samedi 16 mars 2013

Forêts tropicales, lettre ouverte à l’ONU et à ses institutions

Première « Journée 
internationale des forêts », 

le 21 mars 2013

Par Le Mouvement Mondial pour les forêts tropicales (*)

L’ONU (Organisation des Nations Unies) a lancé une initiative de plus pour attirer l’attention sur le sort des forêts du monde : à partir de 2013, le 21 mars sera la Journée internationale des forêts. Or, quand on considère que l’Année internationale des forêts de l’ONU, en 2011, est passée largement inaperçue, on peut se demander si cette Journée réussira à changer quelque chose pour les forêts et les personnes qui en dépendent.

En fait, l’ONU devrait être à la tête des mesures pour freiner la déforestation tropicale et, par conséquent, elle devrait connaître et combattre de façon appropriée les causes de la diminution des forêts. Les causes directes les plus importantes sont très bien connues : l’exploitation forestière, l’affectation des terres boisées à l’agriculture et à l’élevage, les plantations industrielles d’arbres, l’urbanisation, les mines, l’exploitation pétrolière et gazière, les barrages hydroélectriques et l’élevage industriel de crevettes.

Par contre, les facteurs profonds de la déforestation, multiples et étroitement liés entre eux, sont moins facilement visibles ; on les connaît mal et on n’en discute pas souvent. Une analyse approfondie des causes profondes de la déforestation, entreprise par l’ONU à la fin des années 1990 avec une forte participation de la société civile, a conclu que ces facteurs étaient associés à la possession de la terre, à la gestion des ressources, au commerce, aux relations économiques internationales en général et à l’exclusion sociale.

La FAO  (Organisation pour l'alimentation et l'agriculture)  affirme que la déforestation était plus faible dans la période 2000–2010, par rapport à la décennie précédente. Pourtant, 13 millions d’hectares de forêts surtout tropicales, mangroves comprises, ont été détruites chaque année pendant cette période, et le chiffre actuel risque d’être encore plus élevé parce que la FAO continue de considérer les plantations industrielles comme des forêts. 

En définissant la forêt comme n’importe quelle terre où il y a une certaine quantité d’arbres, la FAO fausse les données : la diminution des forêts paraît plus faible qu’elle ne l’est vraiment parce que, pour la FAO, les plantations d’arbres en régime de monoculture sont pareilles aux forêts diverses qui pourvoient de foyer et de nourriture les peuples qui les habitent.

La Journée internationale des forêts fait suite au regain d’intérêt pour les forêts tropicales qui a commencé lorsque les négociateurs du climat ont fait figurer le rôle des forêts au programme des pourparlers de l’ONU sur le changement climatique : depuis 2007, les sommets climatiques de l’ONU discutent du système REDD (Réduction des émissions dues au déboisement et à la dégradation des forêts).


Or, les efforts consacrés à REDD+ ont-ils abouti à réduire la déforestation ou, au moins, à inverser la tendance actuelle ?

Les nombreuses initiatives prises depuis l’apparition de REDD ont-elles ralenti la diminution des forêts du monde ?

Les mangroves (le « carbone bleu ») sont-elles moins dégradées aujourd’hui qu’en 2007 ?

Les droits des peuples des forêts sont-ils mieux protégés aujourd’hui qu’ils ne l’étaient en 2007 ?

Les promesses des gouvernements du Nord de contribuer avec 7,7 milliards USD, et l’intérêt renouvelé pour les forêts au plan international, ont-ils vraiment été en mesure de ralentir pour ensuite mettre fin à la diminution des forêts ?

Des rapports récents en provenance du Brésil et d’Indonésie, les deux pays qui ont perdu le plus de forêts entre 2000 et 2010, indiquent qu’après une baisse de courte durée du taux de déforestation annoncée par les statistiques de la FAO, la déforestation continue et beaucoup de nouvelles zones boisées sont menacées par les activités destructrices menées par de grandes entreprises.

Ceux qui sont impliqués dans la destruction des forêts sont souvent impliqués en même temps dans des projets dont le but supposé est de protéger les forêts, par exemple des projets REDD+. Tel est le cas de sociétés transnationales, de gouvernements du Nord mais aussi du Sud, d’institutions financières comme la Banque mondiale, de grandes ONG de conservation et d’organes de certification.

Avec l’ONU en tête, tous ces acteurs défendent la soi-disant « économie verte », présentée comme une proposition « où tout le monde peut gagner », qui s’attaque aussi bien à la crise économique et financière qu’à la crise environnementale en redirigeant les investissements pour débloquer le « capital naturel », accompagnée de nouvelles technologies supposées « propres » (comme celles basées sur la biomasse) et du « marché du carbone », ainsi que du commerce des « services écologiques » en général.

Dans les pays qui possèdent des forêts tropicales, cette approche est en train d’accroître les conflits, les violations des droits de l’homme et la résistance. Quant à la destruction, elle n’a pas diminué et encore moins disparu : elle a augmenté. [1]


La destruction des forêts doit cesser sans délai !

Cette lettre veut faire savoir que la destruction des forêts doit cesser d’urgence, et non tout simplement « diminuer ». Les forêts sont vitales pour les peuples qui les habitent et dont le mode de vie dépend. Un leader indigène de l’est de la RDC déclare : « La forêt et les peuples indigènes peuvent être décrits comme des amis inséparables. La vie d’un pygmée dépend à 100 % de la forêt, parce que la forêt est notre foyer ‘par excellence’. Je peux affirmer que, sans la forêt, la vie n’est pas possible pour les peuples indigènes ». [2]

L’arrêt de la déforestation et la reconnaissance des droits territoriaux sont particulièrement importants pour les peuples indigènes volontairement isolés. L’appropriation de terres, surtout dans des régions forestières, et la destruction continuelle des forêts, surtout grâce au « système de concessions », pour l’exploitation de bois, l’agriculture et l’extraction minière, mettent en péril l’isolement volontaire parce que, le plus souvent, les zones visées par les accapareurs de terres sont celles où les peuples volontairement isolés peuvent encore survivre sur la planète et maintenir leur mode de vie.

Il est indispensable aussi d’arrêter la disparition des forêts pour combattre l’exclusion sociale, et pour respecter les droits de la Nature et sa valeur intrinsèque. En outre, les forêts sont importantes pour l’humanité en général, et surtout pour les populations des pays qui possèdent des forêts tropicales. Il est extrêmement inquiétant que les forêts soient de plus en plus touchées par les effets du changement climatique.

La perpétuation de l’actuel modèle inviable de production et de consommation est à l’origine des deux crises, celle du climat et celle des forêts. Les initiatives qui visent vraiment à enrayer la déforestation – ou à éviter un changement climatique incontrôlable – devront donc s’attaquer à ces causes profondes. Pour arrêter la déforestation, il faut éliminer les causes profondes qui déterminent la diminution des forêts.

Parmi les mesures urgentes à prendre à cette fin figurent les suivantes :

–      Reconnaître les droits des communautés forestières et de celles qui dépendent des forêts à leurs territoires communaux, en accordant une attention spéciale aux peuples indigènes qui vivent en situation d’isolement volontaire. Ces droits doivent inclure le droit de contrôler les décisions qui touchent les territoires des communautés tributaires des forêts.

–      Définir les forêts en tenant compte de ce qu’elles signifient vraiment pour les peuples qui en dépendent ; exclure de cette définition les plantations industrielles d’arbres : les plantations ne sont pas des forêts.

–  Dénoncer et freiner la destruction causée par les sociétés transnationales et par d’autres protagonistes du processus d’appropriation de terres ; la décennie passée a montré que les transnationales ne peuvent pas être réglementées : leur existence et leur influence croissante sont une des principales menaces pour l’avenir des forêts tropicales.

– Exposer et rompre le modèle des fausses solutions proposées par les grandes entreprises, comme les activités à grande échelle « durables » dans les forêts tropicales, REDD+, le commerce des services écologiques, les partenariats public-privé, l’économie « verte » certifiée, etc. À la place, proposer et défendre de vraies solutions, en défendant les économies locales, en ce qui concerne, par exemple, l’utilisation des minéraux, de la biomasse et de l’énergie. Nous réitérons l’appel du réseau international Oilwatch : Laissez le pétrole et le charbon dans le sous-sol !

–   Appuyer les initiatives qui visent à consommer moins de produits destructeurs des forêts, plutôt que celles qui encouragent l’achat de produits certifiés, fabriqués au cours d’opérations à grande échelle par des compagnies qui continuent de détruire les forêts.

Avant tout, en cette première Journée internationale des forêts nous appelons l’ONU et ses institutions relatives aux forêts de tenir compte des résultats des initiatives déjà prises pour mettre fin à la déforestation : cet objectif restera illusoire à moins qu’on prenne des mesures pour éliminer les causes profondes de la déforestation.


Notes : 
 
(*) Nous souhaitons que le plus grand nombre possible d’organisations et de réseaux nationaux et internationaux signent cette lettre d’ici le 19 mars 2013, mais les signatures de particuliers et d’activistes, mentionnant leur pays ou leur organisation, seront aussi plus que bienvenues.

Votre soutien devra être envoyée à l’adresse suivante : forest(at)wrm.org.uy

[1] Pour davantage d’information sur la déforestation voir le bulletin nº 188 du WRM, qui sera bientôt publié sur http://www.wrm.org.uy

[2] Pour lire l’article en anglais, Cliquez ici !