Des dizaines de communautés victimes ou menacées
de déplacement forcé dans le Petén au Guatemala
de déplacement forcé dans le Petén au Guatemala
Par Sophie Beaudoin
Stagiaire du Barreau du Québec, Sophie Beaudoin a passé six mois
au Guatemala à titre de coopérante volontaire au sein du Bufete Jurídico de
Derechos Humanos au Guatemala. Lors de son séjour, elle a notamment collaboré
au premier cas de droits économiques, sociaux et culturels pris en charge par
le Bufete: le cas des Communautés du Petén.
Dans le département de Petén, au nord-est du Guatemala, se
trouvent les réserves naturelles de la Sierra del Lacandón et de la Laguna del
Tigre. Bien que déclarées zones protégées par la Loi nationale régissant les
zones protégées (1), ces réserves sont habitées par environ 80 communautés
formées d’agriculteurs qui vivent des produits de la terre fertile de cette
région.
Certaines de ces communautés s’y sont installées il y a plus
de vingt-cinq ans, à la recherche d’une terre cultivable qu’elles pourraient
travailler, fuyant les persécutions et affrontements liés au conflit armé
interne dont elles étaient victimes dans leur endroit d’origine. Certaines ont
même été encouragées à s’installer dans la région par l’armée, afin qu’elles
défrichent les terres et qu’ainsi, les guérilleros ne puissent bénéficier
d’endroits où se cacher.
Au cours des années, les communautés se sont développées.
Grâce à la mise en commun de leurs efforts, elles ont pu bénéficier des
services de base, tels que des écoles, des centres de santé et un accès à une
eau plus ou moins potable. Elles n’ont cependant jamais reçu d’aide ou de
soutien de la part de l’État et ne doivent donc ces infrastructures qu’à
elles-mêmes.
Bien que la loi déclarant zones protégées la Sierra del
Lacandón et la Laguna del Tigre soit entrée en vigueur en 1990, les communautés
ont continué à habiter la région, sans toutefois obtenir de titre légal
relativement à la propriété des terres. Non seulement leur présence a toujours
été tolérée, mais d’autres communautés sont aussi venues s’installer dans la
région dans les années 90 et même au début des années 2000. Cependant, ce n’est
que depuis les dernières années que les communautés ont commencé à recevoir des
menaces de délocalisation de la part du Conseil National des Zones Protégées
(CONAP), de la Police Nationale et de l’armée, sous prétexte qu’ils occupent un
territoire appartenant à l’État. L’armée a d’ailleurs installé un poste de
contrôle à l’entrée de la zone, où sont confisqués pompes à eau, clous,
planches, ciment, machettes, meubles, gazoline, pesticides, etc. En somme, il
leur est interdit de faire entrer tout outil ou instrument leur permettant de
travailler la terre ou de construire quelconque infrastructure. La confiscation
de ces objets entraîne aussi, pour les paysans, une perte financière non
négligeable.
Six de ces communautés ont, par ailleurs, déjà été
délocalisées. Parmi elles, se trouve la Communauté de Centro Uno, qui était
située au cœur de la Sierra del Lacandón. Ses habitants furent délogés le 16
juin 2009 dans des conditions violant délibérément leurs droits les plus
fondamentaux. À neuf heures de la matinée, environ 460 policiers et 700 membres
de l’armée ont fait leur entrée dans la communauté. Une heure plus tard, deux
hélicoptères sont arrivés sur les lieux. Dans l’un d’eux, se trouvait le juge
de paix de la communauté voisine qui avait en sa possession l’ordre de
délocalisation. Conformément à cet ordre, les habitants ont eu trente minutes
pour quitter les lieux. Quiconque résisterait serait passible d’une peine
d’emprisonnement de dix ans et d’une amende d’un montant de 5,000.00 quetzales,
soit l’équivalent d’environ 632,00 $ CDN. Aucun représentant n’était présent
afin de dialoguer avec la communauté.
Certains habitants furent bousculés afin d’être évacués,
surtout des femmes et des enfants, se faisant dire qu’ils devaient quitter
rapidement. Il ne leur a pas été permis de prendre avec eux leurs effets
personnels, qu’ils ont dû laisser derrière. La plupart de ces effets furent mis
dans des camions, amenés par la suite par l’armée et la police. De plus, les
récoltes ainsi que les animaux furent abandonnés. Les policiers et officiers de
l’armée eurent même l’audace de manger quelques-uns de leurs animaux devant leurs
yeux. Lorsque tous les habitants eurent laissés les lieux, les maisons et les
vêtements et biens qu’elles contenaient furent incendiées. Certains des paysans
diront plus tard que la peur qu’ils ont ressentie lors de cet événement fut si
grande qu’ils se seraient crus de nouveau dans les années répressives du
conflit armé interne.
Maintenant, les membres de cette communauté vivent dans des
villages séparés, sous des toits improvisés, fabriqués à partir de simples
toiles de nylon, avec la température extérieure atteignant les quarante degrés.
En raison des conditions insalubres dans lesquelles ils vivent, les enfants
souffrent de maladies intestinales. Ils ne vont plus à l’école, utilisent l’eau
des ruisseaux et de la pluie, bref, ils ne comptent plus sur l’accès à aucun
service de base. Finalement, la communauté n’a jamais pu compter sur aucun
appui de la part du gouvernement guatémaltèque, que ce soit durant ou après la
délocalisation.
Les avocats du Bufete Juridico de Derechos Humanos en
Guatemala appuient l’ensemble de ces communautés affectées, qu’elles aient été
délocalisées ou soient menacées de l’être, dans leurs démarches afin que soient
respectés leurs droits les plus fondamentaux. Ils utilisent l’angle du droit au
logement pour y parvenir, une bataille qui est loin d’être gagnée.
En effet, le droit au logement fait partie de ces droits
dits de deuxième génération, soit les droits économiques, sociaux et culturels.
Il se retrouve dans plusieurs instruments internationaux mais est rarement reflété
dans les législations nationales, surtout celles des pays en voie de
développement. En effet, cette catégorie de droits demande bien souvent un
investissement financier de la part de l’État et ces pays ne bénéficient pas
des fonds nécessaires à leur pleine réalisation.
Toutefois, la communauté internationale s’entend pour
affirmer que les droits économiques, sociaux et culturels obligent les États à
en respecter minimalement les aspects essentiels. Conformément, les autorités
étatiques ne peuvent agir dans un sens qui serait manifestement de nature à
faire régresser la jouissance de ces droits. Par exemple, le droit au logement
comprend l’interdiction pour l’État d’effectuer toute délocalisation forcée
sans offrir d’alternative viable, que les occupants soient propriétaires ou non
du lieu visé. De plus, le droit au logement ne peut être interprété de façon
limitée et restreinte et doit être compris comme signifiant plus que le simple
fait d’avoir un toit sur la tête et d’être entouré de quatre murs. Le logement
doit être adéquat de façon à ce que tout individu puisse y vivre en sécurité,
en paix et dans la dignité. Les menaces de délocalisation sont donc aussi
prohibées.
De plus, plusieurs tribunaux à travers le monde ont
considéré que le droit au logement faisait partie du droit à la vie. En effet,
le droit à la vie comprend celui de vivre dans la dignité. Si le droit au
logement pouvait être bafoué selon la volonté de certains États, cela viderait
de tout son sens des droits aussi fondamentaux que l’est celui à la vie, car
celui-ci ne peut être considéré accompli si les conditions de vie d’un individu
sont exécrables.
Mentionnons aussi que, bien que le droit à un logement
adéquat ne soit pas expressément reconnu par la constitution guatémaltèque, il se
retrouve dans plusieurs instruments internationaux ratifiés par la République,
dont le Pacte International relatif aux droits économiques, sociaux et
culturels. Ainsi, en vertu de l’article 46 de la Constitution nationale, qui
prévoit la prééminence du droit international sur le droit national en matière
de droits humains, le Guatemala ne peut nier avoir certaines obligations lui
incombant en vertu de ses engagements envers la communauté internationale.
Reste encore à voir quelle stratégie choisira d’adopter les
communautés, avec l’appui du Bufete, et vers quelles instances elles se
tourneront, que ce soit au niveau national ou régional. Quoiqu’il en soit, il
est clair que cette situation et leur lutte soulèvent des questions nouvelles
pour le pays qui pourraient avoir un impact important sur plusieurs autres
problématiques existantes, particulièrement liées aux activités économiques.
Espérons que les débats entourant la thématique du droit au logement ouvriront
la voix à des avancées importantes semblables à ceux que connaissent ce pays en
pleine effervescence relativement à la lutte contre l’impunité pour de graves
violations des droits humains.
Note :
(1) Ley de
Areas Protegidas, Decreto Numero 4-89, Congreso de la Republica, articles 90
(23) et (24).
Source : Avocats Sans Frontières Canada