Les coulisses de la tragédie Kaiowá-Guarani : multinationales, partis politiques, justice…
Par Bob Fernandes, traduction de Stéphan Bry
L’anthropologue et journaliste Spensy Pimentel a arrêté de
travailler comme reporter spécial à Brasilia, à l’Agência Brasil, pour se
consacrer à un doctorat à la USP (Université de São Paulo) sur la vie politique
des Guarani Kaiowá qu’il est en train d’achever. Spensy avait déjà soutenu une thèse sur l’épidémie de
suicides constatée parmi les indigènes depuis les années 1980. Il a réalisé son
étude dans le Mato Grosso do Sul justement à l’époque où les conflits entre les
Indiens et les “fazendeiros” s’amplifiaient, depuis 2009.
En 2011, Spensy Pimentel, avec des partenaires, a lancé la vidéo “Mbaraká – La parole qui agit” sur l’implication des chamans Guarani Kaiowá dans la lutte pour la terre dans le Mato Grosso do Sul.
En 2011, Spensy Pimentel, avec des partenaires, a lancé la vidéo “Mbaraká – La parole qui agit” sur l’implication des chamans Guarani Kaiowá dans la lutte pour la terre dans le Mato Grosso do Sul.
Dans cette conversation, l’anthropologue Spensy Pimentel
énumère quelques uns des acteurs présents dans les coulisses de cette tragédie
: - (…) Le mouvement de récupération des terres, qui organise les grandes
assemblées (Aty Guasu) est une réaction à ce confinement que l’État Brésilien a
imposé aux Guarani Kaiowá.
Spensy Pimentel ajoute que ce confinement a été réalisé pour
viabiliser l’installation de l’industrie agricole dans la région : canne à
sucre, soja, élevage, maïs, produits pour l’exportation en partenariat avec des
multinationales comme Bunge, Cargill, ADM, Monsanto…
Entretien avec Spensy Pimentel :
Il y a des données qui répertorient 308 suicides de Guarani
Kaiowá entre 1986 et 1999. Récemment, le Sesai (Secrétariat Spécial de Santé
Indigène) a divulgué que, de 2000 à 2011, il y a eu 555 cas de suicides.
Comment les indigènes perçoivent ce phénomène ?
Il est difficile de savoir ce que les Guarani Kaiowá pensent
de ces morts.
Tout d’abord, il faut comprendre que pour chaque famille touchée
par une mort de ce genre, il y a une sorte de réserve et de difficulté à parler
sur le sujet. Les informations que j’ai pu obtenir viennent généralement des
conversations que j’ai eues avec des personnes proches de ces familles. Il m’a
été possible d’avoir des données sur les motivations des personnes – en grande
partie des jeunes – et sur la réaction des familles.
En général, je peux
affirmer que, contrairement à ce que certains pensent, ces morts sont une
grande gène pour les familles Guarani Kaiowá.
Pourquoi cela se produit-il ?
Ce n’est pas par hasard si ces morts ont commencé à se produire
en plus grand nombre à partir des années 1980. Les Kaiowá et les Guarani les
plus agés ne se souviennent pas d’avoir connu plus d’un ou deux cas de
pendaison avant cette période.
Ce type de mort existait mais était rare. Dans
les années 80, à la fin du régime militaire, s’intensifie le processus
d’expulsion de ces indigènes des zones qu’ils occupaient, généralement sur les
rives des rivières, dans tout le sud du Mato Grosso do Sul. Des dizaines de
groupes sont littéralement refoulés dans les anciennes réserves démarquées par
le Service de Protection des Indiens (SPI) entre 1915 et 1928 pour permettre
l’exploitation agricole de la région.
C’est ce que certains appellent
“confinement” car ces zones toutes confondues ne dépassent pas les 18 mille
hectares. Ce processus ne s’est pas produit sans réaction de la part des
indigènes. Si on consulte les archives, on constate qu’il y avait des groupes
qui résistaient à ces déplacements déjà en 1978 et 1979.
Le confinement a donc une relation directe avec cette tragédie
des suicides ?
Cette action – il est bon de se souvenir qu’elle eut lieu en
pleine dictature – a provoqué un mélange de familles venues d’endroits
différents, sans liens historiques entre elles, et la dispute pour les
ressources dans des zones extrèmement limitées.
Ces personnes ont été soumises
à des groupes recrutés par la Funai (Fondation Nationale de l’Indien), comme
auparavant par le SPI, autour d’un “capitaine”, qui était un indigène habilité
par l’État pour, en certains endroits, être une sorte de mini-dictateur.
Ces
“capitaines” recevaient le soutien de la dictature pour réprimer les indigènes
qui essayaient de retourner sur leurs terres d’origine, comme ils continuent à
le faire jusqu’à aujourd’hui, comme c’est le cas de Pyelito.
Ce fut dans cette
ambiance autoritaire, oppressive et misérable que les suicides se
multiplièrent. Ce n’est que très récemment que la Funai a abandonné ce système
de “capitaines”.
Les gens ont une grande envie de retourner sur leur terres
d’origine qu’ils appellent “tekoha”, littéralement “le lieu où il est possible
de vivre à notre manière”. Ils souhaitent quitter les réserves car ils sont
conscients d’y vivre mal.
La vie dans ces réserves est aujourd’hui si précaire
que les jeunes font du rap et s’identifient avec les problèmes que des groupes
comme Racionais MC’s exposent dans leur musique qui parlent des favelas de São
Paulo, de la violence et du racisme. En somme, le Brésil impose aux Kaiowá et
aux Guarani un “projet” de société qu’ils n’acceptent pas.
Les campements comme celui de Pyelito, qui a rédigé la
fameuse lettre-testament* il y a deux semaines, sont donc constitués par des
gens qui veulent fuir cette réalité ?
Exactement. Il existe aujourd’hui plus de 30 campements
Kaiowá et Guarani confinés sur les bords des routes ou à l’intérieur des
“fazendas”, dans des zones qu’ils ont occupées. À cela s’ajoute plus de 20
zones qui ont été récupérées et régularisées après la forte pression des
indigènes qui ont souffert plusieurs morts de leaders communautaires. Mais
toutes ces zones sont très petites, certaines ont à peine 500 hectares.
Le
Panambizinho a 1200 hectares et c’est la seule zone qui a été homologuée par le
gouvernement Lula et qui n’a pas été annulée par le Suprème Tribunal Fédéral
(STF). Alors toutes ces zones ne sont pas suffisantes pour résoudre le
problème, elle ne sont qu’une manière de repousser le problème à plus tard.
Sans compter que beaucoup de ces zones, même ayant été démarquées, ne peuvent
pas être occupées en raison d’interminables disputes en justice.
Quelles sont les perspectives de résolution de ce conflit et
de mettre un point final à cette tragédie ?
La mobilisation actuelle qui est apparu sur internet est
très importante, surtout du fait que la principale arme de ceux qui veulent
empècher les démarcations est l’ignorance des personnes sur ce qui se passe au
Mato Grosso do Sul. Qui sait, peut être que maintenant le gouvernement fédéral
et le STF prendront les mesures nécessaires (il y a des cas qui attendent un
jugement depuis des années).
Ce n’est pas seulement la Funai qui a des
responsabiltés dans cette histoire. Certains procès sont déjà au Ministère de
la Justice ou au Palacio do Planalto (siège du gouvernement) en attente de
décision. D’autres sont au STF ou au Tribunal Régional Fédéral de la 3º Région
(TRF 3) à São Paulo.
Le mouvement de récupération des terres, qui organise les
grandes assemblées (Aty Guasu) est une réaction à ce confinement que l’État
Brésilien a imposé aux Kaiowá Guarani. Ce confinement a été réalisé pour
viabiliser l’installation de l’industrie agricole dans la région : canne à
sucre, soja, élevage, maïs, produits pour l’exportation en partenariat avec des
multinationales comme Bunge, cargill, ADM, Monsanto…
Des poids lourds…
Oui, et pas seulement ceux là. La dispute est inégale car
les indigènes luttent en justice depuis des années contre des “fazendeiros” qui
emploient des avocats grâce à l’argent qu’ils retirent de ces terres. Ce n’est
pas juste, les entreprises qui achètent cette production doivent être
responsabilisées, c’est ce qui commence à se produire. Quelques entreprises ont
récemment annoncé qu’elles n’achèteraient plus la canne à sucre produite sur
des terres disputées, mais ce n’est encore que très limité.
Il n’y a aucun
indice de prise de telles mesures de la part de la Petrobras par exemple. Et la
BNDES (Banque Nationale de Développement Économique et Social), bien que
pressionnée depuis plusieurs années par les mouvements sociaux et le Ministère
Public Fédéral (MPF), n’a pas encore freiné les financements qui affectent ces
terres. Il y a de gros intérêts politiques en jeu, l’état du Mato Grosso do Sul
est gouverné depuis 2007 par le PMDB, “associé” du gouvernement fédéral .
Où en est cet aspect de la question aujourd’hui ?
Beaucoup des parties prenantes dans ce débat, ne nient plus
aujourd’hui la possibilité de payer des indemnités aux “fazendeiros” qui ont
réellement acquis ces terres de bonne foi. Nous savons que nombreux sont ceux
qui ont été poussés par le gouvernement fédéral ou de l’état à s’installer dans
la région.
Mais c’est un fait qu’ils ont aussi été nombreux à ne pas agir “de
bonne foi” lorsqu’ils ont contracté des hommes de main armés pour attaquer les
Indiens ou lorsqu’ils ont tenté de faire obstruction au travail de la Funai en
justice, dans la scène politique à Brasilia, ou lorsqu’ils ont menacé des
anthropologues comme cela s’est produit récemment.
De vraie bonne foi,
actuellement, il faut essayer d’aider à résoudre cette crise humanitaire dont souffrent
les Kaiowá et Guarani, et ne pas s’en laver les mains comme le font certains.
Les Kaiowá ont été connus ces dernières années comme des
“Indiens suicides”, certains disent que cela “fait partie de leur culture”.
Qu’en pensez-vous ?
Cette idée de “culture” a été systématiquement utilisée
contre eux. On dit qu’ils se tuent pour rejoindre la Terre sans Maux. Mais
c’est un équivoque, parfois même une perversité car cela laisse à penser que
les blancs de l’état du Mato Grosso do Sul – et du reste du Brésil, qui
achètent ce qui est produit dans cette région – ne sont pas responsables de ce
qui se passe avec les indigènes.
Si, ils sont responsables. Le destin post
mortem de celui qui se pend n’est pas bon, les personnes ne sont pas poussées
socialement à mettre fin à leurs jours. Ils sont poussés à lutter pour leurs
terres, à être des guerriers.
Il existe un fort sentiment de révolte de la part des
jeunes, en raison de la situation dans laquelle ils vivent, et cela se
transforme en une violence contre eux-mêmes et leurs familles.
Mais qui a
provoqué la situation à l’origine de cette révolte ?
Ce ne sont pas les
indigènes mais les blancs par le confinement. Ces campements, je le répète,
sont une réaction au confinement. Là, ainsi que le dit la lettre de Pyelito,
ils vivent collectivement et meurent collectivement, ils recherchent un mode de
vie en rupture avec ce qui leur est offert dans les réserves, l’individualismes
des villes, le travail dégradant dans les usines de canne à sucre…
D’où les “suicides”…
Il y a des suicides dans les campements ? Oui, quelques uns,
car la situation devient parfois desespérée. Mais les Guarani Kaiowá persistent
car le seul moyen qu’ils ont de fuir la misère et la faim est de lutter pour la
terre.
Sources : article et photos
et de Terramagazine