Histoire du journal Aporrea,
outil de communication de référence des mouvements sociaux vénézuéliens
outil de communication de référence des mouvements sociaux vénézuéliens
Entretien avec Gonzalo Gomez-Freire, notes et traduction de Libres Amériques
« Ni la bureaucratie étatique, ni une minorité
bourgeoise, ne peuvent faire obstacle aux forces et aux conquêtes du peuple
organisé du Venezuela ». L’entretien qui suit avec un de ses fondateurs d’Aporrea,
Gonzalo Gomez-Freire, nous donne idée de comment est né ce journal en
ligne ? De comment un petit journal « alternatif » va devenir un
pôle d’information militant important avec à minima ses 100.000 visiteurs par
jour ? Cette histoire prend source dans le coup d’état d’avril 2012 et
permet de rappeler le rôle que jouèrent les médias populaires comme Catia Tv et
l’équipe du journal d’Apporea dans la défaite de l’opposition golpiste.
Aporrea est un journal citoyen vénézuélien non négligeable
dans la faune des journaux en ligne du pays. En dehors du Venezuela, il n’existe
pas vraiment d’équivalent capable de rassembler des points de vue à ou de
gauche de toute nature, même si parfois on peut le confondre avec un simple
outil étatique, alors que l’Etat, n’est qu’un relais d’opinion parmi d’autres.
Entretien réalisé par Andrés Figueroa Cornejo
Rue du Pérou à
Buenos Aires, un journaliste chilien s’entretient avec un Vénézuélien.
Le Vénézuélien de passage en Argentine, Gonzalo Gomez Freire, est le
co-fondateur et membre du site Aporrea.org, un site de communication populaire,
dont il a la charge de certains domaines, à la fois comme coordinateur des
relations publiques, porte-parole, et de certaines questions administratives.
Sans fausse modestie, il explique : «Nous dépassons les
100.000 visiteurs par jour, dans des circonstances ordinaires. Pourtant, dans
des contextes particuliers, comme les élections du 7 octobre (présidentielles
2012), nous avions environ avant et après les élections 500.000 visites
quotidiennes et 9 millions de connexions par semaine. Un tiers sont des
visiteurs étrangers (principalement : Panama, Mexique, Argentine, Brésil,
Équateur, République dominicaine, Espagne, États-Unis) et deux tiers des
lecteurs sont des Vénézuéliens.
- Comment travaillez-vous ?
Nous avons une façon de travailler qui n'est pas
hiérarchique. Chaque personne de l'équipe est autonome. Nous communiquons sur
le réseau avec un chat interne, donc si quelqu'un a des doutes au sujet de
certaines choses, il le met en requête. Et le groupe humain se compose de
socialistes, de gens de gauche, de bolivariens, de chavistes, de
trotskistes, et nous devons faire attention à ce que le journal ne soit pas
dominé par un quelconque courant ou parti en particulier.
- Et les principes éditoriaux?
Il existe des critères et des paramètres convenus. Tout ce
que nous publions participe de la défense du processus révolutionnaire
vénézuélien et les luttes anti-impérialistes et anti-néolibérales,
démocratiques, sur les revendications populaires, les nationalités opprimées,
les droits de l'homme, que nous apportent des gens du pays et de l'étranger. Au
Venezuela, il y a un large éventail de nuances. Nous avons des gens qui ont des
critiques assez vives et des questions dans le cadre du processus, jusqu'à des
positions justifiant les politiques gouvernementales. Toutes sont publiées sur
Aporrea. "
- Dans quel contexte naît la publication d’Aporrea?
"Il est né d'un espace qui a été formé en tant
coordination des mouvements populaires pour faire face au coup d'Etat de 2002
(du 11 au 13 avril).
"Le pont Laguno, les clefs d'un massacre"
réalisé par Angel Palacios (en VO esp)
Le gouvernement n’appela alors à aucune mobilisation
populaire massive et paria pour résoudre la situation, institutionnellement, au
moyen des mécanismes internes de l'appareil d'Etat et des forces armées. Par
ailleurs, l’exécutif a soutenu la thèse d'éviter les provocations et les
effusions de sang. Cependant, nous avons compris qu'il y avait un coup d'Etat
en préparation et masqué par un mouvement du peuple (apparemment de la classe
moyenne et aisée) et une grève des entreprises soutenu par la bureaucratie
syndicale avec pour objectif de prendre d'assaut le Palais de Miraflores. La
droite et l'impérialisme légitimèrent le coup d’état aux yeux du monde. Et les
militaires du coup d’état vinrent en grande partie de l'intérieur du chavisme.
Autrement dit, il s’agissait d’une trahison.
Nous appelons à un mouvement populaire pour faire tampon
autour de Miraflores. Mais cela n’a eu aucun écho auprès des personnalités du
gouvernement et c’est très tardivement qu’ils firent quelques appels, lorsque,
dans les premières heures de la matinée, nous avions déjà distribué environ
100.000 tracts, arrivant à rassembler entre 10 et 15 mille personnes. Quoi
qu'il en soit, il suffisait de fermer quelques-unes des voies d'accès au Palais
du gouvernement, où serait l'un des affrontements avec la police métropolitaine
de Caracas aux mains du maire golpiste Alfredo Peña, et dont les commissaires
de cette police étaient en coordination avec l'ambassade américaine. Dans les
rues de Caracas se produisit un massacre que les golpistes tentèrent de
présenter comme venant du camp chaviste. Il y eut 19 morts et de nombreux
blessés.
"Coup d'Etat contre Chavez - La révolution ne sera pas télévisée"
réalisé par K.Bartley et D.O'Briain
Dans la nuit du 11 et 12 Avril, certains d'entre nous se
sont mis à travailler sur l'Internet pour dénoncer au monde ce qui se passait
réellement au Venezuela et tenter de contrecarré la mécanique de la droite. De
chez lui, le compagnon Martin Sanchez qui était hors du pays, nous proposa de
contribuer, à la conception d'une page web au service de la résistance au coup
d'Etat. Dans le même temps, les événements qui ont précipité le 13 Avril
étaient en avance sur le développement du site, quand, dans le réel, les gens
se déployèrent, récupérant le palais de Miraflores, entourant le quartier, les
médias privés. Ensuite nous avons décidé de continuer avec l'idée d’un site
Web, en l’utilisant pour classer les documents et les matériaux des mouvements
populaires constitués de l'Assemblée Populaire Révolutionnaire.
- Et quand naît Aporrea ?
Le 14 mai 2002, avec des mécanismes de publication très
pratiques. Les informations qui circulaient n'étaient pas nombreuses - 10 à12
jours textes par jour, puis Aporrea est devenu un outil de communication des
mouvements sociaux dans une période de grande tension."
- Vous aviez beaucoup de lecteurs ?
Internet n'était pas aussi répandue que l'utilisation
d'aujourd'hui, et ceux qui ont eu accès pour reproduire des articles ont débuté
avec des photocopies. Les textes apparurent dans les lieux de travail, les
syndicats, ils étaient lus dans les assemblées.
- Pourquoi l’appelé Aporrea ?
Il vient précisément d’Assemblée Populaire Révolutionnaire,
et signifie frapper, faire face. L’idée nous paraissait très bonne au début
(rires).
- Qu'est-ce qui vos distingue des autres sites indépendants
et alternatifs?
Tout le monde social (au Venezuela) utilise Aporrea,
puisqu’il s’exprime directement par (la voie) des travailleurs et des peuples.
C'est-à-dire, d'en bas et non à partir de l'appareil d'Etat. Et notre équipe n'éditorialise pas
l'information, nous sommes simplement le reflet de la réalité du peuple. Si
Aporrea devient acide non seulement avec la droite et l’impérialisme, mais avec
certaines positions du gouvernement, c'est parce que le peuple de la révolution
bolivarienne est acteur et sujet du processus, de ce qui se passe.
Par après le 13 avril 2012, une personne, abordant la
question de la défense de la révolution, a fait pour recommandation de visiter
le programme « Aló Présidente ». Cela signifiait un nouveau bond de lectures et
de là, nous n'avons pas cessé. C’est ainsi, qu’entre Novembre 2002 et Janvier
2003, lorsque la réaction tenta le sabotage pétrolier (de PDVSA, la compagnie
des pétroles vénézuéliens), nous avons joué un rôle important dans
l'intelligence sociale et comme moyen d’emplacement d’une information difficile
à présenter dans les médias publics.
- Par exemple ?
Nous avons réussi à obtenir des enregistrements
téléphoniques des opposants, où ils parlèrent ouvertement des actions
golpistes, sur les crimes qu’ils accomplirent.
- De quoi vie Aporrea ?
Au début, nous n'avions pas grand-chose et nous avons
utilisé nos propres ressources personnelles. Avec le temps et le développement
du site augmentaient les dépenses, et nous avons commencé à avoir des camarades
rétribués au sein d’un compromis militant et politique. Ils ne devinrent pas
des employés, il s'agit de militants politiques qui reçoivent une contribution
pour leur travail. Maintenant, sur le financement, notre aspiration première
est que les mouvements populaires locaux et les utilisateurs du site collectif
se soucient du soutien et que nous puissions leurs rendre compte. En pratique,
cela ne suffit pas. Néanmoins, la nature de la révolution bolivarienne, nous
avons la possibilité d'utiliser de la publicité d'État, ce qui pose un risque
de vulnérabilité. Parce que si nous sommes en confrontation avec une
institution d'État, un ministère ou autre personne dirigeant une entreprise
d'État, ils pourraient nous retirer la publicité. En effet, c’est arrivé
quelquefois, mais les portes ne se sont jamis fermées et se sont ouvert
d'autres routes sans condition. S'ils
ne nous aident pas d’un côté, ils nous aident de l'autre, parce que de
même la révolution bolivarienne est faîtes de cette diversité et nous propose
des alternatives.
- Quelle situation juridique avez-vous ?
Officiellement, nous sommes une société civile à but non
lucratif. Beaucoup me présentent en
tant que directeur, mais dans notre travail transversal, j'ai un rôle de
guide, d’articulateur, de médiateur. Nous avons une vingtaine de personnes
disposant d’un accès direct à l'éditeur du site, mais les contributeurs et les
correspondants sont innombrables, mais pas de manière formelle ou par aucun
type de conventions. Dans Aporrea se discute et se manifeste la diversité.
- Quelles difficultés avez-vous remarqué dans les médias
depuis la majorité populaire?
Il nous en coûte beaucoup de changer la culture la
communication des organisations et des mouvements. Nous sommes plus habitués à
des déclarations, des conférences de presse, mais pas à devenir une agence de
presse de leurs propres luttes et acteurs de la communication directe. Parce
que les médias privés, quand ils les publient à la demande, ils le font en
fonction de leurs intérêts, en distordant, en les utilisant à des fins
particulières. Et indépendamment que de jamais au Venezuela, le peuple n'a
jamais eu autant accès aux médias d'Etat, des entraves bureaucratiques et
politiques empêchent la délivrance de certaines informations. Le citoyen de
manière lente doit comprendre qu’il doit avoir des médias propres et puissants,
ce qu’il doit précisément les construire, créer des équipes de travail,
produire du contenu. Aujourd'hui, les technologies sont beaucoup plus faciles
qu'hier.
- Est-ce que l'influence et le nombre de visites d’Aporrea,
serait possible dans une autre période historique, sans l'existence de la
révolution bolivarienne ?
Non, je ne crois pas. Et pas seulement pour la révolution
bolivarienne. Pendant le même processus, il y a eu une deuxième révolution, qui
a été la défaite du coup d'Etat du 11 au 13 Avril et le redémarrage du
mouvement révolutionnaire. Il en a été de même avec l’écrasement populaire du
sabotage pétrolier. Ces sites des capitalistes et des secteurs bourgeois, des
professionnels de la communication, ont un nombre élevé de visites et avec
lesquels nous sommes en concurrence. Ils sont sur le terrain de la célébrité et
de la pornographie par exemple, que nous n’abordons pas. Nous publions, bien
sûr, sur des thèmes sexuels comme un enjeu humain et social. Mais ce ne sera
jamais avec des leurres ou du suif pour attirer plus de lecteurs. Ce n'est pas
notre objectif.
- Quels sont les projets d’Aporrea ?
"Nous voulons commencer à rendre compte de la meilleure
façon de la lutte des peuples d'Amérique latine et des Caraïbes. C’est-à-dire,
comment nous projetons du point de vue de la communication, les tâches de la
révolution et du socialisme sous une forme étendue. Le programme de l
'actuel président Chavez soulève
un point, l’impulsion des
mouvements de communication sociaux et les expressions de tout genre, travail,
femmes, peuples autochtones, environnementalistes, organismes du pouvoir
populaire, partis et courants politiques, jusqu’à la création d'un spectacle
multimédia publique de ce même peuple. Pour cela nous avons besoin d'améliorer
qualitativement nos efforts. Mais nous exigeons également que les médias
publics et privés passent sous le contrôle des mouvements sociaux, en fonction
de leurs approches, besoins et réalités. Ni la bureaucratie étatique, ni une
minorité bourgeoise, ne peuvent faire obstacle aux forces et aux conquêtes du
peuple organisé du Venezuela.
Source : Kaosenlared (en castillan)