Procréation médicalement assistée : La Cour
Interaméricaine des droits de l’Homme condamne l’interdiction absolue
de la
fécondation in vitro
Par Noyelle Neumann das Neves
Le 28 novembre 2012, la Cour Interaméricaine
des droits de l’Homme a statué sur la procréation médicalement assistée dans
une affaire « Artavia Murillo y otros » contre le. Costa Rica.
L’arrêt en question va à l’encontre d’un arrêt de la Cour suprême costaricaine
rendu en 2000 qui, déclarant l’inconstitutionnalité d’un décret qui régulait la
technique de la fécondation in vitro, a fini par interdire la pratique de façon
généralisée. D’après la CIDH, une telle interdiction absolue de la fécondation
in vitro représente une violation du droit à la vie privée et familiale, de la
liberté de fonder une famille ainsi que du droit à l’égalité et à la
non-discrimination.
Les débats autour de la procréation
médicalement assistée (PMA) sont au cœur de nombreuses controverses
d’actualité, notamment en France. Alors qu’en Europe les discussions sur ce
sujet ne cessent de croître (cf. l’arrêt Costa et Pavan contre l’Italie rendu
récemment par le juge européen des droits de l’Homme – août 2012) la CIDH
apporte une contribution au débat en jugeant l’affaire ArtaviaMurillo y otros (Fécondation in vitro) contre le Costa Rica en espagnol.
La juridiction régionale de San
José définit tout d’abord l’infertilité comme « l’incapacité d’obtenir
une grossesse clinique après des rapports sexuels non protégés pendant douze
mois ou plus. Elle en fait de même
s’agissant de la fécondation in vitro, décrite comme un mécanisme de reproduction assistée « dans
lequel les ovules d’une femme sont enlevés de ses ovaires pour être ensuite
fécondés avec le sperme dans une procédure de laboratoire et, une fois achevée,
cet œuf fécondé (embryon) est replacé dans l’utérus de la femme ». La première naissance fruit de cette technique en
Amérique latine a eu lieu en Argentine, en 1984.
Au Costa Rica, un décret autorisait
cette pratique pour les couples mariés et régulait les modalités de son
exécution. Cette méthode a été pratiquée dans ce pays entre 1995 et 2000.
Néanmoins, ce décret a été déclaré inconstitutionnel par la Cour suprême en
2000. Selon cette juridiction en effet, il
constituait d’une part une violation du principe de la réserve légale, selon
lequel, en vertu de la Constitution, le Pouvoir exécutif ne peut pas
réglementer le droit à la vie et à la dignité humaine. D’autre part, les
pratiques de PMA porteraient atteinte à la vie et la dignité des êtres humains (paragraphes 62-75).
La Cour suprême costaricaine a affirmé dans son jugement que
l’embryon « ne peut pas être traité comme un objet à des fins de
recherche, être soumis à un processus de sélection, conservé en congélation et,
ce qui est fondamental pour cette Chambre, il n’est pas constitutionnellement
légitime qu’il soit exposé à un risque de mort disproportionné. [...] La principale
objection de la Chambre est que l’application de cette technologie comporte une
grande perte d’embryons, ce qui ne
peut pas être justifié par son but qui est de créer un être humain et de donner
un enfant à un couple qui ne pourrait pas en avoir autrement. [...] La Chambre
a pu constater que l’application de la technique de
fécondation in vitro et de transfert d’embryons, de la façon dont elle est
actuellement développée, menace la vie humaine ».
Depuis douze ans, cette
interdiction absolue a empêché l’accès à la PMA au Costa Rica, de sorte que des
personnes ont dû se rendre à l’étranger pour suivre ce traitement. Par
ailleurs, cette décision a conduit à interrompre le traitement que certaines
personnes avaient déjà entamé. Ces faits peuvent constituer une ingérence dans
la vie privée et familiale des victimes, mettant fin à leurs espoirs d’avoir un
enfant biologique.
A l’aune des éléments et preuves produits au cours de la
procédure, la Cour IADH a affirmé que le Costa Rica est le seul pays au
monde où la technique de la PMA est expressément interdite. C’est cette prohibition qui justifie la
condamnation de cet Etat au titre des violations de la Conventionaméricaine relative aux droits de l’homme constatées par la Cour. Mais pour
parvenir à un tel résultat, les juges interaméricains ont mobilisé une méthode
d’interprétation systémique, comparative et évolutive de ladite Convention.
Ainsi, ils ont pu résoudre l’épineuse question du sens à donner aux mots
« conception », « personne » et « être humain » à propos des embryons .
(…)
Par ailleurs, la Cour a attaché une
importance particulière à l’interprétation évolutive de la Convention, en particulier parce que la technique de la PMA
n’existait pas au moment de sa rédaction. Avec l’analyse de
l’évolution du droit international concernant
le statut juridique de l’embryon, elle conclut que « les
tendances de régulation en droit international ne conduisent pas à la conclusion
que l’embryon soit traité de la même manière qu’une personne ou qu’il ait un
droit à la vie »
Cette pratique a un lien avec la façon dont ces États
interprètent la portée de l’article 4 de la CIADH. Elle est « associée
au principe de protection graduelle et progressive – et non absolue – de la vie
prénatale » et témoigne du fait que
l’embryon ne peut être appréhendé comme étant une « personne »
De cette façon, la Cour
Interaméricaine a conclu qu’aucun des instruments et mécanismes
internationaux évoqués par la Cour
costaricaine dans sa décision ne permet de soutenir le fait que
l’embryon soit une personne et, soit, par
conséquent, titulaire du droit à la vie. Elle a donc déclaré que le
but de l’article 4.1 de la Convention est de protéger le droit à la vie sans
impliquer le déni d’autres droits protégés par elle. En ce sens, l’expression « en général » dudit
article a comme objet et but de permettre, dans le cas d’un conflit de droits,
que des exceptions à la protection du droit à la vie dès la conception soient
invoquées.
*
Dans toute son argumentation, la
Cour de San José montre que l’interdiction de l’accès à la PMA porte
atteinte à un certain nombre de droits fondamentaux des personnes. A aucun moment elle ne fait référence à un droit
qui serait exclusif aux personnes hétérosexuelles ou aux couples mariés. Il est
vrai que si ce point n’est pas l’objet de l’arrêt en question ni de l’analyse
de la Cour dans cette affaire, cela pourrait éclairer la discussion, si
bouillonnante en France, quant à l’extension de ce droit aux couples
homosexuels : il serait alors possible de considérer qu’une
interdiction d’accéder à la PMA porte atteinte aux droits fondamentaux des
personnes, quelle que soit leur orientation sexuelle. Et ce, tant en Europe qu’en Amérique latine (AtalaRiffo et filles contre le Chili, Série C N° 239 – 24 mars 2012).
Pour télécharger ou lire le texte en
entier :
Lettre « ActualitésDroits-Libertés » du CREDOF, 4 mars 2013.
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Source : La Revue des Droits de l’Homme