Hugo Chávez
et
le Pérou
Par Juan Arellano – traduction de Henri Dumoulin
Tout le monde le sait maintenant, Hugo Chávez, président du
Venezuela, est mort le 5 mars 2013, néanmoins, peu de gens peut-être connaissent l'histoire des
relations entre Chavez et le Pérou. Cette histoire a commencé en 1974, lorsque
Hugo Chavez est arrivé au Pérou au titre de cadet au sein de la délégation
militaire du Venezuela, pour commémorer les 150 ans de la bataille d'Ayacucho.
C'est probablement de ce moment que date son admiration pour
le général Juan Velasco Alvarado,
alors président du pays, à la tête d'un gouvernement révolutionnaire des forces
armées. Par la suite, en 1992, le Président Fujimori (ci-contre) donna asile aux 93
militaires vénézuéliens, partisans de Chávez, qui tentèrent sans succès un coup
d'Etat contre Carlos Andrés Pérez.
Le deuxième fait marquant de cette relation s'est produit
pendant l'année 2000, alors que des rumeurs circulaient sur la protection
accordée par le régime de Chavez, alors président du Venezuela, à Vladimiro
Montesinos, réfugié politique après avoir été conseiller du président du Pérou Alberto Fujimori.
La campagne électorale présidentielle au Pérou en 2006 a vu
intervenir Hugo Chávez dans l'arène politique de ce pays par son appui plus
qu'évident au candidat Ollanta Humala. Pourtant Humala n'a pas gagné cette
élection et lors de sa candidature aux élections de 2011 qu'il a gagnées, il a
évité de faire référence à ses relations avec Chávez. Néanmoins c'est depuis
2006 que fonctionnent au Pérou des Maisons de l'aube, une organisation à but
humanitaire accusée à plusieurs reprises d'être en réalité l'instrument d'une
ingérence, d'une infiltration du “chavisme” dans le pays.
Un autre fait qui alimente les spéculations fut l’apparition
au Pérou de boîtes de conserves de poisson portant des portraits de Humala et
de Chávez, soit-disant dans le cadre d'une aide aux sinistrés du tremblement de
terre de Pisco en 2007. L'aide de Chávez aux sinistrés ne s'arrête pas là. Dans
le cadre d'un projet immobilier baptisé « Simón Bolívar » il offrit 100 maisons
aux habitants de la ville à moitié détruite de Chincha. Ceux-ci ne manquèrent
pas de souligner le contraste entre ce geste et le peu de soutien obtenu du
gouvernement alors présidé par Alan García.
On peut ainsi comprendre que le président vénézuélien ait
provoqué par ses initiatives politiques au Pérou des réactions plus importantes
qu'ailleurs. Dans ce pays, la majeure partie de la classe politique à
l'exception de la gauche n'a pas sympathisé avec lui, il n'était pas bien vu
non plus dans la presse avec les mêmes exceptions à gauche. Pourtant les
réaction dans les blogs à l'annonce de sa mort ont été assez modérées.
Par exemple Jorge Enrique Seoane Morla, de Metro Press &
Photo, s'interroge sur le futur des pays qui recevaient une aide du Venezuela
sous le régime, et déclare :
A
tort ou à raison, il a prétendu être le fédérateur de l'Amérique Latine autour
de lui au sein d'une “Révolution Bolivarienne” en laquelle les intellectuels et
les historiens du Pérou ne croient pas. Ils pensent que l'action de Simón
Bolívar a été néfaste au intérêts de leur pays (……) Heureusement, le Pérou de
Ollanta Humana (et de Nadine son épouse) a pris ses distances avec le Venezuela
et l'infiltration par les “maisons de l'aube” : nous sommes libres!
Le blogeur Luis Vigil a republié, il y a quelques temps un
article d'un historien, Antonio Zapata, portant sur la relation entre Chávez et
Fujimori :
Il
y a des médias qui ne veulent pas s'en souvenir mais Humala n'est pas l'allié
principal d'Hugo Chávez dans notre histoire politique, c'était plutôt Fujimori.
Un régime autoritaire a créé des liens fraternels entre le Pérou des années
1990 et le Venezuela de la République socialiste et bolivarienne.
Juan Acevedo, caricaturiste péruvien bien connu, fait une
petite analyse du phénomène Chávez sur son profil Facebook, il termine ainsi :
Quand Chávez est arrivé, il m'est apparu bien
intentionné et imprudent. C'était d'abord un soldat qui se battait et en faisait beaucoup ( …..) Chávez comme Fidel Castro, Velasco et
d'autres, sont tous les mêmes , ils croient qu'ils pourront changer l'histoire,
ils entrent totalement dans ce rôle, il font évidemment des erreurs, et des
grosses, mais ils vont jusqu'au bout. D'autres ne font que s'adapter comme ceux
qui se prétendent réformistes. Espérons que nous ne cesserons jamais de croire
que nous pourrons changer ce qui est injuste, ce qui est mauvais, ce qui est
faux….
Le professeur et journaliste Hugo Neira se souvient du
Venezuela qu'il a connu autrefois et cite ses propres articles :
Je
n'ai jamais aimé ce que j'ai vu : l'extrême décomposition sociale d'un des pays
non seulement les plus riches du continent mais aussi bénéficiaire d'une rente
pétrolière enviable. J'ai vu cette dégradation de la vie sociale au Venezuela
au milieu de la splendeur de ses classes moyennes. Ils étaient aveugles à la
pauvreté sur les collines, au désarroi des miséreux face aux nantis qui ne
méritaient pas leur fortune. Il est arrivé ce qui est arrivé: Chávez s'est
imposé: “Il est venu, l'homme des savanes, il n'est plus seul, il est là pour
longtemps, il a à peine 50 ans, il va redistribuer les dividendes de la rente
pétrolières vers le bas, vers le peuple. La méthode ne convient peut-être pas à
tout le monde, mais c'est ce qui arrive aux pays qui vivent de rentes, le
Venezuela aujourd'hui, l'Argentine hier, quand l'égoïsme de la société laisse
se créer une masse énorme d'exclus.
Je
n'aimais pas Chávez, je n'aimais pas non plus le Venezuela d'avant Chávez,
c'est aussi simple que cela (….) Chávez a été plébiscité pour corriger une
démocratie corrompue mais il a inventé la “démocratie directe” , en fait tout
ce qui devenait direct a cessé de l'être. Il n'aimait pas les mots “compromis
ou médiation”, en fait ce qui manquait au Venezuela et ce qui est l'essence de
toute véritable politique. Chávez est un politique de l'anti politique comme le
sera Fujimori. On l'a appelé pour soigner la peste, il a apporté le choléra. Et
pourtant personne n'a complètement raison, ni l'opposition ni les chavistes,
chacun porte sa part de la réalité souffrante du Vénézuela.
Par-delà toute opinion politique, le Pérou a accueilli avec
respect l'annonce de la mort de Hugo Chávez. Le Congrès de la république a
demandé une minute de silence à sa mémoire, alors que beaucoup considéraient
qu'il avait été un dictateur. Autour de l'ambassade du Venezuela à Lima, des
sympathisants se sont regroupés pour manifester leur chagrin et lui rendre un
dernier hommage. Le gouvernement, pour sa part a décrété trois jours de deuil
national, et le Président Humala a pris la tête d'une délégation qui s'est
rendue à Caracas pour les funérailles du président Chávez. D'autre part le
maire provincial de Chincha a fait
part de la décision d'ériger un buste en l'honneur du président vénézuelien.
Source : Global Voices
Photo en Une de Juan Arellano