rivière (Malaisie / Indonésie): cette technique de délimitation fluviale
a été retenue en 1858 au lieu
d'autres techniques telles que la line médiane ou le thalweg, utilisé, par
exemple, pour délimiter le fleuve Sixaola
entre le Costa Rica et le Panama (traité Echandi Montero - Fernández Jaén,
1941).
Comme bien d´autres Etats riverains de
fleuves délimités avec la technique de la limite à la rive, peu équitable, le
San Juan recèle un potentiel conflictuel inhérent au choix de cette
technique de délimitation (5). Cette dernière n'est d´ailleurs pas étrangère
aux intérêts explicités vers le début puis le milieu du XIXe siècle de la
Grande-Bretagne et des États-Unis, puissances qui se disputaient le contrôle de
la future voie inter océanique: l´intense bataille diplomatique qu´elles se
sont livrées au XIXe siècle dans la région par Etats interposés tendait, faute
d´accord sur le contrôle exclusif de l´une ou l´autre, à trouver un régime pour
la frontière entre le Costa Rica et le Nicaragua qui puisse faciliter la
construction de la future voie interocéanique (6)
: deux baies à chaque extrémité de la frontière déclarées «communes», et un État
exerçant sa souveraineté sur les eaux du fleuve San Juan en sont le résultat
pour ce qui est du Costa Rica et du Nicaragua, entre bien d´autres
aspects. L´entreprise n´ayant
jamais vu le jour, les deux Etats pâtissent depuis, d´une frontière conçue d´abord
et surtout en fonction d´un projet en 1858, et seulement ensuite pour séparer
des territoires.
Dans la dernière partie du San Juan, à
la suite d'un processus naturel qui a été signalé bien avant le milieu du XIXe
siècle, le delta se présente de la façon suivante :
Figure 1
Figure élaborée par la professeur Allan Astorga, Escuela de Geología,
Universidad de Costa Rica
a) le débit principal du San Juan se
jette dans un fleuve qui pénètre dans le territoire du Costa Rica, le fleuve
Colorado ;
b) tandis qu'une petite partie du débit
du San Juan se jette dans la baie de San Juan del Norte en suivant le bras du
San Juan choisi en 1858 pour marquer la frontière entre les deux Etats.
Nous nous permettons de renvoyer ici à
l´image satellite de la bifurcation entre le Rio San Juan et le Rio Colorado,
qui permet de donner une idée plus claire de la différence de débit existante.
Est nommé « bras » du Colorado ce qui, a première vue, n´ en est pas
un.
UNE QUALIFICATION JURIDIQUE COMPLEXE :
La situation géographique du San Juan
ci-dessus sommairement décrite
entraîne pour les États riverains un degré de difficulté bien plus grand que
pour d'autres États riverains dans
la gestion de fleuves internationaux. Pour ce qui concerne cette dernière
expression, il est à noter que lors du différend portant sur les droits de
navigation et autres droits connexes entre le Costa Rica et le Nicaragua portée
à connaissance de la CIJ, la question de la qualification de San Juan comme «fleuve
national» ou «fleuve international» a reçu pour réponse une formule plutôt
laconique de la part de la CIJ, en dépit des efforts déployés par les deux
parties au différend lors des plaidoiries :
Dans sa décision du 13 Juillet 2009, la CIJ a déclaré que «La Cour ne croit pas devoir prendre parti, dans la présente
affaire, sur la question de savoir si et dans quelle mesure il existe, en droit
international coutumier, un régime applicable à la navigation sur les «fleuves
internationaux», soit de portée universelle, soit de caractère régional en ce
qui concerne la zone géographique où se situe le San Juan. Elle ne croit pas
non plus, par voie de conséquence, devoir trancher la question de savoir si le
San Juan entre dans la catégorie des «fleuves internationaux» ⎯
comme le soutient le Costa Rica ⎯
ou constitue un fleuve national comportant un élément international ⎯
ce qui est la thèse du Nicaragua ».(paragraphe 34 de la décisionde la CIJ du 13 juillet 2009).
Du point de vue de la nomenclature
moderne du droit international public, qui ne considère plus le lit d'un fleuve , mais le système
hydrographique comme tel, le San Juan peut être considéré comme un «cours d'eau
international»: il ne s´agit pas d´une affirmation gratuite, mais d´une
application de la définition donnée par la Convention sur le droit relatif
aux utilisations des cours d'eau internationaux à des fins autres que la
navigation, signée à New York en Décembre 1997. Son article 2 se lit en effet de la façon
suivante :
« a) L’expression « cours d’eau » s’entend d’un système d’eaux de surface et d’eaux souterraines constituant, du fait de leurs relations physiques, un ensemble unitaire et aboutissant normalement à un point d’arrivée commun;
b) L’expression « cours d’eau
international » s’entend d’un cours d’eau dont les parties se trouvent dans des
Etats différents ».
On notera au passage qu´avec la
ratification récente de l'Italie en novembre 2012, cet instrument compte 29 ratifications sur les 35 nécessaires à son entrée envigueur, et qu'à ce jour aucun État latino-américain ne l´a
ratifiée. Au-delà de la réticence bien connue de certains États à l'égard de
cet instrument international, dont la France jusqu´en février 2011
UN CHANGEMENT QUI DATE DANS l´EMBOUCHURE DU SAN JUAN :
En ce qui concerne le fleuve San
Juan, un processus naturel au XIXème siècle a profondément changé son
embouchure, du fait des sédiments charriés dans une période comprise entre les
années 1840-1850 et sans doute même bien avant.
Un article publié au Nicaragua le 12/12/2010 (publié dans la revue Confidencial) fait référence au journal de voyage de l'archéologue et ethnologue G.Ephraim Squier pendant l'été 1848 indiquant l'importance du débit du Colorado à cette saison de l´année par rapport à celui du bras du San Juan qui conduit à la baie de San Juan del Norte. Quelques années plus tard, le traité Webster-Crampton signé entre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne le 30 avril 1852 stipulait quant à lui (article III) que la frontière entre le Costa Rica et le Nicaragua « commencera dans la rive sud de la rivière Colorado », probablement en raison des mesures faites sur la profondeur et le débit effectuées par les deux puissances intéressées par la construction du futur canal interocéanique.
Dans le mémoire du Costa Rica lors de l´arbitrage du Président Grover Cleveland rendu en 1888, le diplomate Pedro Perez Zeledon faisait allusion en 1887 (8), à des barrages construits par le Nicaragua dans les années 1860 pour tenter de maintenir le niveau des eaux du San Juan. Avant cela, un rapport technique préliminaire de 1859 indique qu '«entre la naissance de la rivière Colorado et le port de Greytown, la navigation était impossible étant donnée la profondeur de 50 à 60 centimètres »(9).
Ce « caprice de la nature » a essayé d´être contourné par la voie diplomatique entre les deux Etats en révisant le traité Cañas-Jerez de 1858 :
-
le traité du 13 Juillet 1868 sur «l'amélioration du
Colorado et du San Juan» ;
-
la Convention Esquivel-Rivas du 21 Décembre 1868 - dans
laquelle le Costa Rica accepte que les eaux du Colorado soient détournées par
le Nicaragua "pour obtenir la remise en état ou l'amélioration du port de
San-Juan de Nicaragua» (Art. 1),
-
le traité du 2 Juin 1869 allant dans le même
sens ;
-
le traité du 5 Février 1883, dans lequel le Costa Rica
convient que la frontière avec le Nicaragua commence dans l´embouchure du Colorado (Art. 1) ;
-
le traité sur le canal interocéanique signé le 19 Janvier
1884 (Article V).
Ces cinq traités adoptés pendant une période relativement courte (moins de 20 ans) entre le Costa Rica et le Nicaragua témoignent des pressions subies pour trouver remède au changement d´embouchure principale du San Juan : ils n´eurent cependant aucun effet, du point de vue juridique, en raison de l´absence d'approbation par les Congrès de l'époque, notamment celui du Costa Rica.
L´ARBITRAGE DU PRéSIDENT G. CLEVELAND (1888) ET CELUI DE l´INGENIEUR E. ALEXANDER (1897) :
Le Nicaragua décidait alors de dénoncer
le traité de 1858 en le considérant nul et non avenu, invoquant pour ce faire
des violations à son droit constitutionnel, et les deux Etats décidèrent de
soumettre la question à l'arbitrage du président Grover Cleveland des
Etats-Unis en 1886. Si nous lisons les 11 points d'interprétation
douteuse soumis par le Nicaragua à l´arbitre en 1886, les points 1 et 7 montrent
la profonde préoccupation du Nicaragua du fait des transformations subies par
l'embouchure principale du San Juan :
« Punto 1 : Habiendo
sido el punto Punta de Castilla como el principio de la línea frontera en el
lado del Atlántico y encontrándose el mismo de acuerdo con el Tratado en la
boca del rio San Juan, ahora que la boca del rio ha sido cambiada : ¿de
donde comenzará la frontera ?.... Punto 7 :¿Si, en vista del Artículo
V del tratado, el brazo del San Juan conocido como el río Colorado deber ser
considerado como la frontera entre Nicaragua y Costa Rica, desde du origen a su boca en el Atlántico?”
Dans sa décision de 1888 (voir texte complet de l´arbitrage Cleveland. pp. 208-211),
l'arbitre G. Cleveland maintient le traité de 1858 dans son intégralité et
rejette toutes les demandes faites par le Nicaragua. Nous lisons, point 7, «Le
fleuve San Juan bras connu sous le nom de Rio Colorado, ne doit pas être considérée
comme la limite entre les Républiques du Nicaragua et du Costa Rica en quelque
partie que ce soit de son cours" (traduction libre de l´auteur de
la version anglaise).
L'arbitre spécifie les compétences que les deux Etats partagent en ce
qui concerne les travaux d'amélioration
des eaux du San Juan. Au point 6, il précise que «le Costa Rica a le droit
de réclamer une compensation pour les lieux qui lui appartiennent sur la rive droite du San Juan qui pourraient
subir des dommages sans son consentement en raison d´inondations ou autres
dommages du fait des travaux d'amélioration » (traduction libre de l´auteur). Lors des discussions sur
l'emplacement du point de départ de la frontière par les deux commissions
nationales de démarcation en 1897, le Nicaragua a à nouveau affirmé
officiellement a l´arbitre-ingénieur E. Alexander "ne pas reconnaître
uniquement le bras du fleuve San Juan se déversant dans la baie appelée San
Juan del Norte / … / Le San Juan comprend toutes les bras. Celui possède trois
bras qui sont le Colorado, le Taura et le bas qui se jette dans la baie de San
Juan del Norte » (traduction libre de l´auteur) (10).
Cette nouvelle tentative du Nicaragua
pour ajuster la frontière au « caprice de la nature » mentionné
ci-dessus est catégoriquement rejetée par l'arbitre E. Alexander, qui affirme
avec force qu '«il est impossible de concevoir également que le Costa Rica
aurait accepté le Taura comme frontière et que le représentant du Nicaragua
aurait entièrement omis de faire figurer le Taura dans le traité» (traduction
libre de l´auteur) (acte V de Commission de démarcation, qui inclut en p. 9 la décision du 30 Septembre 1897), fixant le début
de la frontière à Punta Castilla dans la baie de San Juan del Norte. Afin d´anticiper
les discussions futures probables, les deux commissions de démarcation décidèrent
de fixer les coordonnées de 40 points et d'illustrer avec une carte traçant la
frontière (voir carte p. 33 du même document élaborée en 1897 et reproduite
dans la requête du Costa Rica, a lapage 10).
Depuis 1897, cette cartographie a été
reprise sur les cartes officielles des deux côtés de la rivière San Juan, a l´exception
du Nicaragua, à partir de mois d´octobre
2010 qui a décidé de justifier sa présence sur le sol costaricien en présentant
à l´appui les cartes de Google Map, et de reprendre l´erreur de Google Map dans sa
cartographie officielle après octobre 2010, tel que le montre la carte publiée
en janvier 2011 (Ci-contre). A cet égard, certaines études
font référence à la crise diplomatique d´octobre 2010 comme la première liée à
une erreur de Google, donnant ensuite prétexte facile à un apaisement impossible entre le Costa
Rica et le Nicaragua.
Au-delà des erreurs commises par les uns et les autres en octobre 2010 à l´ère des satellites et des GPS, ce bref rappel historique met en lumière la préoccupation constante qu´a signifié au cours de l'histoire des deux Etats riverains le parcours terminal du fleuve San Juan et en particulier le Rio Colorado.
2013 : LA RéAPPARITION DU COLORADO :
La discussion récente et la guerre médiatique qui s´en est
suivie entre le Costa Rica et le Nicaragua sur la question des droits de
navigation du Nicaragua sur le Colorado
confirment une nouvelle fois cette constante dans les relations
diplomatiques entre les deux pays: un fleuve frontière dont le bras retenu pour
fixer la frontière en 1858 n´est plus le bras principal depuis fort longtemps,
au profit du bras du Colorado et un Etat « souverain » sur les eaux d´un
fleuve qui lui échappent dans son parcours terminal au profit de son
voisin.
Cependant, du point de vue de la stratégie
juridique suivie par le Costa Rica contre le Nicaragua à La Haye, il convient de noter que
cette récente discussion trouve son
origine dans l´une des prétentions du Nicaragua inclue (parmi bien d´autres)
dans le contre mémoire déposé par le Nicaragua à la CIJ en août 2012, et dont le
contenu a été diffusé (en partie) par les médias au Costa Rica en février 2013.
Cet argument, comme bien d'autres
griefs du Nicaragua à ce jour non publiés, font partie du contre mémoire présenté par le Nicaragua dans
le cadre de l´affaire intitulée officiellement par la CIJ comme relative à « Certaines
activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière » suite à
la requête déposée par le Costa Rica contre le Nicaragua au mois de novembre 2010: l'ensemble des arguments
du Nicaragua sera répondu par le Costa Rica, conformément aux procédures prévue
par la CIJ , laquelle prévoit, comme on le sait bien, un second tour avec la présentation
de réplique par le demandeur et la duplique par le défendeur.
A noter su ce point précis que les pièces
de procédures écrites produites par chacune des parties sont censées ne
circuler qu´entre les juges de La Haye et les Parties : cette première
phase du contradictoire permet habituellement aux juges de la CIJ de clarifier
le débat et d´obtenir des Etats parties au différend des précisions majeures
quant à leurs prétentions respectives. Mais elle permet aussi aux Etats d´ordonner
leurs arguments : comme l´écrivait l´ancien Président de la CIJ Mohammed
Bedjaoui : « Tout cela est utile pour déblayer le terrain afin que
les joutes oratoires de la procédure orale trouvent plus tard le champ libre nécessaire
au manège des chevaux de bataille.
Car il se dégage clairement de
toute cette procédure écrite
un certain nombre de thèses et d´argument bien campés. Mais il est assez
courant de voir des positions qui au début paraissaient inexpugnables sortir
toutes lézardées de cette guerre des mots » ([11]).
A cet égard, il serait important de
connaître les motifs pour lesquels une partie des griefs du Nicaragua a été
publiée par la presse au Costa Rica près de six mois après leur présentation à
la CIJ et leur transmission à la Partie adverse. Il serait également intéressant de pondérer l´avantage (ou
non) que peut trouver une Partie à commenter sans aucune réserve dans sa presse
et face à son opinion publique les arguments présentés par son adversaire 6 mois plus tôt (au
cours d'une étape de la procédure dans laquelle les écrits circulent seulement
entre les juges de La Haye, et les Parties).
Ce point est particulièrement important
dans la mesure où la première phase écrite devant la CIJ n'est pas publique, la
CIJ se limitant à lire les deux parties et à leur demander de présenter leurs
arguments, puis de les clarifier lors d´une second tour. C´est seulement après
cette première phase écrite que se tiennent les audiences orales, qui sont publiques (dans le cas récent entre Pérou
et le Chili, elles ont même été retransmises en direct par des chaînes de télévision
péruviennes). C´est également à ce moment
que la CIJ révèle le contenu des arguments inclus dans les pièces de
procédures écrites, comme le prévoit l article 53, paragraphe 2 de son règlement
(voir texte du règlement de la CIJ). Ignorer cette règle de procédure qui a
toujours prévalu dans le contentieux
à
La Haye pourrait peut être avoir des conséquences quelque peu fâcheuses pour la partie qui s´est prêtée à ce type d´ indiscrétion.
Notes :
(1) Diplômé de l´Institut d´études
politiques (IEP) de Strasbourg, LLM (Institut Universitaire Européen de
Florence, Boursier Lavoisier), Docteur en droit (Université de Paris II).
Actuellement professeur de droit international public à la Faculté de Droit, Universidad
de Costa Rica (UCR).
(2) Cette route, communément appelée « trocha fronteriza » (ou plus officiellement « Ruta 1856 » nom choisi lors de l´inauguration du premier secteur en février 2012), constitue l´un des scandales majeurs récents d´actes de corruption au Costa Rica des dernières années qu´enquêtent l´Assemble Législative, la « Contraloría General de la República », le Parquet (Ministerio Público), ainsi que l´opposition et la presse. L´ ancien Ministre du Costa Rica des Relations Extérieurs (2006-2010), Bruno Stagno le qualifie de projet àfins médiatiques : «La trocha fronteriza ha resultado ser una obra con claros fines mediáticos internos y no una manera tangible de reforzar nuestra soberanía frente a un vecino más que incómodo. Ante las denuncias y evidencias relacionadas a la falta de planificación, coordinación, supervisión y mitigación de la obra, la importancia supuestamente estratégica que la administración Chinchilla Miranda le asigna(ba) a esta ruta no es en nada congruente con la realidad. Hasta prueba de lo contrario, parece que en realidad nunca fue más que un andamio de emergencia para contener la precipitosa caída en imagen del gobierno” (Bruno Stagno, “Una trocha con fines mediáticos”, La República, 2/07/2012).
(3) Cf par exemple: SANDOVAL GARCIA C., “De Calero a la Trocha: la nueva disputa entre los Gobiernos de Costa Rica y de Nicaragua ( (2010-2012)”, Anuario de Estudios Centroamericanos, Vol. 38 (2012), pp. 179-192. Texte complet disponible.
(4) Cf. GUILLAUME G., La Cour Internationale de Justcie à l´aube du XXIème siècñe. Le regard d´un juge, Paris, Pedonde, 2008, p. 21
(5) Cf. notre étude BOEGLIN NAUMOVIC N., « De l´usage des cours d´eaux
comme frontières », in “De l´usage des cours d´eaux comme frontière”, in BOISSONS
DE CAZOURNES L. / S. M.A. SALMAN S. M.A :, (Editeurs), Les ressources en eau et le droit
international / Water Resources and International Law, Académie de Droit International
de La Haye, The Hague, Martinus
Nijhoff Publishers, 2005, pp. 130-165, p. 146.
(6) Cf. sur l´intensité de la bataille diplomatique entre la Grande Bretagne et les Etats-Unis les quelques modestes pages de notre thèse y consacrées, BOEGLIN NAUMOVIC N., La frontière terrestre entre le Costa Rica et le Nicaragua, Paris, Université de Paris II (Thèse de Doctorat en Droit) 1996, pp.62-72.
(7) Le récent Colloque d´Orléans de la SFDI (Société Française pour le Droit International) sur « l´Eau en Droit International » paru en 2011 aux éditions Pedone à Paris, précède de quelques mois la ratification par la France de la Convention de New York sur le droit relatif aux utilisations des cours d´eau internationaux a des fins autres que la navigation du 21 mai 1997 : en effet, l´adhésion de la France a eu lieu le 24 février 2011. On y lit à ce propos que l´annulation para la Cour administrative d´appel de Nancy en 2005 d´un jugement du Tribunal administratif de Strasbourg de l´an 2000 portant sur les mines domaniales de potasse d´Alsace, confirmée par un décision du Conseil d´État de 2007 aurait contribuer à faire disparaître « l´obstacle qui semble avoir pesé fortement en faveur de l´abstention de la France lors du vote à l´Assemblée Générale des Nations Unies en 1997 et avoir concouru à différer son adhésion au même instrument » (p. 328). Quelques pages plus tard on lit également que « enregistré à la présidence de l´Assemblée nationale le 6 avril 2010, le projet de loi/…/ est adopté dans la foulée puis transmis au Sénat ou il est enregistré le 8 avril et discuté /adopté le 18 mai » (p. 330). Belle contribution donc du Conseil d´Etat au progrès du droit international de l´eau !
(8) Cf. PEREZ ZELEDON P:, Réplica al alegato en la cuestión sobre validez o nulidad del tratado de limites que ha de decidir como arbitro el señor Presidente de los Estados Unidos de América, 1897, Anexo 7
(9) Cf. SIBAJA L.F., Del Cañas-Jerez al Chamorro-Bryan, Ministerio de Juventud, Cultura y Deportes, San José, 2009, p.57.
(10) Cf. COMISION NICARAGUENSE, Alegato de la Comisión Nicaragüense, contestando a la exposición de la Comisión de Costa Rica sobre Limites, San José, Tipografía Nacional, 1897, p. 26
(11) Cf. BEDJAOUI M., “La “fabrication” des arrêts de la Cour Internationales de Justice », Mélanges Michel Virally, Le droit international au service de la paix, de la justice et du développement, Paris, Pedone, 1991, pp. 86-107, p. 89