mercredi 10 octobre 2012

Cuba, les préjugés raciaux et descriminations ressurgissent

Pas facile d’être noir
 ou 
métis à Cuba
  

Par A.S.I

À Cuba, les difficultés économiques ravivent les vieux démons du racisme. Les Noirs et les métis, majoritaires dans l’île, constatent amèrement que les inégalités sociales recoupent les clivages raciaux. Dans une ruelle située près du Malecón, la fameuse avenue qui longe le front de mer à La Havane, un policier interpelle un jeune Afro-Cubain et exige de voir ses papiers d’identité. Sa faute ?

Il se balade avec deux Européennes de passage dans l’île. « Ce n’est qu’après un long interrogatoire où nous avons dû lui prouver que nous étions simplement en train de nous promener entre amis qu’il l’a laissé en paix », raconte une des jeunes touristes.

Cette scène, devenue quotidienne dans la capitale, n’étonne plus les Cubains depuis belle lurette. Tous savent que les Noirs – hommes ou femmes – sont systématiquement suspects aux yeux des policiers, surtout s’ils accompagnent des étrangers. « Lorsqu’une Cubaine parle avec un étranger dans les lieux touristiques, la police la soupçonne tout de suite de prostitution, à plus forte raison s’il s’agit d’une Noire », explique Katerin Hasing, une Sud-Africaine spécialiste des questions raciales, qui croyait, avant d’y vivre, que « le racisme n’existait plus à Cuba ».

 Le pays s’est en effet longtemps targué d’être plus égalitaire que l’ensemble des sociétés latino-américaines. Les pauvres – dont beaucoup des quelque sept millions de Noirs et de métis qui constituent près des deux tiers de la population – avaient accès à l’éducation et aux services de santé, dont profitaient avant la révolution surtout les classes moyennes, composées majoritairement de Blancs d’ascendance européenne. Mais la fin abrupte de l’aide soviétique a cassé net le rêve égalitariste. Aujourd’hui, force est de constater que les inégalités sociales recoupent en bonne partie les clivages "raciaux".


Les dollars pour les Blancs

Une simple balade dans les lieux touristiques, l’un des rares secteurs de l’économie où les Cubains peuvent espérer gagner un salaire décent depuis que l’État les autorise à posséder des dollars, suffit pour s’en convaincre. Dans les stations balnéaires fréquentées par les étrangers, le personnel est composé presque exclusivement de Blancs. Or qui dit proximité avec des touristes dit nécessairement dollars. 


Les Cubains de Miami, surtout ceux d’ascendance européenne, envoient régulièrement des dollars aux membres de leur famille restés sur l’île. « Le reste des Cubains, dont la plupart sont des Noirs ou des métis à la peau très foncée, doit trouver d’autres moyens de subsistance, explique Katerin Hasing. Parfois, leur seule option est le marché noir ou la prostitution. » Certains ne s’en privent pas : 80 % des détenus qui croupissent dans les geôles de l’État sont des Noirs qui ont vendu de la marijuana, des cigares ou des CD de contrebande…

La Havane témoigne du fossé qui subsiste entre descendants d’Africains et descendants d’Européens. Les quartiers pauvres, comme Habana Vieja (Vieille Ville) et Centro Habana, sont ainsi peuplés quasi exclusivement de personnes à la peau très foncée. 
Décrépits et sans eau courante, leurs immeubles risquent à tout moment de s’écrouler ; dans certains secteurs, des baraques grouillant d’enfants aux cheveux crépus donnent même à la capitale des airs de bidonville. Sur tout le territoire national, 90 % des Afro-Cubains habitent des immeubles délabrés ou des cahutes improvisées, qu’ignorent les occupants des somptueuses villas de Cubanacan, où vivent la plupart des étrangers, ou de Reparto Playa, principalement habité par les membres du Parti.

Clichés racistes

Touchés de plein fouet par la crise économique, les Noirs sont la cible de remarques acerbes : « En ce moment, les Cubains sont très frustrés, constate Katerin Hasing. On commence à entendre des remarques très racistes que les gens gardaient auparavant pour eux. 


C’est troublant.» Les ombres du passé esclavagiste resurgissent, souvent de manière subtile. Les héros de la révolution, dont les visages romantiques ornent les énormes panneaux de propagande, sont tous des descendants d’Espagnols bon teint. Même la télé ignore les descendants d’Africains : dans les feuilletons télévisés, les acteurs sont presque tous blancs ou métis à la peau très claire.

La langue populaire véhicule les préjugés ambiants. Pelo malo, littéralement «mauvais cheveux», qualifie les cheveux crépus alors que pelo bueno, «bons cheveux», décrit ceux du Blanc. La journaliste Maria Eliana sait ce que cachent ces expressions. 
À l’université, elle a consacré de longues heures, comme ses rares camarades noires, à lisser ses cheveux crépus. Jusqu’à ce qu’elle se lasse et décide de les laisser au naturel. « J’ai vu tout de suite la réaction des gens, dit-elle. Ils me trouvaient laide. À l’école Lénine – la plus prestigieuse de Cuba, où la plupart des élèves sont blancs -, les professeurs nous disaient qu’il était bien d’épouser un Blanc afin d’embellir les traits de la famille. 

Je n’avais que 12 ans et j’étais convaincue que les Blancs étaient plus intelligents que les Noirs. Plus tard, j’ai compris qu’ils avaient de meilleurs résultats parce qu’ils venaient de familles plus instruites. » 

En mettant l’accent sur le problème social, la révolution a laissé l’épineux problème racial sous le tapis. «Le communisme a gardé le silence sur la question, constate l’anthropologue métis Rafael Robaina. On a cru qu’en disant qu’on était tous égaux et en offrant les mêmes chances à tous, le racisme n’existerait plus. La société cubaine demeure raciste. On ne peut effacer l’histoire du jour au lendemain.»


Sources : A.S.I. et Polémica Cubana