jésuite et Argentin,
rappel
d’un morceau d’histoire
Par
Jean-Jacques Fontaine
L’élection
d’un Pape jésuite argentin, voilà un singulier retournement de situation, 250
ans après l’expulsion d’Amérique de l’Ordre de Jésus et la liquidation par le
Vatican des « Reducciónes » installées au XVII° siècle dans le
Département de Misiones, frontalier du Brésil et du Paraguay. Ce morceau
d’histoire mérite d’être rappelé…
Année 1551 :
après une violente controverse, les conférences de Valladolid reconnaissent aux
(amer)indiens d’Amérique la qualité d’êtres humains. Puisqu’ils sont désormais
des hommes comme les autres, ils ont droit à des libertés et peuvent être
christianisés. Les jésuites, qui à cette époque, dominent la pensée
intellectuelle de l’église espagnole prennent la balle au bond. Beaucoup sont
catalans, de condition urbaine. D’où leur niveau d’instruction supérieur.
Une
conjonction de facteurs bien particulière
Cela résulte
d’une décision politique de l’Empire, déjà à ce moment, Madrid se méfiait de
ses marges ibériques, la Catalogne et le Pays Basque, et réservait le droit
d’aller coloniser les Amériques aux seuls Castillans et Andalous. Il fallait
donc aux autres entrer dans les ordres pour contourner cette interdiction et
prendre sa part des revenus de l’aventure coloniale. Ce qu’ont fait dès 1607
les jésuites de l’alors Vice-Royauté du Pérou en installant leurs quartiers
autour de la triple frontière Argentine-Brésil-Paraguay, dans une zone qui
recoupe aujourd’hui, en gros, le Département de Misiones au nord de
l’Argentine.
Ce choix
géographique n’est pas dû au hasard. Cette région subtropicale était fertile et
très peuplée. Les indiens guaranis qui l’habitaient, nomades à l’époque,
subissaient les incursions incessantes des « bandeirantes »
brésiliens de Sao Paulo, des trafiquants d’esclaves qui venait s’approvisionner
en main d’œuvre pour les mines d’or du Minas Gerais, plus au nord, dans ce
réservoir humain.
En offrant aux
guaranis sa protection royale contre ces incursions, et en autorisant les
jésuites à installer des missions à cet endroit, l’Empire espagnol visait deux
objectifs : défendre son territoire contre les prétentions portugaises et
s’assurer la bienveillance des populations locales. Une conjonction de facteurs
qui a permis un fantastique essor des « ó » jésuites.
Un espace
organisé très strictement
Il s’agit en fait
de « laboratoires républicains », installés sur un territoire fermé,
articulé autour de l’église et de sa place centrale. La « Reducción »
est dirigée d’une main de fer par deux prêtres, et accueille dans ses murs les
indiens qui fuient les attaques des « bandeirantes ». Obligés à
se sédentariser et à se soumettre aux rites catholiques, ces guaranis des
« Reducciónes » assurent l’approvisionnement et la prospérité
économique de ces enclaves chrétiennes d’un genre particulier.
L’espace est très
strictement organisé, toujours sur le même modèle. Une zone, près de l’église,
est réservée à l’habitat des prêtres, derrière, le cimetière, séparé en deux
carrés, un pour les hommes et un pour les femmes. Plus loin un bâtiment clos,
interdit d’accès aux hommes, regroupe les veuves et les femmes ayant pêché
contre la vertu. De l’autre côté de la place sont édifiés les logements des
guaranis, des construction tout en longueur, sur le modèle de l’habitat
traditionnel de ces communautés (amer)indiennes où les familles élargies
vivaient ensemble dans un même espace. On estime que chaque
« Reducción » pouvait abriter jusqu’à 5’000 personnes.
Des
utopies communistes avant l’heure
Même si la
discipline imposée par les jésuites était rigoureuse, les indiens n’étaient pas
réduits en esclavage. Ils étaient libres de s’en aller. Une « égalité
chrétienne » des ressources régnait, qui interdisait les privilèges, même
pour les prêtres. A l’image de la communion des Saints, les guaranis
partageaient ainsi intégralement les fruits de leur travail avec l’ensemble de
la communauté, ce qui faisait de cette expérience, une sorte d’utopie communiste
avant l’heure.
Une utopie qui a
connu un succès retentissants. Pendant plus d’un siècle et demi, les quelques
trente « Reducciónes » de la région de Misiones ont abrités près de
150’000 guaranis. Sous le contrôle d’une petite poignées de jésuites… «Notre
premier soin, écrit l’un d’eux vers 1640, fut de réduire les indiens en société
et de leur montrer combien la vie civile était préférable à la vie
brutale».
La fin de
l’expérience
La couronne
espagnole et le Vatican, avaient, dans un premier temps, encouragé cette
expérience, mais ils ont vite pris peur devant l’ampleur qu’elle prenait. Cette
capacité des religieux de Jésus « à faire ainsi dialoguer entre elles les
civilisations » était perçue d’un mauvais œil dans le monde colonial. En
1767, les jésuites sont expulsés d’Amérique latine.
C’est le début de
la fin pour les « Reducciónes », qui vont peu à peu décliner pour
s’éteindre complètement au début du XIX° siècle. Reste les ruines
spectaculaires de 7 de ces établissements, qui sont Patrimoine Mondial de
l’UNESCO depuis 1983. On peut les visiter à 3 heures de route des chutes
d’Iguaçu qui marquent la frontière entre le Brésil et l’Argentine. Le jésuite
José Maria Bergoglio, ira-t-il rendre leur rendre visite, maintenant qu’il est
le Pape François ? Rien ne le laisse présager, mais ce serait un bel
hommage à ses antécesseurs en religion …
Un autre
avenir pour le Département de Misiones
Cette région,
aujourd’hui pauvre et couvertes de forêts de pins qui alimentent les nombreuses
usines de pâte à papier locales, a connu un autre virage historique au début
des années 1920 : l’invasion des Suisses. Au sortir de la première
guerre mondiale, plusieurs fils de bonne famille de Lausanne et de Genève,
dotés de capitaux à investir, s’intéressent à ce coin nord de l’Argentine dont
les terres semblent prometteuses. Certains sont agronomes ou ingénieurs et vont
développer avec succès la culture industrielle de la Yerba Maté, la boisson
traditionnelle des gauchos de la région.
Dix ans plus tard
éclate la grande crise de 1929 et les autorités helvétiques proposent aux
victimes du crash économique une aide au départ pour aller reconstruire leur
vie ailleurs. Beaucoup de chômeurs de Suisse allemande s’embarquent pour
l’Argentine et s’installent près de leurs compatriotes de la région de
Misiones. Ce sera l’échec. D’extraction urbaine, ils n’ont pas l’expérience du
travail de la terre, ni le capital initial pour lancer une entreprise.
16.000
Suisses en Argentine
Plusieurs vont
repartir, ceux qui restent végèteront pauvrement en cultivant leur identité
helvétique et leurs liens communautaires. Qui passent notamment par l’éducation
des enfants. C’est ainsi que les descendants de ces colons suisses jouissent
d’une relativement bonne éducation, grâce aux écoles implantées dans la région.
Parmi elles, l’Instituto Linea Cuchilla d’Eldorado, un collège rural toujours
soutenu financièrement par les autorités suisses, qui a vu le jour en 1962 et
est un des établissements de référence de la région pour l’apprentissage des
techniques agricoles.
L’Argentine est
le pays d’Amérique latine où les Suisses sont le plus nombreux. Début 2012, ils
étaient 15’710 à y être officiellement immatriculés. 85% ont la double
nationalité. Beaucoup sont concentré dans le Département de Misiones, raison
pour laquelle on croise souvent au détour des routes, des enseignes portant
d’établissements portant les noms de Klauk, Wolgemuth, Klach ou Schweikart.
Source : Vision Brésil