samedi 16 mars 2013

Argentine, colonisation du département des Misiones

 Un Pape 
jésuite et Argentin, 
rappel 
d’un morceau d’histoire




Par Jean-Jacques Fontaine

L’élection d’un Pape jésuite argentin, voilà un singulier retournement de situation, 250 ans après l’expulsion d’Amérique de l’Ordre de Jésus et la liquidation par le Vatican des « Reducciónes » installées au XVII° siècle dans le Département de Misiones, frontalier du Brésil et du Paraguay. Ce morceau d’histoire mérite d’être rappelé…

Année 1551 : après une violente controverse, les conférences de Valladolid reconnaissent aux (amer)indiens d’Amérique la qualité d’êtres humains. Puisqu’ils sont désormais des hommes comme les autres, ils ont droit à des libertés et peuvent être christianisés. Les jésuites, qui à cette époque, dominent la pensée intellectuelle de l’église espagnole prennent la balle au bond. Beaucoup sont catalans, de condition urbaine. D’où leur niveau d’instruction supérieur.

Une conjonction de facteurs bien particulière

Cela résulte d’une décision politique de l’Empire, déjà à ce moment, Madrid se méfiait de ses marges ibériques, la Catalogne et le Pays Basque, et réservait le droit d’aller coloniser les Amériques aux seuls Castillans et Andalous. Il fallait donc aux autres entrer dans les ordres pour contourner cette interdiction et prendre sa part des revenus de l’aventure coloniale. Ce qu’ont fait dès 1607 les jésuites de l’alors Vice-Royauté du Pérou en installant leurs quartiers autour de la triple frontière Argentine-Brésil-Paraguay, dans une zone qui recoupe aujourd’hui, en gros, le Département de Misiones au nord de l’Argentine.

Ce choix géographique n’est pas dû au hasard. Cette région subtropicale était fertile et très peuplée. Les indiens guaranis qui l’habitaient, nomades à l’époque, subissaient les incursions incessantes des « bandeirantes » brésiliens de Sao Paulo, des trafiquants d’esclaves qui venait s’approvisionner en main d’œuvre pour les mines d’or du Minas Gerais, plus au nord, dans ce réservoir humain.

En offrant aux guaranis sa protection royale contre ces incursions, et en autorisant les jésuites à installer des missions à cet endroit, l’Empire espagnol visait deux objectifs : défendre son territoire contre les prétentions portugaises et s’assurer la bienveillance des populations locales. Une conjonction de facteurs qui a permis un fantastique essor des « ó » jésuites.

Un espace organisé très strictement

Il s’agit en fait de « laboratoires républicains », installés sur un territoire fermé, articulé autour de l’église et de sa place centrale. La « Reducción » est dirigée d’une main de fer par deux prêtres, et accueille dans ses murs les indiens qui fuient les attaques des « bandeirantes ».  Obligés à se sédentariser et à se soumettre aux rites catholiques, ces guaranis des « Reducciónes » assurent l’approvisionnement et la prospérité économique de ces enclaves chrétiennes d’un genre particulier.

L’espace est très strictement organisé, toujours sur le même modèle. Une zone, près de l’église, est réservée à l’habitat des prêtres, derrière, le cimetière, séparé en deux carrés, un pour les hommes et un pour les femmes. Plus loin un bâtiment clos, interdit d’accès aux hommes, regroupe les veuves et les femmes ayant pêché contre la vertu. De l’autre côté de la place sont édifiés les logements des guaranis, des construction tout en longueur, sur le modèle de l’habitat traditionnel de ces communautés (amer)indiennes où les familles élargies vivaient ensemble dans un même espace.  On estime que chaque « Reducción » pouvait abriter jusqu’à 5’000 personnes.

Des utopies communistes avant l’heure

Même si la discipline imposée par les jésuites était rigoureuse, les indiens n’étaient pas réduits en esclavage. Ils étaient libres de s’en aller. Une « égalité chrétienne » des ressources régnait, qui interdisait les privilèges, même pour les prêtres. A l’image de la communion des Saints, les guaranis partageaient ainsi intégralement les fruits de leur travail avec l’ensemble de la communauté, ce qui faisait de cette expérience, une sorte d’utopie communiste avant l’heure.

Une utopie qui a connu un succès retentissants. Pendant plus d’un siècle et demi, les quelques trente « Reducciónes » de la région de Misiones ont abrités près de 150’000 guaranis. Sous le contrôle d’une petite poignées de jésuites… «Notre premier soin, écrit l’un d’eux vers 1640, fut de réduire les indiens en société et de leur montrer combien la vie civile était préférable à  la vie brutale».

La fin de l’expérience

La couronne espagnole et le Vatican, avaient, dans un premier temps, encouragé cette expérience, mais ils ont vite pris peur devant l’ampleur qu’elle prenait. Cette capacité des religieux de Jésus « à faire ainsi dialoguer entre elles les civilisations » était perçue d’un mauvais œil dans le monde colonial. En 1767, les jésuites sont expulsés d’Amérique latine.

C’est le début de la fin pour les « Reducciónes », qui vont peu à peu décliner pour s’éteindre complètement au début du XIX° siècle. Reste les ruines spectaculaires de 7 de ces établissements, qui sont Patrimoine Mondial de l’UNESCO depuis 1983. On peut les visiter à 3 heures de route des chutes d’Iguaçu qui marquent la frontière entre le Brésil et l’Argentine. Le jésuite José Maria Bergoglio, ira-t-il rendre leur rendre visite, maintenant qu’il est le Pape François ? Rien ne le laisse présager, mais ce serait un bel hommage à ses antécesseurs en religion …

Un autre avenir pour le Département de Misiones

Cette région, aujourd’hui pauvre et couvertes de forêts de pins qui alimentent les nombreuses usines de pâte à papier locales, a connu un autre virage historique au début des années 1920 : l’invasion des Suisses.  Au sortir de la première guerre mondiale, plusieurs fils de bonne famille de Lausanne et de Genève, dotés de capitaux à investir, s’intéressent à ce coin nord de l’Argentine dont les terres semblent prometteuses. Certains sont agronomes ou ingénieurs et vont développer avec succès la culture industrielle de la Yerba Maté, la boisson traditionnelle des gauchos de la région.

Dix ans plus tard éclate la grande crise de 1929 et les autorités helvétiques proposent aux victimes du crash économique une aide au départ pour aller reconstruire leur vie ailleurs. Beaucoup de chômeurs de Suisse allemande s’embarquent pour l’Argentine et s’installent près de leurs compatriotes de la région de Misiones. Ce sera l’échec. D’extraction urbaine, ils n’ont pas l’expérience du travail de la terre, ni le capital initial pour lancer une entreprise.

16.000 Suisses en Argentine

Plusieurs vont repartir, ceux qui restent végèteront pauvrement en cultivant leur identité helvétique et leurs liens communautaires. Qui passent notamment par l’éducation des enfants. C’est ainsi que les descendants de ces colons suisses jouissent d’une relativement bonne éducation, grâce aux écoles implantées dans la région. Parmi elles, l’Instituto Linea Cuchilla d’Eldorado, un collège rural toujours soutenu financièrement par les autorités suisses, qui a vu le jour en 1962 et est un des établissements de référence de la région pour l’apprentissage des techniques agricoles.

L’Argentine est le pays d’Amérique latine où les Suisses sont le plus nombreux. Début 2012, ils étaient 15’710 à y être officiellement immatriculés. 85% ont la double nationalité. Beaucoup sont concentré dans le Département de Misiones, raison pour laquelle on croise souvent au détour des routes, des enseignes portant d’établissements portant les noms de Klauk, Wolgemuth, Klach ou Schweikart.


Source : Vision Brésil