Par Juan Arellano, traduction de Florence Veillon
Dernière partie d’une
série de trois billets concernant la problématique de l’eau dans la ville d’Iquito
au Pérou. Ce troisième et dernier billet concerne la monoculture
dans le bassin de la rivière Nanay et la polémique engagée entre ceux qui
soutiennent ce genre de culture et ceux qui conseillent de l’éviter. Ce combat pour l’eau d’Iquitos n’est pas sans risque.
Le chercheur de l’IIAP (Institut de recherche de l’Amazonie péruvienne pour les
sigles en espagnol) José Álvarez, a publié un article intitulé :
Monoculture autour du Nanay ? Non, merci, dans lequel il signale les raisons qui poussent l’IIAP à déconseiller la culture du palmier à huile dans le bassin du Nanay, notamment dans le bassin de la Quebrada Curaca, affluent du Nanay, contigu à la zone tampon de la Réserve nationale Allpahuayo-Mishana.
Monoculture autour du Nanay ? Non, merci, dans lequel il signale les raisons qui poussent l’IIAP à déconseiller la culture du palmier à huile dans le bassin du Nanay, notamment dans le bassin de la Quebrada Curaca, affluent du Nanay, contigu à la zone tampon de la Réserve nationale Allpahuayo-Mishana.
Certaines de ces raisons sont :
-
Le bassin du Nanay approvisionne en eau potable la population d’Iquitos et les
populations voisines. Une quelconque modification de la couverture végétale
peut mettre en danger la production de cet élément vital, que ce soit en
quantité ou en qualité. Les plantations industrielles de palmiers à huile
impliquent non seulement l’abattage de grandes surfaces de forêt vierge, mais
requièrent aussi l’utilisation de produits agrochimiques avec le risque
important de contamination de l’eau qu’ils représentent.
-
Les zones où il est prévu de mettre en place des plantations de palmiers à
huile sont totalement recouvertes de forêt primaire très peu modifiée, n’ayant
subi que quelques prélèvements sélectifs d’essences forestières et spécimens de
faune sauvage. Protéger la forêt vierge amazonienne fait partie des
responsabilités politiques de l’État péruvien et c’est aussi un engagement
formel envers la communauté internationale, dans le cadre des mesures prises
pour réduire les émissions de carbone et contribuer à limiter les impacts du
changement climatique.
Ci-dessous en photo : la Réserve Allpahuayo Mishana, bassin du Nanay, Loreto, Pérou
Mais cela n’a pas plu à tout le monde et un groupe de
personnes, soi-disant des paysans de la région, se sont réunis pour manifester
en faveur de la culture du palmier à huile et à l’encontre du chercheur José Álvarez,
en arborant des pancartes sur lesquelles on pouvait lire « trafiquant de
ressources naturelles » et en réclamant son expulsion du territoire
national.
Dans une déclaration de soutien
au chercheur, un groupe de citoyens d’Iquitos explique qu’après avoir discuté
avec les manifestants, ces derniers ont déclaré avoir été informés qu’Álvarez « était
responsable du fait que la culture du palmier à huile ne soit pas développée et
que les crédits budgétaires du gouvernement à cet effet ne soient pas adoptés »,
ce qui fait croire que l’origine de ces attaques se trouve dans des milieux
proches des autorités régionales.
Mais toutes les opinions ne vont pas à l’encontre de
la culture du palmier à huile dans le bassin du Nanay. Certains sont pour,
comme l’économiste Víctor Villavicencio la Torre, ancien responsable du développement
économique du gouvernement régional de Loreto qui écrit :
Il
est impératif d’adopter ou de définir une orientation politique régionale au
sujet de la promotion et du développement d’une culture qui, ayant démontré être
hautement rentable, pourrait constituer l’alternative permettant de sortir des
centaines ou des milliers de paysans de la pauvreté, la prostration et la misère
grâce à une alliance entre l’État et l’investissement productif.
Cette
alliance doit écarter du jeu politique ces organismes non gouvernementaux qui
reçoivent et gèrent de l’argent issu de pays qui, n’hésitons pas à le dire,
sont les premiers à porter atteinte à l’environnement et à la biodiversité de
nombreuses nations dans le monde.
Puis il explique quel doit être le rôle de l’État,
selon lui :
L’État
doit se fixer comme objectif immédiat la révision des lois régulant l’activité
agraire et forestière, pour pouvoir ainsi arracher les banderoles progressistes
arborées par cette « gauche caviar » de l’environnement et cesser d’être
le spectateur passif des actions agressives qu’ils mettent en œuvre.
…trouvons
un point de convergence évitant que les paysans, lassés de tant de promesses de
changement, finissent par m ettre le feu aux prairies et fassent ressurgir de la
mémoire collective les terribles événements de Cajamarca, Espinar, Madre de
Dios et Bagua. C’est ça que nous voulons ? Oublions les revendications
stupides et les cris stridents et battons des mains pour le palmier à huile car
ce sera comme battre des mains pour la région de Loreto.
En guise de réponse, le susnommé chercheur et
biologiste José Álvarez a publié un autre article intitulé Le
sous-développement chronique dans
lequel il expose les arguments suivants :
On
raconte que les conservateurs ont dépensé des dizaines de millions dans des
projets financés par de sinistres étrangers qui cherchent à freiner le développement
de notre région.
Cependant j’ai pu observer, depuis 30 ans que j'habite dans cette région, que les promoteurs du modèle raté de développement agricole et d’industrie extractive, que nous allons appeler « les partisans du sous-développement », ont dépensé non pas des dizaines mais des milliards de sols : […] projets agricoles ratés, salaires de fonctionnaires et consultants, infrastructure agricole improductive (usines de farine de yucca, moulins à riz, usines laitières, usines de conditionnement de cœurs de palmiers, etc.) […] La question est la suivante : quelqu’un a-t-il empêché le développement sans limites de l’agriculture et de l’élevage dans la forêt amazonienne pendant toutes ces années dans la région de Loreto ? Non.
Cependant j’ai pu observer, depuis 30 ans que j'habite dans cette région, que les promoteurs du modèle raté de développement agricole et d’industrie extractive, que nous allons appeler « les partisans du sous-développement », ont dépensé non pas des dizaines mais des milliards de sols : […] projets agricoles ratés, salaires de fonctionnaires et consultants, infrastructure agricole improductive (usines de farine de yucca, moulins à riz, usines laitières, usines de conditionnement de cœurs de palmiers, etc.) […] La question est la suivante : quelqu’un a-t-il empêché le développement sans limites de l’agriculture et de l’élevage dans la forêt amazonienne pendant toutes ces années dans la région de Loreto ? Non.
Et il ajoute:
Mais
leur ineptie n’a pas été gratuite : grâce à ces devis et ces projets, les « partisans
du sous-développement » se sont rempli les poches avec les commissions,
aides, pots-de-vin, enquêtes, cabinets-conseil, consultants, postes bureaucratiques,
études de faisabilité, plans de développement, plans d’investissement,
avant-projets, projets et aides, sans que les populations autochtones et indigènes
aient vu leur qualité de vie s’améliorer mais au contraire plutôt se détériorer.
Mais les entrepreneurs sont toujours très intéressés par les possibilités que représentent les 620 000
hectares de la région de Loreto qui, selon le ministère de l’Agriculture, sont
aptes à la culture et ils se chargent d’en faire la promotion.
Par ailleurs, les universitaires et les chercheurs continuent à apporter des données
et des études concernant le danger que la culture du palmier à huile représente pour
le fragile écosystème amazonien. Ils alertent d'une part sur le fait que les
entreprises présentent les plantations de palmiers à huile comme une activité
de reboisement, et d'autre part sur les primes accordées à cette culture par le
gouvernement.
Même le président Ollanta Humala, lors d’une récente
conférence de presse, a fait référence à une zone amazonienne, l’Alto Huallaga, comme ayant
du « potentiel pour l’agro-industrie, pour le café, le cacao, les palmiers
à huile, les arbres fruitiers ».
Il est donc facile de voir qu’il n’existe pas, parmi
tous les acteurs impliqués, de consensus clair au sujet de la politique
officielle à tenir.
D’un côté, ceux qui encouragent les investissements à
grande échelle et de l’autre, ceux qui défendent l’environnement.
Le problème étant
aggravé par le fait que les possibilités de dialogue ne sont pas nombreuses, à
l’image du manque d’information précise et transparente dont auraient bien
besoin les citoyens.
Lire les 2 autres billets à ce sujet du même auteur :
1 - Pérou, menace pétroliére sur l'eau d'Iquitos en Amazonie : La prospection pétrolière menace les ressources en eau d’Iquitos
2 - Pérou, croisade civique pour la protection de l'eau et d'un bien commun : Une « croisade civique » en défense de la rivière Nanay
Source : Global Voices
Photo de la réserve de
Maholyoak sur Flickr.
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