lundi 22 octobre 2012

Légalisation des drogues, et si Evo Morales avait raison ?

Et si le président bolivien
avait raison : 
comment la poser la question de la fin de la prohibition ?

Par Ivan de la Pampa

Pendant qu’en France le débat est mis une fois de plus entre parenthèse, de l’autre côté de l’Atlantique plusieurs chefs d’états latino-américains ont signifié ces derniers mois, qu’il était temps de revoir la copie et de s’attaquer aux vraies sources du problème. Le dernier en date, le président Evo Morales n’a pas hésité à parler d’échec des politiques internationales de lutte contre la drogue (1). Et expliquer au passage, comment il conçoit une lutte efficace, notamment en réduisant la surface des plantations dans son pays et en faisant une distinction importante entre le produit illicite et les produits dérivés, que l’on peut tirer de la plante. 

France, Europe et Amérique Latine, à qui profite le crime ?

Bon nombre de présidents latino-américains comprennent mieux que d’autres, l’impasse des luttes actuelles contre les trafics de drogue. Le dernier en date, le Parlement uruguayen a autorisé l’usage de « drogue douce ». Il devient urgent d’en saisir les raisons et de comment il serait temps de changer de cap législatif et de s’attaquer à la question d’un commerce toujours en expansion et pouvant dans les années à venir être un acteur non négligeable de l’économie monde (lire le dossier sur la Criminalité Transnationale Organisée).

Il est difficile de croire que telle ou telle politique nationale puisse infléchir un commerce qui touche des dizaines de millions de consommateurs dans le monde. Mais il faudrait en finir avec cette guerre que lança Washington dans les années 1990 et poser enfin la question de la fin de la prohibition. Mais la levée de l’interdiction ne peut se concevoir, que si elle retient l’approbation du plus grand nombre possible de pays et c’est loin d’être le cas.

Dans une approche anthropologique, les drogues et leurs usages existent depuis toujours dans les cultures humaines et remontent à l’aube des temps. Pour exemple, l’usage de la feuille de coca est antérieur à la venue des conquérants espagnols, et l’usage, qu’il est fait de cette plante dans l’altiplano andin n’a rien à voir avec la pâte qui sert à la cocaïne. A 3 ou 4000 mètres mâcher la feuille de coca a certaines vertus et l’on est loin d’un usage toxicomane.

La Bolivie a même poussé l’idée d’en faire des produits dérivés, comme des sachets de thé à la feuille de coca. Si l’usage domestique qu’il est fait par les populations  andines de la feuille au quotidien s’apparentait à une psycho dépendance, dans ce cas, il faudrait mettre la moitié de la population en Bolivie sous les verrous ou à l’hôpital. Avec ce type de préconçu sécuritaire, ne devrait-on pas aussi interdire l’usage de l’alcool dans le monde ?

Au titre des drogues, l’éventail est large et si on l’envisage d’un point de vue stricto sanitaire : les dégâts de l’alcool et du tabac sont bien plus nombreux comme causes de mortalité et de destruction des individus, que les overdoses ou les dépendances  physiques et/ou psychiques dans les pays occidentaux, liés à un usage toxicomane de drogue illicite.

D’autre part, il faut pouvoir distinguer les consommateurs, des trafiquants et parler de politiques sanitaires dans le premier cas et dans le second cas de comment lutter efficacement contre le trafic de drogue à l’échelle mondiale ? Et au sein des consommateurs distinguer les usages récréatifs et ce qui demande un encadrement médical approprié.

Une question économique et sociale ?

Sur le plan économique, le trafic drogue est ce qui représente la plus value incroyable, elle peut être de l’ordre de 1000 %. Il faut prendre aussi en compte, comment la plus value arrive à atteindre des sommets quand elle touche le sol de l’Europe ou des Etats-Unis ?

Le petit producteur engrange au final qu’une part infime des gains, et c’est une fois que les drogues sont en circulation dans le nord de l’hémisphère que les retombées économiques seront les plus fortes et intégreront dans l’hypocrisie la plus totale le PIB des pays occidentaux et pour au moins 80% des sommes accumulées et depuis des décennies. Donc au demeurant, il est beaucoup plus rentable d’interdire et faire mine de combattre les organisations puissantes du crime.

Le cultivateur marocain, colombien, péruvien ou bolivien, au final s’ils gagnent sur un produit qui ne connaît pas de variation de son cours et permet de vivre plus ou moins correctement, ils sont souvent les premiers perdants. En Colombie, les épandages chimiques sont aujourd’hui la cause d’une explosion de cancer dans les populations paysannes, et les mondes urbains sont en prise avec une violence criminelle ou les réseaux de drogues sont auteurs de nombreux phénomènes criminels, qui vont de la petite à la grande criminalité, allant du passeur au sicaire ou tueur à gage.

Le Mexique a vu ces dernières années, son taux d’homicides en rapport avec le trafic de stupéfiant atteindre des niveaux alarmants, et au niveau d’un conflit guerrier. Ce qui se passe aujourd’hui au Mexique est assez proche de ce qu’ont pu connaître d’autres pays andins (Colombie et Pérou), et il faut tenir compte que le phénomène criminel touche aussi toute l’Amérique centrale. On pourrait parler d’épidémie si le sujet était uniquement médical. Il est surtout de nature économique et de comment assécher la pompe à sous ?

Si l’on en venait à interdire la culture du haschich au Maroc, cela menacerait pécuniairement près d’un million de personnes, notamment dans la région du Rif. Ne faisons pas mine de ne pas voir à la fois le problème et les solutions qui concerne non pas l’éradication des cultures, mais de comment assurer un revenu stable et décent aux petits agriculteurs du sud et du nord. Mais nous nous éloignons un peu du sujet, faut-il légaliser ou pas ?

Consommation et réalités sociales

La consommation de drogue et son contrôle ne peut que s’organiser que dans un objectif social bien clarifié, sur le plan économique continuer la lutte et demander aux polices de travailler à un combat sans fin et si l’on peut dire à la petite cuillère, relève de l’absurde. Là ou il faudrait faciliter leurs tâches en leur donnant les moyens juridiques de faire tomber les têtes de ponts et de pouvoir saisir les multiples comptes dormant dans les paradis fiscaux ou pas.

La question n’est pas d’infléchir face aux menaces criminelles, mais de comment se déjouer de certains aspects économiques criminels. S’en prendre à la masse sans en en différencier les causes et les enjeux, comme ont été entreprises les politiques de lutte menées notamment par les Etats-Unis sont des fiascos et la cause de beaucoup de souffrances. Le trafic des drogues pèse pour beaucoup dans les économies nationales notamment pour son coût social, pouvant atteindre plus de 10 % du PIB d’un pays (Venezuela, Colombie, …).

Les impacts sociaux et médicaux sont considérables sur la santé physique et mentale des malades. Pour exemple, le danger que représente la consommation des drogues de substitution produites à partir de substances chimiques. Pour certaines en vente libre ou en pharmacie et conditionnée en laboratoire, et/ou fabriquées illégalement et directement dans les pays concernés, c’est-à-dire à peu près dans le monde entier… 

Il importe de ne plus confondre certaines réalités sociales et ce qui est du ressort du criminel. Par ailleurs, beaucoup de personnalités latino-américaines notamment politiques de gauche comme de droite ne voient pas d’autres issue que la fin de la prohibition. Il ne s’agit pas de joyeux babas cool, mais des présidents qui s’interrogent sur des réalités fondées.

Actuellement en Europe les lois sont très différentes d’un pays à un autre, il faudrait faire un bilan des différentes politiques de lutte contre la drogue et chercher à avoir un peu plus de cohérence en ce domaine. Les politiques répressives qui ne prennent pas en compte les réalités sociales et économiques sont globalement négatives et la France reste très morale et peu encline à comprendre, sauf à nier les faits, et ce pays ne fait que renforcer les commerces souterrains ou illégaux. Tout en prétendant le contraire.

Alors la question reste en suspend : doit-on mettre fin à la prohibition ?

Si l’objet est d’en faire un produit de consommation courante, comme les autres, il faudrait classifier les drogues et ce qu’elles encourent de dangerosité. En France, avant 1927 exista ce que l’on appela la SEITA des kifs (1), un organisme sous le contrôle de l’état et qui vendait certains opiacés, au même titre que le tabac.

Il semble qu’il faille favoriser un contrôle étatique, si l’on faisait le choix de mettre fin à la prohibition, mais en faire un produit de consommation courante, comme un autre, pose le problème d’un contrôle médical, bien plus utile en ce domaine et pouvant prendre en charge les différentes pathologies, en particulier les addictions multiples.

S’il y avait à préconiser une vente libre, seule des personnes ayant des connaissances médicales semblent correspondre à ce critère. Donc, oui à la fin de la prohibition, si la vente était organisée en pharmacie et dans le cas des drogues dites dures, il serait possible de l’envisager sous délivrance d’un médecin. De plus, il existe des usages thérapeutiques, comme la marijuana aidant à combattre certaines nausées dans le cas de maladies lourdes comme le Sida ou le cancer.

Il faut donc d’abord vaincre certains préconçus et organiser au mieux une lutte contre les plus values faramineuses que se font d’année en année les organisations du crime. Le seul moyen de casser le commerce illégal est de l’entourer d’un contrôle d’état, du moins c’est la seule piste possible face à ce qui permet de financer des machines de guerre, qui coûtent cher en vie humaine au Brésil, en Colombie, au Pérou, au Mexique et en Amérique centrale. La Bolivie faisant exception, car son taux d’homicides volontaires est l’un des plus bas d’Amérique latine…

A bon entendeur, salut !

Note :

(1) lire l’article de Aline Imbert sur ACTU LATINO


Source : Crédits photos sur la feuille de coca Wikipedia.org