l’ONU doit revoir
ses critères et ses objectifs
Lettre ouverte aux Nations Unies
Par Alain Boinet, Directeur général de SOLIDARITES INTERNATIONAL
La
Journée Mondiale de l’Eau du 22 mars, dédiée cette année à la
coopération internationale de l’eau, s’inscrit clairement maintenant
dans un premier bilan des Objectifs du Millénaire pour le Développement
2000 – 2015 (ODM), mais surtout dans les nouveaux objectifs post-2015
qui restent à encore à fixer par l’ONU avec les Etats membres et les
acteurs concernés.
On
ne peut que se louer de ces ODM ayant pour objectif de réduire de
moitié l’extrême pauvreté dans le monde sur une période de 15 ans. De
même, on ne peut que saluer l’action d’Agences telles que l’UNICEF et
l’OMS qui, avec leurs partenaires, ont selon le secrétaire général de
l’ONU, M. Ban Ki-moon, permis à plus de deux milliards de personnes
d’accéder à des sources d’eau dites améliorées entre 1990 et 2010.
En
revanche, nous ne sommes pas d’accord du tout avec les Nations Unies
quand celles-ci déclarent dans un communiqué de presse, lors du 6ème Forum Mondial de l’Eau à Marseille en mars 2012 : ‘’La
communauté internationale a atteint, bien avant l’échéance de 2015, la
cible des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD)’’. Et d’ajouter que fin 2010 ‘’…89% de la population mondiale avaient accès à des sources d’eau améliorée’’
et donc, qu’il ne restait que 783 millions de personnes, soit 11% de la
population mondiale, ne disposant toujours pas de cet accès. Et de
conclure un peu vite que selon leurs estimations, ‘’…en 2015, 92% de la population mondiale aura accès à l’eau potable améliorée’’.
Nous le disons tout net, ceci n’est pas exact et cela est grave de
conséquence quand les médias, voire notre ministre du développement,
M.Pascal Canfin, reprennent de bonne foi ses chiffres à leur compte !
‘’3,6 millions de personnes meurent chaque année de maladies liées à une eau non potable & à un environnement insalubre’’
Compte
tenu du sérieux de ces agences, d’où vient l’erreur. La raison en est
simple. Les Nations Unies considèrent que l’accès à source d’eau dite
améliorée signifie automatiquement que cette eau est potable. Or des
études réalisées par des experts internationaux reconnus, comme Gérard
Payen (conseiller pour l’eau du Secrétaire Général de l’ONU
- UNSGAB), et par des chercheurs aux Etats Unis comme Kyle Onda, Joe
LoBuglio et Jamie Bartman, démontrent à l’évidence qu’une grande partie
de ces sources d’eau améliorées délivrent une eau dangereuse ou de
qualité douteuse. Finalement, ce serait seulement 3,3 milliards de
personnes qui utiliseraient une eau sûre et donc environ 3,7 milliards
qui n’y auraient pas accès, dont pas moins de 1,9 milliards qui
consommeraient chaque jour une eau dangereuse voire mortelle !
Et
nous ne sommes pas là dans un aimable débat d’experts. D’abord et
surtout parce que l’eau insalubre est une cause majeure de mortalité
dans le monde, principalement chez les enfants. Ces maladies dites
hydriques (diahrée, choléra, hépatite, typhoïde,….) tueraient chaque
année environ 3,6 millions d’êtres humains, selon les estimations les
plus précises à ce jour. C’est donc une véritable urgence oubliée !
Mais
surtout, affirmer ainsi que l’on est en avance sur les ODM en matière
d’eau potable ne peut qu’entrainer un risque réel de démobilisation des
acteurs et des ressources indispensables pour lutter contre ce fléau
silencieux. Or, les ressources financières affectées sont insuffisantes,
ce qui génère des conséquences négatives en cascade tant
nous savons que l’accès à l’eau potable et à l’assainissement est un
facteur majeur de développement des populations concernées notamment en
matière d’éducation, de santé, d’activités génératrices de revenus.
''OMD : Faire de l’accès à l’eau potable et à l’assainissement un objectif à part entière''
De
plus, cette Journée Mondiale de l’Eau 2013 s’inscrit maintenant
clairement dans un bilan des OMD et dans la définition de nouveaux
objectifs pour les décennies à venir. Or, ce travail pour les définir et
les prioriser a déjà débuté sous la houlette d’un panel international
de haut niveau coprésidé par la présidente libérienne Ellen Johnson
Sirleaf, le président indonésien Susilo Bambag Yudhoyono et le Premier
ministre britannique, David Cameron. Panel auquel participe Jean Michel
Séverino, ancien directeur de l’Agence Française de Développement.
Un
premier rapport sera remis à M. Ban Ki-moon pour le 31 mai avec des
recommandations sur l’agenda post-2015 qui alimentera le rapport du
Secrétaire générale des Nations Unies pour le sommet des OMD le 23
septembre 2013 dans le cadre de l’Assemblée Générale de l’ONU.
L’échéance des OMD en septembre 2015 suivra de près le 7ème Forum Mondial de l’Eau qui se tiendra en Corée du Sud en mars de la même année.
C’est dire l’urgence de ce débat engagé par l’ONG humanitaire SOLIDARITÉS INTERNATIONAL avec une pétition : Votre goutte d'eau
déjà signée par plus de 125 000 personnes. Cette pétition demande aux
Nations Unies de revoir leurs critères, leurs chiffres et leurs
objectifs. C’est le critère ultime de l’accès à l’eau potable ou de
l’eau insalubre qui compte.
Cette
pétition appelle aussi à reconnaître que l’eau insalubre constitue bien
une cause majeure de mortalité qui doit être combattues avec toutes les
ressources nécessaires, notamment dans les situations d’urgence
humanitaire auprès des populations en danger et par la coordination
effective des phases d’urgence, de reconstruction et de développement.
Il est aussi demandé de faire de l’eau et de l’assainissement un
objectif à part entière dans les prochains ODM et non de les maintenir
comme une rubrique secondaire.
''Nous irons remettre notre pétition au Secrétaire Général des Nations Unies''
La communauté internationale semble à l’origine avoir sous estimé cette question de l’eau potable et de l’assainissement. Il
est temps d’en faire une priorité à part entière. Il convient aussi que
l’eau ne soit plus un domaine dilué entre des dizaines d’agences des
Nations Unies, que l’eau ne soit plus fragmentée au travers de ses
diverses utilisations, mais qu’elle soit considérée comme un tout
essentiel tant il est vrai qu’elle est la principale source de vie sur
notre terre.
Enfin, pour sortir de trop d’engagements non tenus, oubliés ou recyclés, une
source d’information internationale fiable qui regrouperait et suivrait
régulièrement les objectifs, les engagements, les actions réalisées,
les réalisations restantes constituerait un précieux outil de
connaissance, de travail collectif et de coordination pour tous les
intervenants de par le monde.
En
juillet 2010, les Nations Unies ont eu la clairvoyance et le courage de
faire de l’accès à l’eau potable et à l’assainissement un droit humain.
Les choix à venir vont nous engager pour des décennies. Aussi, nous
disons de manière amicale mais exigeante à nos partenaires de l’ONU,
qu’il n’y aura pas de droit sans la réalité d’un accès réel à l’eau
potable et à l’assainissement pour tous et celui-ci passe inévitablement
par une révision des critères d’évaluation et par des objectifs et des
engagements à la hauteur des dangers, des enjeux et des espoirs pour une
grande partie de l’humanité.
C’est pour cela que nous irons remettre
notre pétition au Secrétaire général des Nations Unies dès que des
centaines de milliers de personnes l’auront signé.
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