mardi 5 mars 2013

Costa Rica : la CIDH contre l’interdiction de la PMA

 Procréation médicalement assistée : La Cour Interaméricaine des droits de l’Homme condamne l’interdiction absolue 
de la fécondation in vitro

Par Noyelle Neumann das Neves

Le 28 novembre 2012, la Cour Interaméricaine des droits de l’Homme a statué sur la procréation médicalement assistée dans une affaire « Artavia Murillo y otros » contre le. Costa Rica. L’arrêt en question va à l’encontre d’un arrêt de la Cour suprême costaricaine rendu en 2000 qui, déclarant l’inconstitutionnalité d’un décret qui régulait la technique de la fécondation in vitro, a fini par interdire la pratique de façon généralisée. D’après la CIDH, une telle interdiction absolue de la fécondation in vitro représente une violation du droit à la vie privée et familiale, de la liberté de fonder une famille ainsi que du droit à l’égalité et à la non-discrimination.

Les débats autour de la procréation médicalement assistée (PMA) sont au cœur de nombreuses controverses d’actualité, notamment en France. Alors qu’en Europe les discussions sur ce sujet ne cessent de croître (cf. l’arrêt Costa et Pavan contre l’Italie rendu récemment par le juge européen des droits de l’Homme – août 2012) la CIDH apporte une contribution au débat en jugeant l’affaire ArtaviaMurillo y otros (Fécondation in vitro) contre le Costa Rica en espagnol.

La juridiction régionale de San José définit tout d’abord l’infertilité comme « l’incapacité d’obtenir une grossesse clinique après des rapports sexuels non protégés pendant douze mois ou plus. Elle en fait de même s’agissant de la fécondation in vitro, décrite comme un mécanisme de reproduction assistée « dans lequel les ovules d’une femme sont enlevés de ses ovaires pour être ensuite fécondés avec le sperme dans une procédure de laboratoire et, une fois achevée, cet œuf fécondé (embryon) est replacé dans l’utérus de la femme ». La première naissance fruit de cette technique en Amérique latine a eu lieu en Argentine, en 1984.

Au Costa Rica, un décret autorisait cette pratique pour les couples mariés et régulait les modalités de son exécution. Cette méthode a été pratiquée dans ce pays entre 1995 et 2000. Néanmoins, ce décret a été déclaré inconstitutionnel par la Cour suprême en 2000. Selon cette juridiction en effet, il constituait d’une part une violation du principe de la réserve légale, selon lequel, en vertu de la Constitution, le Pouvoir exécutif ne peut pas réglementer le droit à la vie et à la dignité humaine. D’autre part, les pratiques de PMA porteraient atteinte à la vie et la dignité des êtres humains (paragraphes 62-75).

La Cour suprême costaricaine a affirmé dans son jugement que l’embryon « ne peut pas être traité comme un objet à des fins de recherche, être soumis à un processus de sélection, conservé en congélation et, ce qui est fondamental pour cette Chambre, il n’est pas constitutionnellement légitime qu’il soit exposé à un risque de mort disproportionné. [...] La principale objection de la Chambre est que l’application de cette technologie comporte une grande perte d’embryons, ce qui ne peut pas être justifié par son but qui est de créer un être humain et de donner un enfant à un couple qui ne pourrait pas en avoir autrement. [...] La Chambre a pu constater que l’application de la technique de fécondation in vitro et de transfert d’embryons, de la façon dont elle est actuellement développée, menace la vie humaine ».

     Depuis douze ans, cette interdiction absolue a empêché l’accès à la PMA au Costa Rica, de sorte que des personnes ont dû se rendre à l’étranger pour suivre ce traitement. Par ailleurs, cette décision a conduit à interrompre le traitement que certaines personnes avaient déjà entamé. Ces faits peuvent constituer une ingérence dans la vie privée et familiale des victimes, mettant fin à leurs espoirs d’avoir un enfant biologique.

A l’aune des éléments et preuves produits au cours de la procédure, la Cour IADH a affirmé que le Costa Rica est le seul pays au monde où la technique de la PMA est expressément interdite. C’est cette prohibition qui justifie la condamnation de cet Etat au titre des violations de la Conventionaméricaine relative aux droits de l’homme constatées par la Cour. Mais pour parvenir à un tel résultat, les juges interaméricains ont mobilisé une méthode d’interprétation systémique, comparative et évolutive de ladite Convention. Ainsi, ils ont pu résoudre l’épineuse question du sens à donner aux mots « conception », « personne » et « être humain » à propos des embryons .

(…)

     Par ailleurs, la Cour a attaché une importance particulière à l’interprétation évolutive de la Convention, en particulier parce que la technique de la PMA n’existait pas au moment de sa rédaction. Avec l’analyse de l’évolution du droit international concernant le statut juridique de l’embryon, elle conclut que « les tendances de régulation en droit international ne conduisent pas à la conclusion que l’embryon soit traité de la même manière qu’une personne ou qu’il ait un droit à la vie »

Cette pratique a un lien avec la façon dont ces États interprètent la portée de l’article 4 de la CIADH. Elle est « associée au principe de protection graduelle et progressive – et non absolue – de la vie prénatale » et témoigne du fait que l’embryon ne peut être appréhendé comme étant une « personne »
     De cette façon, la Cour Interaméricaine a conclu qu’aucun des instruments et mécanismes internationaux évoqués par la Cour costaricaine dans sa décision ne permet de soutenir le fait que l’embryon soit une personne et, soit, par conséquent, titulaire du droit à la vie. Elle a donc déclaré que le but de l’article 4.1 de la Convention est de protéger le droit à la vie sans impliquer le déni d’autres droits protégés par elle. En ce sens, l’expression « en général » dudit article a comme objet et but de permettre, dans le cas d’un conflit de droits, que des exceptions à la protection du droit à la vie dès la conception soient invoquées.

*

Dans toute son argumentation, la Cour de San José montre que l’interdiction de l’accès à la PMA porte atteinte à un certain nombre de droits fondamentaux des personnes. A aucun moment elle ne fait référence à un droit qui serait exclusif aux personnes hétérosexuelles ou aux couples mariés. Il est vrai que si ce point n’est pas l’objet de l’arrêt en question ni de l’analyse de la Cour dans cette affaire, cela pourrait éclairer la discussion, si bouillonnante en France, quant à l’extension de ce droit aux couples homosexuels : il serait alors possible de considérer qu’une interdiction d’accéder à la PMA porte atteinte aux droits fondamentaux des personnes, quelle que soit leur orientation sexuelle. Et ce, tant en Europe qu’en Amérique latine  (AtalaRiffo et filles contre le Chili, Série C N° 239 – 24 mars 2012).



Pour télécharger ou lire le texte en entier :
Lettre « ActualitésDroits-Libertés » du CREDOF, 4 mars 2013.

  • Ou cliquez ici pour le texte en PDF !