Et si le président bolivien
avait raison :
comment la poser la question de la fin de la
prohibition ?
Par Ivan de la Pampa
Pendant qu’en France le débat est mis une fois de plus entre
parenthèse, de l’autre côté de l’Atlantique plusieurs chefs d’états
latino-américains ont signifié ces derniers mois, qu’il était temps de revoir
la copie et de s’attaquer aux vraies sources du problème. Le dernier en date, le président Evo Morales n’a pas hésité
à parler d’échec des politiques internationales de lutte contre la drogue (1). Et expliquer au passage, comment il conçoit une
lutte efficace, notamment en réduisant la surface des plantations dans son pays
et en faisant une distinction importante entre le produit illicite et les
produits dérivés, que l’on peut tirer de la plante.
Bon nombre de présidents latino-américains comprennent mieux
que d’autres, l’impasse des luttes actuelles contre les trafics de drogue. Le
dernier en date, le Parlement uruguayen a autorisé l’usage de « drogue
douce ». Il devient urgent d’en saisir les raisons et de comment il serait
temps de changer de cap législatif et de s’attaquer à la question d’un commerce
toujours en expansion et pouvant dans les années à venir être un acteur non
négligeable de l’économie monde (lire le dossier sur la Criminalité Transnationale Organisée).
Il est difficile de croire que telle ou telle politique
nationale puisse infléchir un commerce qui touche des dizaines de millions de
consommateurs dans le monde. Mais il faudrait en finir avec cette guerre que
lança Washington dans les années 1990 et poser enfin la question de la fin de
la prohibition. Mais la levée de l’interdiction ne peut se concevoir, que si
elle retient l’approbation du plus grand nombre possible de pays et c’est loin
d’être le cas.
Dans une approche anthropologique, les drogues et leurs
usages existent depuis toujours dans les cultures humaines et remontent à l’aube
des temps. Pour exemple, l’usage de la feuille de coca est antérieur à la venue
des conquérants espagnols, et l’usage, qu’il est fait de cette plante dans
l’altiplano andin n’a rien à voir avec la pâte qui sert à la cocaïne. A 3 ou
4000 mètres mâcher la feuille de coca a certaines vertus et l’on est loin d’un
usage toxicomane.
La Bolivie a même poussé l’idée d’en faire des produits
dérivés, comme des sachets de thé à la feuille de coca. Si l’usage domestique
qu’il est fait par les populations
andines de la feuille au quotidien s’apparentait à une psycho
dépendance, dans ce cas, il faudrait mettre la moitié de la population en
Bolivie sous les verrous ou à l’hôpital. Avec ce type de préconçu sécuritaire,
ne devrait-on pas aussi interdire l’usage de l’alcool dans le monde ?
Au titre des drogues, l’éventail est large et si on
l’envisage d’un point de vue stricto sanitaire : les dégâts de l’alcool et
du tabac sont bien plus nombreux comme causes de mortalité et de destruction
des individus, que les overdoses ou les dépendances physiques et/ou psychiques dans les pays occidentaux, liés à
un usage toxicomane de drogue illicite.
D’autre part, il faut pouvoir distinguer les consommateurs,
des trafiquants et parler de politiques sanitaires dans le premier cas et dans
le second cas de comment lutter efficacement contre le trafic de drogue à
l’échelle mondiale ? Et au sein des consommateurs distinguer les usages
récréatifs et ce qui demande un encadrement médical approprié.
Une question économique et sociale ?
Sur le plan économique, le trafic drogue est ce qui
représente la plus value incroyable, elle peut être de l’ordre de 1000 %. Il
faut prendre aussi en compte, comment la plus value arrive à atteindre des
sommets quand elle touche le sol de l’Europe ou des Etats-Unis ?
Le petit producteur engrange au final qu’une part infime des
gains, et c’est une fois que les drogues sont en circulation dans le nord de
l’hémisphère que les retombées économiques seront les plus fortes et
intégreront dans l’hypocrisie la plus totale le PIB des pays occidentaux et
pour au moins 80% des sommes accumulées et depuis des décennies. Donc au
demeurant, il est beaucoup plus rentable d’interdire et faire mine de combattre
les organisations puissantes du crime.
Le cultivateur marocain, colombien, péruvien ou bolivien, au
final s’ils gagnent sur un produit qui ne connaît pas de variation de son cours
et permet de vivre plus ou moins correctement, ils sont souvent les premiers
perdants. En Colombie, les épandages chimiques sont aujourd’hui la cause d’une
explosion de cancer dans les populations paysannes, et les mondes urbains sont
en prise avec une violence criminelle ou les réseaux de drogues sont auteurs de
nombreux phénomènes criminels, qui vont de la petite à la grande criminalité,
allant du passeur au sicaire ou tueur à gage.
Le Mexique a vu ces dernières années, son taux d’homicides
en rapport avec le trafic de stupéfiant atteindre des niveaux alarmants, et au
niveau d’un conflit guerrier. Ce qui se passe aujourd’hui au Mexique est assez
proche de ce qu’ont pu connaître d’autres pays andins (Colombie et Pérou), et
il faut tenir compte que le phénomène criminel touche aussi toute l’Amérique
centrale. On pourrait parler d’épidémie si le sujet était uniquement médical.
Il est surtout de nature économique et de comment assécher la pompe à
sous ?
Si l’on en venait à interdire la culture du haschich au
Maroc, cela menacerait pécuniairement près d’un million de personnes, notamment
dans la région du Rif. Ne faisons pas mine de ne pas voir à la fois le problème
et les solutions qui concerne non pas l’éradication des cultures, mais de
comment assurer un revenu stable et décent aux petits agriculteurs du sud et du
nord. Mais nous nous éloignons un peu du sujet, faut-il légaliser ou pas ?
Consommation et réalités sociales
La consommation de drogue et son contrôle ne peut que
s’organiser que dans un objectif social bien clarifié, sur le plan économique
continuer la lutte et demander aux polices de travailler à un combat sans fin
et si l’on peut dire à la petite cuillère, relève de l’absurde. Là ou il
faudrait faciliter leurs tâches en leur donnant les moyens juridiques de faire
tomber les têtes de ponts et de pouvoir saisir les multiples comptes dormant
dans les paradis fiscaux ou pas.
La question n’est pas d’infléchir face aux menaces
criminelles, mais de comment se déjouer de certains aspects économiques
criminels. S’en prendre à la masse sans en en différencier les causes et les
enjeux, comme ont été entreprises les politiques de lutte menées notamment par
les Etats-Unis sont des fiascos et la cause de beaucoup de souffrances. Le
trafic des drogues pèse pour beaucoup dans les économies nationales notamment
pour son coût social, pouvant atteindre plus de 10 % du PIB d’un pays (Venezuela,
Colombie, …).
Les impacts sociaux et médicaux sont considérables sur la
santé physique et mentale des malades. Pour exemple, le danger que représente
la consommation des drogues de substitution produites à partir de substances
chimiques. Pour certaines en vente libre ou en pharmacie et conditionnée en
laboratoire, et/ou fabriquées illégalement et directement dans les pays
concernés, c’est-à-dire à peu près dans le monde entier…
Il importe de ne plus confondre certaines réalités sociales
et ce qui est du ressort du criminel. Par ailleurs, beaucoup de personnalités
latino-américaines notamment politiques de gauche comme de droite ne voient pas
d’autres issue que la fin de la prohibition. Il ne s’agit pas de joyeux babas
cool, mais des présidents qui s’interrogent sur des réalités fondées.
Actuellement en Europe les lois sont très différentes d’un
pays à un autre, il faudrait faire un bilan des différentes politiques de lutte
contre la drogue et chercher à avoir un peu plus de cohérence en ce domaine. Les
politiques répressives qui ne prennent pas en compte les réalités sociales et
économiques sont globalement négatives et la France reste très morale et peu
encline à comprendre, sauf à nier les faits, et ce pays ne fait que renforcer
les commerces souterrains ou illégaux. Tout en prétendant le contraire.
Alors la question reste en suspend : doit-on mettre fin
à la prohibition ?
Si l’objet est d’en faire un produit de consommation
courante, comme les autres, il faudrait classifier les drogues et ce qu’elles
encourent de dangerosité. En France, avant 1927 exista ce que l’on appela la
SEITA des kifs (1), un organisme sous le contrôle de l’état et qui vendait
certains opiacés, au même titre que le tabac.
Il semble qu’il faille favoriser un contrôle étatique, si
l’on faisait le choix de mettre fin à la prohibition, mais en faire un produit
de consommation courante, comme un autre, pose le problème d’un contrôle
médical, bien plus utile en ce domaine et pouvant prendre en charge les
différentes pathologies, en particulier les addictions multiples.
S’il y avait à préconiser une vente libre, seule des
personnes ayant des connaissances médicales semblent correspondre à ce critère.
Donc, oui à la fin de la prohibition, si la vente était organisée en pharmacie et
dans le cas des drogues dites dures, il serait possible de l’envisager sous
délivrance d’un médecin. De plus, il existe des usages thérapeutiques, comme la
marijuana aidant à combattre certaines nausées dans le cas de maladies lourdes
comme le Sida ou le cancer.
Il faut donc d’abord vaincre certains préconçus et organiser
au mieux une lutte contre les plus values faramineuses que se font d’année en
année les organisations du crime. Le seul moyen de casser le commerce illégal
est de l’entourer d’un contrôle d’état, du moins c’est la seule piste possible
face à ce qui permet de financer des machines de guerre, qui coûtent cher en
vie humaine au Brésil, en Colombie, au Pérou, au Mexique et en Amérique
centrale. La Bolivie faisant exception, car son taux d’homicides volontaires
est l’un des plus bas d’Amérique latine…
Source : Crédits photos sur la feuille de coca Wikipedia.org