mercredi 31 octobre 2012

Guatemala, 80 communautés paysannes du Petén en danger

Des dizaines de communautés victimes ou menacées
de déplacement forcé dans le Petén au Guatemala

Par Sophie Beaudoin

Stagiaire du Barreau du Québec, Sophie Beaudoin a passé six mois au Guatemala à titre de coopérante volontaire au sein du Bufete Jurídico de Derechos Humanos au Guatemala. Lors de son séjour, elle a notamment collaboré au premier cas de droits économiques, sociaux et culturels pris en charge par le Bufete: le cas des Communautés du Petén.

Dans le département de Petén, au nord-est du Guatemala, se trouvent les réserves naturelles de la Sierra del Lacandón et de la Laguna del Tigre. Bien que déclarées zones protégées par la Loi nationale régissant les zones protégées (1), ces réserves sont habitées par environ 80 communautés formées d’agriculteurs qui vivent des produits de la terre fertile de cette région.

Certaines de ces communautés s’y sont installées il y a plus de vingt-cinq ans, à la recherche d’une terre cultivable qu’elles pourraient travailler, fuyant les persécutions et affrontements liés au conflit armé interne dont elles étaient victimes dans leur endroit d’origine. Certaines ont même été encouragées à s’installer dans la région par l’armée, afin qu’elles défrichent les terres et qu’ainsi, les guérilleros ne puissent bénéficier d’endroits où se cacher.

Au cours des années, les communautés se sont développées. Grâce à la mise en commun de leurs efforts, elles ont pu bénéficier des services de base, tels que des écoles, des centres de santé et un accès à une eau plus ou moins potable. Elles n’ont cependant jamais reçu d’aide ou de soutien de la part de l’État et ne doivent donc ces infrastructures qu’à elles-mêmes.

Bien que la loi déclarant zones protégées la Sierra del Lacandón et la Laguna del Tigre soit entrée en vigueur en 1990, les communautés ont continué à habiter la région, sans toutefois obtenir de titre légal relativement à la propriété des terres. Non seulement leur présence a toujours été tolérée, mais d’autres communautés sont aussi venues s’installer dans la région dans les années 90 et même au début des années 2000. Cependant, ce n’est que depuis les dernières années que les communautés ont commencé à recevoir des menaces de délocalisation de la part du Conseil National des Zones Protégées (CONAP), de la Police Nationale et de l’armée, sous prétexte qu’ils occupent un territoire appartenant à l’État. L’armée a d’ailleurs installé un poste de contrôle à l’entrée de la zone, où sont confisqués pompes à eau, clous, planches, ciment, machettes, meubles, gazoline, pesticides, etc. En somme, il leur est interdit de faire entrer tout outil ou instrument leur permettant de travailler la terre ou de construire quelconque infrastructure. La confiscation de ces objets entraîne aussi, pour les paysans, une perte financière non négligeable.

Six de ces communautés ont, par ailleurs, déjà été délocalisées. Parmi elles, se trouve la Communauté de Centro Uno, qui était située au cœur de la Sierra del Lacandón. Ses habitants furent délogés le 16 juin 2009 dans des conditions violant délibérément leurs droits les plus fondamentaux. À neuf heures de la matinée, environ 460 policiers et 700 membres de l’armée ont fait leur entrée dans la communauté. Une heure plus tard, deux hélicoptères sont arrivés sur les lieux. Dans l’un d’eux, se trouvait le juge de paix de la communauté voisine qui avait en sa possession l’ordre de délocalisation. Conformément à cet ordre, les habitants ont eu trente minutes pour quitter les lieux. Quiconque résisterait serait passible d’une peine d’emprisonnement de dix ans et d’une amende d’un montant de 5,000.00 quetzales, soit l’équivalent d’environ 632,00 $ CDN. Aucun représentant n’était présent afin de dialoguer avec la communauté.

Certains habitants furent bousculés afin d’être évacués, surtout des femmes et des enfants, se faisant dire qu’ils devaient quitter rapidement. Il ne leur a pas été permis de prendre avec eux leurs effets personnels, qu’ils ont dû laisser derrière. La plupart de ces effets furent mis dans des camions, amenés par la suite par l’armée et la police. De plus, les récoltes ainsi que les animaux furent abandonnés. Les policiers et officiers de l’armée eurent même l’audace de manger quelques-uns de leurs animaux devant leurs yeux. Lorsque tous les habitants eurent laissés les lieux, les maisons et les vêtements et biens qu’elles contenaient furent incendiées. Certains des paysans diront plus tard que la peur qu’ils ont ressentie lors de cet événement fut si grande qu’ils se seraient crus de nouveau dans les années répressives du conflit armé interne.

Maintenant, les membres de cette communauté vivent dans des villages séparés, sous des toits improvisés, fabriqués à partir de simples toiles de nylon, avec la température extérieure atteignant les quarante degrés. En raison des conditions insalubres dans lesquelles ils vivent, les enfants souffrent de maladies intestinales. Ils ne vont plus à l’école, utilisent l’eau des ruisseaux et de la pluie, bref, ils ne comptent plus sur l’accès à aucun service de base. Finalement, la communauté n’a jamais pu compter sur aucun appui de la part du gouvernement guatémaltèque, que ce soit durant ou après la délocalisation.

Les avocats du Bufete Juridico de Derechos Humanos en Guatemala appuient l’ensemble de ces communautés affectées, qu’elles aient été délocalisées ou soient menacées de l’être, dans leurs démarches afin que soient respectés leurs droits les plus fondamentaux. Ils utilisent l’angle du droit au logement pour y parvenir, une bataille qui est loin d’être gagnée.

En effet, le droit au logement fait partie de ces droits dits de deuxième génération, soit les droits économiques, sociaux et culturels. Il se retrouve dans plusieurs instruments internationaux mais est rarement reflété dans les législations nationales, surtout celles des pays en voie de développement. En effet, cette catégorie de droits demande bien souvent un investissement financier de la part de l’État et ces pays ne bénéficient pas des fonds nécessaires à leur pleine réalisation.

Toutefois, la communauté internationale s’entend pour affirmer que les droits économiques, sociaux et culturels obligent les États à en respecter minimalement les aspects essentiels. Conformément, les autorités étatiques ne peuvent agir dans un sens qui serait manifestement de nature à faire régresser la jouissance de ces droits. Par exemple, le droit au logement comprend l’interdiction pour l’État d’effectuer toute délocalisation forcée sans offrir d’alternative viable, que les occupants soient propriétaires ou non du lieu visé. De plus, le droit au logement ne peut être interprété de façon limitée et restreinte et doit être compris comme signifiant plus que le simple fait d’avoir un toit sur la tête et d’être entouré de quatre murs. Le logement doit être adéquat de façon à ce que tout individu puisse y vivre en sécurité, en paix et dans la dignité. Les menaces de délocalisation sont donc aussi prohibées.

De plus, plusieurs tribunaux à travers le monde ont considéré que le droit au logement faisait partie du droit à la vie. En effet, le droit à la vie comprend celui de vivre dans la dignité. Si le droit au logement pouvait être bafoué selon la volonté de certains États, cela viderait de tout son sens des droits aussi fondamentaux que l’est celui à la vie, car celui-ci ne peut être considéré accompli si les conditions de vie d’un individu sont exécrables.

Mentionnons aussi que, bien que le droit à un logement adéquat ne soit pas expressément reconnu par la constitution guatémaltèque, il se retrouve dans plusieurs instruments internationaux ratifiés par la République, dont le Pacte International relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Ainsi, en vertu de l’article 46 de la Constitution nationale, qui prévoit la prééminence du droit international sur le droit national en matière de droits humains, le Guatemala ne peut nier avoir certaines obligations lui incombant en vertu de ses engagements envers la communauté internationale.

Reste encore à voir quelle stratégie choisira d’adopter les communautés, avec l’appui du Bufete, et vers quelles instances elles se tourneront, que ce soit au niveau national ou régional. Quoiqu’il en soit, il est clair que cette situation et leur lutte soulèvent des questions nouvelles pour le pays qui pourraient avoir un impact important sur plusieurs autres problématiques existantes, particulièrement liées aux activités économiques. 

Espérons que les débats entourant la thématique du droit au logement ouvriront la voix à des avancées importantes semblables à ceux que connaissent ce pays en pleine effervescence relativement à la lutte contre l’impunité pour de graves violations des droits humains.

Note :

 (1) Ley de Areas Protegidas, Decreto Numero 4-89, Congreso de la Republica, articles 90 (23) et (24).