des mouvements sociaux”
Entretien avec Sergio Grez
Sergio Grez, docteur en histoire et professeur à la Faculté des sciences humaines et de l’éducation de l’Université du Chili, n’est pas homme à analyser les processus depuis son confortable fauteuil. Son aire d’intérêt principal étant les mouvements populaires au Chili, il s’engage, connaît les acteurs principaux de ceux-ci et enrichit son analyse de sa propre expérience.
Auteur de plusieurs livres et articles,
il a, tout au long de cette période du mouvement étudiant, transcrit
des conversations qu’il a eues avec des centaines de jeunes de
différents lycées et universités du pays ayant émis le souhait de lui
exposer leur point de vue. Voir, sur ce site, les divers articles
consacrés au dernier mouvement étudiant, sous la rubrique Chili. (Réd. A l'encontre)
Dans l’histoire du Chili, le
mouvement étudiant a-t-il jamais obtenu des transformations profondes
dans le champ social ou politique ?
Nous pourrions dire que durant le 19ème siècle le
mouvement étudiant s’est manifesté de manière sporadique à l’occasion de
certaines mutineries à l’Institut National [fondé en 1813, divers
présidents y ont passé] contre la discipline de fer y régnant, mais le
mouvement étudiant en tant que tel n’a commencé à se développer qu’au 20ème
siècle. La Fédération des Etudiants de l’Université du Chili, la Fech,
fondée en 1906, a commencé à avoir une certaine force dans les années
1920. Celle-ci n’a pas seulement avancé des revendications propres, mais
elle a aussi commencé à établir des liens avec le mouvement ouvrier. Il
y avait alors certains dirigeants importants de tendance anarchiste
marquée qui entretenaient ces liens.
Bientôt, le mouvement va prendre plus de force et s’étendre vers
d’autres régions et types d’enseignement, se développant plus ou moins
en articulation avec d’autres mouvements populaires, en particulier avec
le mouvement ouvrier. A tel point, qu’il va être le protagoniste de
profonds changements sociaux et politiques. Par exemple, en 1931, nous
pourrions dire que l’avant-garde du mouvement qui a renversé la
dictature de Ibáñes [Carlos Ibáñes Campo devient président, de facto, en
1927, suspend les élections et gouverne par décrets] ce furent les
étudiants et plus particulièrement ceux de l’Université du Chili. Si des
travailleurs et des citoyens ont certes participé aux événements, leur
rôle fut cependant moins important.
Ainsi, successivement, nous allons rencontrer le mouvement
estudiantin dans tous les grands moments qui ont accompagné la
démocratisation sociale et politique au cours du 20ème
siècle. Par exemple, ils ont participé contre la hausse du prix des
transports collectifs, la Grève de la Chaucha [du sou] en 1950. Sans
parler des débuts des années 1960 et 1970 lorsque ce mouvement a
développé de nombreuses luttes spécifiques, comme les mobilisations
contre le service militaire anticipé qu’a essayé de mettre en place le
Gouvernement de Eduardo Frei Montalva [1964-1970], ou s’est battu,
également sous le gouvernement Montalva, sur des questions politiques
telles que la venue de Nelson Rockefeller, une mobilisation qui a
d’ailleurs été un succès. N’oublions pas non plus le grand mouvement
pour la réforme universitaire que les étudiants de l’Université
catholique du Chili ont mené en 1967 et qui a été suivi ultérieurement
par d’autres universités.
Nous ne pouvons laisser de côté la participation du mouvement
étudiant dans les luttes contre la dictature. Au début des années 1970,
ce furent d’abord des segments militants puis, à la fin de cette même
décennie, les étudiants se sont joints de manière beaucoup plus large
aux journées de protestation et autres mobilisations contre la
dictature. Il y a eu, en tout cas jusqu’à la fin des années 1980, une
articulation assez étroite entre les mouvements étudiant et populaire.
Qu’a-t-il obtenu, ce mouvement? Les succès ont été inégaux. Il a
obtenu la réforme universitaire, mais à d’autres occasions il a été
confronté à l’échec non seulement de son mouvement, mais des mouvements
sociaux et politiques qui l’ont débordé.
Au cours du 20ème
siècle, est-ce surtout la participation des universités qui a dominé
dans le mouvement étudiant ou bien y a-t-il également eu participation
des lycéens ?
Dans les années 1970, le mouvement des lycéens était déjà très
puissant. La Fédération des Etudiants du Secondaire, la Feses, a, si je
me souviens bien, joué un rôle important contre la venue de Rockefeller
et s’est également mobilisée contre la guerre du Vietnam. En octobre
1969, un soulèvement militaire du régiment Tacna a eu lieu et nous, les
étudiants de l’Institut National, nous sommes sortis, avec une grande
dose d’idéalisme il est vrai, pour essayer d’empêcher le coup avec
d’autres secteurs. Le mouvement étudiant était alors un acteur très
important, déjà au niveau des lycéens du secondaire.
Lire la suite de l'entretien sur A l'encontre, cliquez ici !