samedi 27 octobre 2012

Venezuela, Aporrea, l'histoire d'un journal en ligne de gauche

Histoire du journal Aporrea, 
outil de communication de référence des mouvements sociaux vénézuéliens

Entretien avec Gonzalo Gomez-Freire, notes et traduction de Libres Amériques

« Ni la bureaucratie étatique, ni une minorité bourgeoise, ne peuvent faire obstacle aux forces et aux conquêtes du peuple organisé du Venezuela ». L’entretien qui suit avec un de ses fondateurs d’Aporrea, Gonzalo Gomez-Freire, nous donne idée de comment est né ce journal en ligne ? De comment un petit journal « alternatif » va devenir un pôle d’information militant important avec à minima ses 100.000 visiteurs par jour ? Cette histoire prend source dans le coup d’état d’avril 2012 et permet de rappeler le rôle que jouèrent les médias populaires comme Catia Tv et l’équipe du journal d’Apporea dans la défaite de l’opposition golpiste.

Aporrea est un journal citoyen vénézuélien non négligeable dans la faune des journaux en ligne du pays. En dehors du Venezuela, il n’existe pas vraiment d’équivalent capable de rassembler des points de vue à ou de gauche de toute nature, même si parfois on peut le confondre avec un simple outil étatique, alors que l’Etat, n’est qu’un relais d’opinion parmi d’autres.


 Entretien réalisé par Andrés Figueroa Cornejo

Rue du Pérou à  Buenos Aires, un journaliste chilien s’entretient avec un Vénézuélien. Le Vénézuélien de passage en Argentine, Gonzalo Gomez Freire, est le co-fondateur et membre du site Aporrea.org, un site de communication populaire, dont il a la charge de certains domaines, à la fois comme coordinateur des relations publiques, porte-parole, et de certaines questions administratives.

Sans fausse modestie, il explique : «Nous dépassons les 100.000 visiteurs par jour, dans des circonstances ordinaires. Pourtant, dans des contextes particuliers, comme les élections du 7 octobre (présidentielles 2012), nous avions environ avant et après les élections 500.000 visites quotidiennes et 9 millions de connexions par semaine. Un tiers sont des visiteurs étrangers (principalement : Panama, Mexique, Argentine, Brésil, Équateur, République dominicaine, Espagne, États-Unis) et deux tiers des lecteurs sont des Vénézuéliens.

- Comment travaillez-vous ?

Nous avons une façon de travailler qui n'est pas hiérarchique. Chaque personne de l'équipe est autonome. Nous communiquons sur le réseau avec un chat interne, donc si quelqu'un a des doutes au sujet de certaines choses, il le met en requête. Et le groupe humain se compose de socialistes, de gens de gauche, de bolivariens, de chavistes, de trotskistes, et nous devons faire attention à ce que le journal ne soit pas dominé par un quelconque courant ou parti en particulier.

- Et les principes éditoriaux?

Il existe des critères et des paramètres convenus. Tout ce que nous publions participe de la défense du processus révolutionnaire vénézuélien et les luttes anti-impérialistes et anti-néolibérales, démocratiques, sur les revendications populaires, les nationalités opprimées, les droits de l'homme, que nous apportent des gens du pays et de l'étranger. Au Venezuela, il y a un large éventail de nuances. Nous avons des gens qui ont des critiques assez vives et des questions dans le cadre du processus, jusqu'à des positions justifiant les politiques gouvernementales. Toutes sont publiées sur Aporrea. "

- Dans quel contexte naît la publication d’Aporrea?

"Il est né d'un espace qui a été formé en tant coordination des mouvements populaires pour faire face au coup d'Etat de 2002 (du 11 au 13 avril).

"Le pont Laguno, les clefs d'un massacre"
 réalisé par Angel Palacios (en VO esp)

Le gouvernement n’appela alors à aucune mobilisation populaire massive et paria pour résoudre la situation, institutionnellement, au moyen des mécanismes ​​internes de l'appareil d'Etat et des forces armées. Par ailleurs, l’exécutif a soutenu la thèse d'éviter les provocations et les effusions de sang. Cependant, nous avons compris qu'il y avait un coup d'Etat en préparation et masqué par un mouvement du peuple (apparemment de la classe moyenne et aisée) et une grève des entreprises soutenu par la bureaucratie syndicale avec pour objectif de prendre d'assaut le Palais de Miraflores. La droite et l'impérialisme légitimèrent le coup d’état aux yeux du monde. Et les militaires du coup d’état vinrent en grande partie de l'intérieur du chavisme. Autrement dit, il s’agissait d’une trahison.

Nous appelons à un mouvement populaire pour faire tampon autour de Miraflores. Mais cela n’a eu aucun écho auprès des personnalités du gouvernement et c’est très tardivement qu’ils firent quelques appels, lorsque, dans les premières heures de la matinée, nous avions déjà distribué environ 100.000 tracts, arrivant à rassembler entre 10 et 15 mille personnes. Quoi qu'il en soit, il suffisait de fermer quelques-unes des voies d'accès au Palais du gouvernement, où serait l'un des affrontements avec la police métropolitaine de Caracas aux mains du maire golpiste Alfredo Peña, et dont les commissaires de cette police étaient en coordination avec l'ambassade américaine. Dans les rues de Caracas se produisit un massacre que les golpistes tentèrent de présenter comme venant du camp chaviste. Il y eut 19 morts et de nombreux blessés.

"Coup d'Etat contre Chavez - La révolution ne sera pas télévisée"
réalisé par K.Bartley et D.O'Briain

Dans la nuit du 11 et 12 Avril, certains d'entre nous se sont mis à travailler sur l'Internet pour dénoncer au monde ce qui se passait réellement au Venezuela et tenter de contrecarré la mécanique de la droite. De chez lui, le compagnon Martin Sanchez qui était hors du pays, nous proposa de contribuer, à la conception d'une page web au service de la résistance au coup d'Etat. Dans le même temps, les événements qui ont précipité le 13 Avril étaient en avance sur le développement du site, quand, dans le réel, les gens se déployèrent, récupérant le palais de Miraflores, entourant le quartier, les médias privés. Ensuite nous avons décidé de continuer avec l'idée d’un site Web, en l’utilisant pour classer les documents et les matériaux des mouvements populaires constitués de l'Assemblée Populaire Révolutionnaire.

- Et quand naît Aporrea ?

Le 14 mai 2002, avec des mécanismes de publication très pratiques. Les informations qui circulaient n'étaient pas nombreuses - 10 à12 jours textes par jour, puis Aporrea est devenu un outil de communication des mouvements sociaux dans une période de grande tension."

- Vous aviez beaucoup de lecteurs ?

Internet n'était pas aussi répandue que l'utilisation d'aujourd'hui, et ceux qui ont eu accès pour reproduire des articles ont débuté avec des photocopies. Les textes apparurent dans les lieux de travail, les syndicats, ils étaient lus dans les assemblées.

- Pourquoi l’appelé Aporrea ?

Il vient précisément d’Assemblée Populaire Révolutionnaire, et signifie frapper, faire face. L’idée nous paraissait très bonne au début (rires).

- Qu'est-ce qui vos distingue des autres sites indépendants et alternatifs?

Tout le monde social (au Venezuela) utilise Aporrea, puisqu’il s’exprime directement par (la voie) des travailleurs et des peuples. C'est-à-dire, d'en bas et non à partir de l'appareil d'Etat.  Et notre équipe n'éditorialise pas l'information, nous sommes simplement le reflet de la réalité du peuple. Si Aporrea devient acide non seulement avec la droite et l’impérialisme, mais avec certaines positions du gouvernement, c'est parce que le peuple de la révolution bolivarienne est acteur et sujet du processus, de ce qui se passe.

- A partir de quand vous avez eu plus de lecteurs ?

Par après le 13 avril 2012, une personne, abordant la question de la défense de la révolution, a fait pour recommandation de visiter le programme « Aló Présidente ». Cela signifiait un nouveau bond de lectures et de là, nous n'avons pas cessé. C’est ainsi, qu’entre Novembre 2002 et Janvier 2003, lorsque la réaction tenta le sabotage pétrolier (de PDVSA, la compagnie des pétroles vénézuéliens), nous avons joué un rôle important dans l'intelligence sociale et comme moyen d’emplacement d’une information difficile à présenter dans les médias publics.

- Par exemple ?

Nous avons réussi à obtenir des enregistrements téléphoniques des opposants, où ils parlèrent ouvertement des actions golpistes, sur les crimes qu’ils accomplirent.

- De quoi vie Aporrea ?

Au début, nous n'avions pas grand-chose et nous avons utilisé nos propres ressources personnelles. Avec le temps et le développement du site augmentaient les dépenses, et nous avons commencé à avoir des camarades rétribués au sein d’un compromis militant et politique. Ils ne devinrent pas des employés, il s'agit de militants politiques qui reçoivent une contribution pour leur travail. Maintenant, sur le financement, notre aspiration première est que les mouvements populaires locaux et les utilisateurs du site collectif se soucient du soutien et que nous puissions leurs rendre compte. En pratique, cela ne suffit pas. Néanmoins, la nature de la révolution bolivarienne, nous avons la possibilité d'utiliser de la publicité d'État, ce qui pose un risque de vulnérabilité. Parce que si nous sommes en confrontation avec une institution d'État, un ministère ou autre personne dirigeant une entreprise d'État, ils pourraient nous retirer la publicité. En effet, c’est arrivé quelquefois, mais les portes ne se sont jamis fermées et se sont ouvert d'autres routes sans condition. S'ils  ne nous aident pas d’un côté, ils nous aident de l'autre, parce que de même la révolution bolivarienne est faîtes de cette diversité et nous propose des alternatives.

- Quelle situation juridique avez-vous ?

Officiellement, nous sommes une société civile à but non lucratif. Beaucoup me présentent en  tant que directeur, mais dans notre travail transversal, j'ai un rôle de guide, d’articulateur, de médiateur. Nous avons une vingtaine de personnes disposant d’un accès direct à l'éditeur du site, mais les contributeurs et les correspondants sont innombrables, mais pas de manière formelle ou par aucun type de conventions. Dans Aporrea se discute et se manifeste la diversité.

- Quelles difficultés avez-vous remarqué dans les médias depuis la majorité populaire?

Il nous en coûte beaucoup de changer la culture la communication des organisations et des mouvements. Nous sommes plus habitués à des déclarations, des conférences de presse, mais pas à devenir une agence de presse de leurs propres luttes et acteurs de la communication directe. Parce que les médias privés, quand ils les publient à la demande, ils le font en fonction de leurs intérêts, en distordant, en les utilisant à des fins particulières. Et indépendamment que de jamais au Venezuela, le peuple n'a jamais eu autant accès aux médias d'Etat, des entraves bureaucratiques et politiques empêchent la délivrance de certaines informations. Le citoyen de manière lente doit comprendre qu’il doit avoir des médias propres et puissants, ce qu’il doit précisément les construire, créer des équipes de travail, produire du contenu. Aujourd'hui, les technologies sont beaucoup plus faciles qu'hier.

- Est-ce que l'influence et le nombre de visites d’Aporrea, serait possible dans une autre période historique, sans l'existence de la révolution bolivarienne ?

Non, je ne crois pas. Et pas seulement pour la révolution bolivarienne. Pendant le même processus, il y a eu une deuxième révolution, qui a été la défaite du coup d'Etat du 11 au 13 Avril et le redémarrage du mouvement révolutionnaire. Il en a été de même avec l’écrasement populaire du sabotage pétrolier. Ces sites des capitalistes et des secteurs bourgeois, des professionnels de la communication, ont un nombre élevé de visites et avec lesquels nous sommes en concurrence. Ils sont sur le terrain de la célébrité et de la pornographie par exemple, que nous n’abordons pas. Nous publions, bien sûr, sur des thèmes sexuels comme un enjeu humain et social. Mais ce ne sera jamais avec des leurres ou du suif pour attirer plus de lecteurs. Ce n'est pas notre objectif.

- Quels sont les projets d’Aporrea ?

"Nous voulons commencer à rendre compte de la meilleure façon de la lutte des peuples d'Amérique latine et des Caraïbes. C’est-à-dire, comment nous projetons du point de vue de la communication, les tâches de la révolution et du socialisme sous une forme étendue. Le programme de l 'actuel  président Chavez soulève un point, l’impulsion  des mouvements de communication sociaux et les expressions de tout genre, travail, femmes, peuples autochtones, environnementalistes, organismes du pouvoir populaire, partis et courants politiques, jusqu’à la création d'un spectacle multimédia publique de ce même peuple. Pour cela nous avons besoin d'améliorer qualitativement nos efforts. Mais nous exigeons également que les médias publics et privés passent sous le contrôle des mouvements sociaux, en fonction de leurs approches, besoins et réalités. Ni la bureaucratie étatique, ni une minorité bourgeoise, ne peuvent faire obstacle aux forces et aux conquêtes du peuple organisé du Venezuela.


Source :  Kaosenlared (en castillan)